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Rétrospective David Fincher: Fight Club, critique du film

David Fincher nous avait habitué à ses thrillers sombres et désabusés, ainsi qu’à des twists surprenants, mais personne n’avait vu venir la claque Fight Club, un uppercut à la face d’un monde castrateur dirigé par le pouvoir des images et le consumérisme à tout-va.

Synopsis : Un employé d’une grosse compagnie travaille beaucoup, trop même. De déplacements en déplacements, il finit par perdre ses repères et se perdre lui-même. Jusqu’à ce qu’il rencontre celui qui va changer sa vision du monde : Tyler Durden.

Il serait temps de bafouer les deux premières règles du Fight Club!

« Film culte ». « Film générationnel ». Tels sont les deux qualificatifs qui reviennent le plus souvent lorsque l’on évoque Fight Club. Mais comment un film qui, à sa sortie, a connu un semi-échec commercial (un box-office de 37 millions sur le sol américain, 100 à l’international, pour un budget de 63 millions) a-t-il fini par acquérir un pareil statut ? Sans doute grâce à la prise de conscience qu’il a su générer chez son public sur un problème de société qui, n’allant qu’en s’aggravant, n’a fait qu’élargir proportionnellement son audimat. Mais la vérité est plus complexe, puisqu’aucun consensus n’existe véritablement à propos du quatrième film de David Fincher. Mais n’est-ce pas là le propre de toute œuvre à ce point radicale et pensée comme une rupture avec le conformisme bien-pensant en vigueur dans l’industrie hollywoodienne ?

A l’origine du film, existe un livre. Publié en 1996, Fight Club est le titre du premier roman de Chuck Palahniuk, rapidement promu au rang de best-seller. L’univers de Palahniuk semblait prédisposé à s’accorder à celui de Fincher, qui avait prouvé son gout pour les microcosmes masculins et la peinture des névroses sociétales. Le scénario qui allait en découler, l’histoire de la création, par un schizophrène, d’une secte conspirationniste et anarcho-terroriste, aurait pu sembler tiré par les cheveux et avait même de quoi faire peur aux décideurs financiers hollywoodiens, mais ceux-ci ont su flairer que, en cette fin de siècle, sa teneur subversive attirerait le public. Si Fincher a voulu en acquérir les droits, il fut doublé par les studios de la 20th Century Fox (qui pensaient en remettre la réalisation à Bryan Singer ou Peter Jackson), ceux-là même avec qui il s’était promis de ne plus travailler après l’expérience difficile que fut Alien³. Autant dire que la collaboration s’annonçait risquée. Fort heureusement le succès de ses deux films précédents lui permirent d’acquérir une quasi-totale liberté artistique qui aboutit à une adaptation tout à la fois fidèle sur le fond et personnelle sur la forme.

Un appel non pas à la révolte mais à la fin de la complaisance

De prime abord, le film est un pamphlet contre la société de consommation et la philosophie mercantiliste issue de l’utra-libéralisme en vigueur. Un discours qui peut apparaitre comme source d’un certain cynisme opportuniste de la part d’un ancien réalisateur de pubs. Mais le processus de Fincher est au contraire dans la pure continuité de ses  précédents films. Avec la même véhémence qu’il égratignait les limites de la morale religieuse dans Seven, dans lequel le tueur agissait par « dégoût envers une société décadente », il fait partager à ses personnages un sentiment de rejet similaire. Le réalisateur prend un recul évident avec ce comportement en s’amusant, au contraire, à jouer avec les codes d’un consumérisme, dont il prouve sa maitrise à travers une multiplication des placements de produits qui ancre toujours plus le récit dans une réalité palpable. C’est donc uniquement à travers le regard désabusé du personnage d’Edward Norton, que nous fait partager une voix-off omniprésente et que Fincher prend soin à mettre en image selon ce détournement d’une grammaire cinématographique issue de la publicité, que cette distanciation vis-à-vis de la société de consommation va devenir explicite.

Que ce petit cadre reste, tout du long, anonyme et soit interprété par un acteur au faciès des plus banals (Edward Norton n’était alors connu que pour son rôle –à l’inverse très physique– dans l’excellent American History X) aident le spectateur à s’identifier à cet homme en pleine dépression. Cette empathie, ainsi qu’une mise en scène laissant habilement planer le trouble sur la limite entre la réalité et le fantasme, vont ainsi créer un effet implicite de partage, d’abord d’attraction pour Marla, fortement érotisée à l’écran, puis de ce besoin viscéral de se défouler que viendra cristalliser Tyler Durden. Que celui-ci soit interprété par Brad Pitt, acteur glamour s’il en est, participe à ce malaise dans l’attrait qu’il insuffle à cette descente aux enfers. Car ce personnage incarne une forme de spirale dans la violence que Fincher fait justement apparaître comme une menace. Si, dans un premier temps, il incarne cette envie de maîtrise sur le monde, notamment lorsqu’il invite l’employé d’une station-service à s’émanciper et réaliser ses rêves, dans un second temps, son « Projet Chaos » n’est rien de plus qu’une affirmation de ses pulsions autodestructrices. Ainsi, selon Fincher, le nihilisme ne mène à rien de salutaire, savoir s’affirmer en tant qu’être au sein de cette société de consommation étant l’unique alternative envisageable.

Comment taxer de nihiliste un film dans lequel l’amour sauve des pulsions de mort?

En aucun cas, une totale émancipation vis-à-vis des images publicitaires, érigées en nouveau dogme religieux, telle qu’elle est prônée par son personnage n’apparaît comme une solution viable. Lorsque le narrateur prétend aller dans le sens opposé à ce formatage en voulant  « détruire quelque chose de beau», ce n’est que pour justifier l’expression de ses instincts primitifs après avoir passé à tabac le personnage aux allures de métrosexuel incarné par Jared Leto auquel il reproche de n’être qu’une image figée alors que lui-même se prétend d’une imperfection libératrice. Et pourtant, d’images, Fight Club n’en manque pas. Il est même le film de David Fincher qui les manipule le mieux pour aliéner, non plus la limite entre la diégèse et les hallucinations de son personnage, mais entre le film et la réalité, dans la continuité de ce qui fut fait dans The Game. A plusieurs reprises, il met en évidence la pellicule du film, et en particulier lorsqu’un sexe masculin est inséré dans l’image finale et que Tyler s’adresse directement à la caméra. Si la première de ces deux provocations est avant tout une référence interne, elle rappelle surtout que nous sommes face à un film… retouché par Tyler lui-même. Ces deux dispositifs brisent ainsi à leur façon le quatrième mur pour mieux prendre à partie le spectateur. C’est alors à lui, et à lui seul, de décider quelle posture à prendre face à ce discours radical. Mais il semble que beaucoup de spectateurs n’aient pas été en mesure de prendre position et aient pris le discours contenu dans le métrage au pied de la lettre.

Grâce à son twist final devenu une référence, mais aussi grâce à la virtuosité de sa mise en abyme via un traitement visuel et sonore incomparable, David Fincher a su se dédouaner totalement des reproches que ses détracteurs (à commencer par cette analyse) ont pu faire à son film : Creux, anarchiste, machiste, crypto-gay voir même fasciste. Mais parce qu’il est une fable protestataire qui reflète avec une virulence astucieuse et un fatalisme déprimant son époque, Fight Club est, et restera, une œuvre majeure du cinéma contemporain.

Ecrit avec le soutien d’Alexandre

Fight Club : Bande-annonce

Fight Club : Fiche technique

Réalisation : David Fincher
Scénario : Jim Uhls d’après le roman Fight Club de Chuck Palanhiuk.
Interprétation : Edward Norton (le narrateur),Brad Pitt (Tyler Durden), Helena Bonham Carter (Marla Singer), Meat Loaf (Bob), Zach Grenier (Richard Chesler), Jared Leto (Gueule d’ange)…
Photographie : Jeff Cronenweth
Montage : James Haygood
Musique : Dust Brothers
Décors : Alex McDowell
Costumes : Michael Kaplan
Production : Fox 2000 pictures, Regency Enterprise, Taurus Film
Distribution : 20th Century Fox
Genre : Thriller, Comédie dramatique
Durée : 139 minutes
Date de sortie française : 10 Novembre 1999

Etats-Unis – 1999

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