En 2007, Nadine Labaki nous faisait découvrir Caramel. Tourné en un mois et demi, le long-métrage nous emmène dans le monde des femmes du Beyrouth des années 2000. Un univers à la fois sensuel et écrasé par le poids des traditions d’un Liban à deux vitesses. Il nous est montré par le biais d’un salon de beauté : coiffure, maquillage et, bien sûr, épilation au caramel nous servent de prétextes à découvrir le quotidien de ces femmes d’Orient.
Elles sont quatre à travailler dans un salon de beauté, où elles coupent les cheveux et épilent à l’orientale, avec du caramel chaud. Rien que par son titre, et cette pratique à la fois gourmande et douloureuse, Caramel s’annonce comme un film très sensuel, et paradoxal, impression renforcée par les couleurs chaudes qui se dégagent de ce Beyrouth estival à la photographie sucrée – comme le caramel. Sensuel, le long-métrage le sera, comme si le monde des femmes ne pouvaient que l’être. Mystérieux aussi, et un rien secret, dissimulé derrière ce harem des temps modernes qu’est le salon de beauté – dont les clientes sont presque toutes des femmes. Car nos protagonistes ont toutes un secret, ou au moins une particularité. Quelque chose qui fait que leur vie ne se déroule pas aussi aisément qu’elle le devrait. C’est que le Beyrouth des années 2000, qui nous donne à voir encore un Liban sinon prospère, du moins fonctionnel, est marqué par ces spécificités très libanaises que sont ces religions qui cohabitent, mais aussi ces deux vitesses, la modernité occidentale et la tradition orientale, au milieu desquelles, hommes, et surtout femmes, cherchent encore leur chemin.
Layale, la première, incarnée par la réalisatrice, et patronne du salon, est la maîtresse d’un homme marié – elle est chrétienne. Honte étouffée et relation malmenée par des difficultés très orientales, tels que l’impossibilité à réserver une chambre d’hôtel en tant que femme célibataire ! Dans le même genre scandaleux, Yasmine Al Masri incarne Nisrine, fiancée musulmane dont on croit qu’elle est vierge, qui ne sait comment remédier à cet hymen non intact… Jamale (Gisèle Aoud) est une comédienne vieillissante qui ment sur son âge pour enchaîner des castings tristes. Enfin, Joanna Moukarzel prête ses traits à Rima, une jeune lesbienne qui ne peut l’avouer au grand jour. Toutes sont réduites à poursuivre l’amour, ou au moins le regard de l’autre, de manière oblique, sans jamais pouvoir faire preuve de franchise – sauf entre elles, à l’abri des murs du salon de beauté. A ces quatre femmes s’ajoute une dame âgée, Rose (Sihame Haddad), dont la soeur (Aziza Semaan), troublée mentalement, l’empêche de vivre une dernière histoire d’amour.
Pas de happy ending pour toutes ces dames, qui s’accommodent de la situation du mieux qu’elles le peuvent. Caramel n’est pas une comédie romantique. C’est un film dramatique qui, derrière sa poésie, se veut réaliste, comme un témoignage. C’est ainsi que Nadine Labaki nous parle de son pays, le Liban, et de son Beyrouth, à cheval entre occident et orient, terre de contrastes où se marient non seulement les deux religions, mais aussi une envie de liberté dans une société très passéiste, mélange somme toute très libanais. Le caramel n’est en fait qu’un prétexte, qu’une cristallisation de cette vie de femme, qui à l’image de l’épilation, teinte la beauté de souffrance.
Pour nous conter ces histoires qui s’enchevêtrent, la réalisatrice use d’une caméra curieuse, un brin fouineuse, de points de vue qui, dans leur silence, attendent du spectateur qu’il s’interroge, voire qu’il juge ou remette en questions. La photographie répond aux scènes d’intérieur du salon : sensualité, espoir, mais aussi touffeur… de ces traditions, cette morale qui rendent mou, en même temps que soumis. Qui endorment et répriment suavement les passions humaines, les plus rebelles incluses. Derrière son titre et son synopsis féminins et gourmands, le long-métrage de Nadine Labaki se veut comme un appel à vivre et à désirer, à franchir ce qui doit l’être. Un film somme toute très féminin, qui parlera à tous les sexes, mais qui portent néanmoins la spécificité d’un regard de femme – un regard concerné – l’un de ses atouts majeurs.
Caramel, à l’image de son titre, est un film double : si l’on se régale de sa saveur sucrée, on ne reste pas pour autant indifférent à sa chaleur et à sa sensualité dans ce presque huis clos féminin. Touché. Nadine Labaki réussit le pari, dans un film plutôt interrogatif, de nous faire nous souvenir, soupeser, évaluer, à l’aune de notre société occidentale qui a connu – et connaît toujours – ce type de contrastes.
Bande-annonce : Caramel
Fiche technique :
Titre : Caramel
Réalisation : Nadine Labaki,
Casting : Nadine Labaki, Yasmine Al Masri, Gisèle Aoud, Joanna Moukarzel, Sihame Haddad, Aziza Semaan, Adel Karam
Scénario : Nadine Labaki, Jihad Hojeily, Rodney Al Haddad
Musique : Khaled Mouzanar
Photographie : Yves Selmaoui
Pays d’origine : France, Liban
Genre : comédie drame
Durée : 96 minutes
Date de sortie : 2007