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L’esprit de Caïn de Brian De Palma : une oeuvre aux multiples visages

Maxime Thiss Responsable Festival

Véritable oeuvre maudite, L’Esprit de Caïn a souvent été considérée comme un film mineur dans la très riche carrière de Brian De Palma. Mais quand on y regarde de plus près, cette création s’avère être un pur moment de cinéma, qui malgré un scénario partant parfois un peu en roue libre aligne de grands moments virtuoses.

Les années 90 n’ont pas commencé de la meilleure manière pour De Palma. Après l’échec de son adaptation du roman de Tom Wolfe, Le Bûcher des vanités, le cinéaste américain revient à ses premières amours avec un thriller schizophrénique qui malheureusement ne trouve pas non plus le succès. Depuis, L’Esprit de Caïn a beaucoup divisé, une grande partie voyant dans ce film une œuvre très mineure limite parodique pour son auteur, alors que d’autres y voient l’archétype du chef d’œuvre maudit. L’un des gros problèmes de L’Esprit de Caïn a longtemps été sa narration, un peu balourde, insérant une romance qui ne semblait pas à première vue à sa place dans cette histoire de kidnappeur d’enfant aux troubles de la personnalité. Cela s’expliquait par un choix de dernière minute de De Palma en ce qui concerne le montage du film et qui a opté pour une narration chronologique afin de ne pas perdre le spectateur. Chose qu’il aura regretté immédiatement après. Cependant un fan néerlandais du nom de Peet Gelderblom a eu la bonne idée au début des années 2010 de restaurer la vision de De Palma et d’essayer à l’aide de son dvd et d’un logiciel de montage de remonter L’Esprit de Caïn en se basant sur le script originel du réalisateur. Grand bien lui en a pris car, grâce à son entreprise, le hollandais a pu redorer le blason du film dont cette « director’s cut » a été approuvée par De Palma lui-même. Sous cette nouvelle forme, L’Esprit de Caïn reprend son aura labyrinthique voulu par son auteur, une œuvre malade mais fascinante.

Au lieu de présenter d’entrée Carter Nix, et son double maléfique Caïn, ce nouveau montage préfère, dans un premier temps, mettre en avant la partie romantique. Résultat, dans les 20 premières minutes, le personnage de John Lithgow est relégué au second plan. De Palma choisit de suivre Jenny, jouée par Lolita Davidovich, qui retrouve un ancien amant, Jack Dante (Steven Bauer). Une esquisse de triangle amoureux se présente alors que Jenny essaie tant bien que mal de ne pas succomber à nouveau au charme de Jack. À la façon de Pulsions qui se concentrait dans sa première partie exclusivement à Angie Dickinson et notamment à ses tourments sexuels, L’Esprit de Caïn ausculte les dilemmes sentimentaux de Jenny. Forcément, le côté voyeur propre à De Palma resurgit mais l’aspect mélodramatique prédomine, bien aidé de la partition de Donagio. En construisant la narration de cette façon, le film déjoue les attentes du spectateur qui se retrouve dans un terrain plutôt incongru. Cela permet également de créer un effet de choc plus important lorsque Carter Nix et Caïn sont présentés au bout de 30 minutes dans une scène à la fois drôle et terrifiante. Si le montage cinéma avait opté pour un ordre chronologique, ce nouveau montage abandonne donc clairement cet optique. Entremêlant rêveries et flashbacks, la première partie de L’Esprit de Caïn s’amuse à semer le chaos dans l’esprit du spectateur. Un nouvel exercice de manipulation des images et de la chronologie dont De Palma a le secret donnant un aspect dédaléen au film. Une décision qui fonctionne à merveille avec le sujet et nous permet d’avoir un aperçu de la personnalité multiple de Carter Nix.

Comme souvent dans les films de De Palma, c’est un meurtre ou un acte dramatique qui enclenche la deuxième partie du film. L’Esprit de Caïn ne fait pas exception et simultanément à l’apparition de la deuxième personnalité de Carter, le film montre lui aussi un autre côté lorgnant vers le thriller horrifique. De Palma s’amuse à malmener sa recette classique en faisant de son coupable, son témoin. Il faut alors compter sur une performance mémorable de John Lithgow pour passer de l’innocent père de famille Carter au cruel psychopathe déviant Caïn. Si à première vue, la performance semble grossière, elle témoigne d’une grandiloquence propre à l’univers de De Palma qui s’avère tout bonnement effrayante. Lithgow s’en donne à coeur joie, armé de ses lunettes de soleils et tirant sur sa clope tel un bad boy. Bien avant James McAvoy dans Split, Lithgow dévoile diverses personnalités ajoutant au panel déjà composé de Carter et Caïn, le personnage de Josh, un gamin de 7 ans et surtout Margo, une dame d’une cinquantaine d’années. Pour accompagner le tout, l’acteur se grime même en vieil homme pour interpréter le Docteur Nix père de Carter et expert en dédoublement de la personnalité.

Mais à côté du Lithgow show, De Palma fait également des siennes et son art de la mise en scène subjugue toujours autant. Si le script peut parfois frôler le nanardesque, n’hésitant pas à aller dans l’excès à de nombreuses reprises, et faisant fi du ridicule dans lequel il s’aventure avec plaisir, l’imagerie qu’il développe est proprement envoûtante.  Le côté schizophrénique du film se répercute à ce niveau. L’apparente absurdité du propos est transcendée par une mise en scène éblouissante dans lequel le mauvais goût devient un moteur simplement captivant. La façon dont le personnage de Caïn est filmé témoigne à lui seul de son côté outrancier et psychotique. Parmi les moments les plus marquants, il y a évidemment ce plan séquence acrobatique suivant le déplacement des policiers accompagnés du Docteur Waldheim de l’étage de la criminelle jusqu’à la morgue. Un plan d’une fluidité exemplaire et qui crée à lui seule une tension, déroulant l’histoire sordide des expériences du docteur Nix pour finir sur un jump scare des plus efficaces. Et puis il y a aussi ces ralentis, utilisés à de nombreuses reprises dans la première partie de façon parfois démesuré (l’empalement), mais qui devient étonnamment virtuose dans le climax tétanisant du film, une séquence tout en ralenti à couper le souffle, où la rhétorique De Palmienne s’exprime à la perfection dans une avalanche de surenchère. De courte durée L’Esprit de Caïn n’en est pas moins une oeuvre foisonnante et typique de son auteur. Grâce à ce nouveau montage il dévoile enfin son vrai visage, le visage d’un film baroque et complètement schizo.

L’Esprit de Caïn – Bande Annonce

L’Esprit de Caïn – Fiche Technique

Titre original : Raising Cain
Scénario et Réalisation : Brian de Palma
Interprétation : John Lithgow (Carter Nix/Caïn/Josh/Margo/Dr Nix), Lolita Davidovich ( Jenny), Steven Bauer ( Jack Dante), Frances Sternhagen ( Dr Waldheim), Gregg Henry ( Lieutenant Terri)
Photographie : Stephen H. Burum
Musique : Pino Donaggio
Montage : Robert Dalva, Paul Hirsch et Bonnie Koheler. Montage Director’s Cut : Peet Gelderblom
Production : Gale Ann Hurd et Michael R. Joyce
Sociétés de production : Pacific Western
Société de distribution : Universal Pictures
Date de sortie en France : 30 septembre 1992
Genre : thriller

Etats-Unis – 1992