Le Ciel Attendra : Rencontre avec la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar

Rencontre avec l’équipe du film Le Ciel Attendra  (au cinéma le 5 octobre)

Il y a deux ans, Marie-Castille Mention-Schaar présentait son deuxième long-métrage, Les Héritiers, une histoire inspirée de faits réels puisqu’elle racontait la participation de la pire classe de Seconde du Lycée Léon Blum de Créteil, à un concours d’histoire. Deux ans après, la réalisatrice frappe à nouveau du poing et signe Le Ciel Attendra, un récit sur le processus d’embrigadement. Qui peut bien se cacher derrière une telle sensibilité, une telle volonté de dire tout haut ce que l’on ose à peine penser tout bas ? Entourée de ses deux actrices fétiches, Noémie Merlant et Naomie Amarger, Marie-Castille Mention-Schaar livre ses intentions et ses petits secrets de tournage.

« On se tient la main partout où on va »

Les trois femmes entrent dans la salle main dans la main, ce qui interpelle le présentateur de la soirée : « C’est rare de voir arriver l’équipe d’un film qui se tient par la main ».

Marie-Castille Mention-Schaar : « On se tient la main partout où on va, on ne se lâche plus. Ça nous donne de la force ». 

On retrouve dans Le Ciel Attendra, la même équipe et le même casting que dans Les Héritiers (le premier film de la réalisatrice). Ce choix était évident pour vous ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « J’avais très envie de retravailler avec Noémie et Naomi. Ce sont deux actrices qui m’inspirent beaucoup. Au départ, je n’avais pas prévu de faire ce film, mais je me suis rendu compte que j’avais envie d’écrire pour elles ». 

Comment s’est déroulé le tournage ? Quelle a été la part d’improvisation ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « Je laisse toujours une place à l’imagination. Je me suis inspirée de la façon dont Naomi regarde les gens, comment elle se comporte, comment elle observe. Elle a quelque chose de très personnel et je voulais qu’elle en imprègne le personnage de Mélanie. Chez Noémie, ça se passe plus à l’intérieur. C’est quelqu’un de très généreux quand elle joue. Ça vient des tripes, comme chez Sandrine Bonnaire. Pour les parents, je voulais que ce soit le plus naturel possible, qu’ils s’approprient leur histoire. Je leur ai laissé choisir le prénom de leur enfant, j’en ai marié certains qui allaient bien ensemble. Ensuite, j’ai noté toutes les histoires sur des fiches que j’ai données à Dounia (qui joue son propre rôle dans le film). Elle avait l’impression d’avoir des parents comme elle en reçoit tous les jours dans son métier et eux étaient en mesure de lui répondre ». 

« J’avais envie de parler de filles »

Avez-vous rencontré des jeunes filles qui ont vécu les épreuves que l’ont peut voir dans le film ? Comment vous-êtes vous imprégnées de leurs récits ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « Je voulais les entendre dans une parole très libre. Donc je ne me suis pas présentée comme une cinéaste mais comme étant rattachée à l’équipe de Dounia. J’ai écouté leurs histoires et je les ai accompagnées durant plusieurs séances. Je voulais être une éponge. Prendre les regards, les mots mais aussi les silences ». 

Noémie Merlant (Sonia) : « J’ai beaucoup échangé avec l’une des jeunes filles, on a eu un lien très fort. Je l’ai écoutée parler de la vie, de la mort, de la quête de sens. On s’est trouvé beaucoup de points communs. Elle s’est complètement livrée à moi et j’ai trouvé ça très courageux, très beau. Elle m’a expliqué que beaucoup d’entre elles gardent la foi après le processus de dé-radicalisation et je trouve ça très beau. C’est difficile, il leur faut retrouver un idéal qu’elles ont perdu. Elle m’a aussi appris qu’il ne fallait pas faire d’amalgame entre l’Islam et l’extrémisme. Et pour le jeu, une fois que l’on a entendu toutes ces choses, on se sert de ce qu’on nous a donné, de ce qu’on nous a dit, de ce que Marie-Castille nous dit et on y va, c’est parti ». 

Naomi Amarger (Mélanie) : « J’ai aussi rencontré cette jeune fille mais un peu plus tard que Noémie. Je savais très peu de choses sur l’embrigadement, j’avais beaucoup d’a prioris. Là était tout l’enjeu. Je ne comprenais pas comment c’était possible de rentrer là-dedans, je pensais qu’ils s’attaquaient uniquement à des ados fragiles. Je n’arrivais pas à me dire que ça pouvait m’arriver. Alors j’ai lu des livres, regardé des documentaires pour comprendre. Quand j’ai rencontré cette jeune fille, je savais que c’était elle qui allait m’apprendre le processus de prière mais je ne savais pas qu’elle avait été embrigadée, qu’elle avait traversé ce que mon personnage traverse dans le film. Je me suis rendue compte qu’en fait, elle était comme moi ». 

Les jeunes filles que vous avez rencontrées ont-elles vu le film ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « Il y a eu une première projection le 5 juin pour une centaine de familles qui avaient été touchées par cette situation ou le sont encore, et une trentaine de jeunes filles que j’avais rencontrées. C’était une séance très spéciale, avec beaucoup d’émotions, beaucoup de larmes. Et malgré toutes les personnalités différentes présentes, elle se sont toutes reconnues dans le film. Elles disaient « C’est moi, c’est mon histoire ». Là j’ai pensé que je n’étais peut-être pas complètement à côté de la plaque ».

La notion de vérité est tellement fragile et vous le faites ressortir à merveille dans le film. Cette chute dans l’extrême qu’est la radicalité. Par contre, vous abordez dans votre film le point de vue de jeunes filles, pourquoi pas celui de jeunes hommes ?  Peut-être dans Le Ciel Attendra 2 [rire] ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « C’est drôle, on m’a déjà posé la question et non, il n’y aura pas de 2 sur des garçons [rire]. J’ai envie de faire quelque chose de plus léger. Plus sérieusement, il n’y avait pas de choix à faire. J’avais envie de parler de filles. Je suis maman, j’ai moi-même une fille de quatorze ans et les témoignages que j’ai pu lire sur ces jeunes filles de son âge qui sont parties de chez elles, m’ont plongée en plein désarroi. Je voulais comprendre, pour moi ce ne sont que des bébés. Même avant que j’aie l’idée d’en faire un film, je voulais le comprendre pour moi. Alors j’ai pris contact avec une famille dont la fille était partie en Syrie. Personne n’a rien vu venir. J’avais envie de lui parler, de lui poser des questions, mais elle n’était malheureusement pas là pour y répondre. Ça a renforcé le mystère ». 

Noémie Merlant : « Il y a 40% dans les embrigadés qui sont des filles et 50% sont converties. Finalement elles représentent une minorité. Je trouve ça important d’en parler ».

Marie-Castille Mention-Schaar : « Et puis pour les garçons c’est assez différent. Le processus d’embrigadement  joue davantage sur l’aspect du héros capable de sauver le monde comme dans les jeux vidéos ou les films hollywoodiens. Et puis c’est souvent l’âge où l’on se cherche, on commence à fumer, à boire … DAESH se présente alors comme un rempart contre ses propres vices ». 

« La promesse du Paradis est quelque chose de tellement fort dans tous les récits de ces jeunes filles »

C’est un magnifique film coup de poing. Quel a été l’impact des attentats du 13 novembre sur le projet ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « Le tournage a commencé le 16 novembre. Une date pas facile. Le week-end a été difficile pour moi. Je me suis demandé si je n’allais pas tout arrêter. Les filles sont venues et on en a beaucoup parlé. J’avais surtout peur pour elles, de leur faire porter quelque chose de très lourd, pendant mais aussi après le tournage. Et puis je me suis dit qu’il fallait peut être encore plus le faire, pour essayer, quelque part, de changer un peu les choses. Le 16 novembre au matin, comme avant chaque début de tournage, j’ai organisé un « Cercle d’amour ». On s’est tous pris les mains pour partager notre force. Tout le monde savait pourquoi il était là et tout le monde avait l’impression d’être à sa place ». 

Le film est loin du documentaire, il est très beau car il est fait de suggestions. Comme  la relation entre Zinedine Soualem et sa fille.

Marie-Castille Mention-Schaar : « Le personnage de Zinedine Soualem est très représentatif de l’attitude des papas. C’est un papa complètement désemparé, qui a perdu sa petite fille. Il a beaucoup de mauvaises réactions, mais son geste est peut-être le plus beau. Il est là et il sera là demain (en référence à l’une des scènes du film). Face à ces situations, les papas ressentent souvent un sentiment de honte, ce sont de petits animaux blessés. Lors des séances de discussions auxquelles j’ai pu assister, j’ai vu des papas super costauds fondre en larmes. Ce sont souvent les plus émouvants ». 

Comment l’idée du titre vous est-elle venue ?

Marie-Castille Mention-Schaar : « La promesse du Paradis est quelque chose de tellement fort dans tous les récits de ces jeunes filles. C’est quelque chose qui serait mieux que la vie. Pour moi, la vie est plus fort que la mort. Donc le ciel attendra ». 

Le Ciel Attendra de Marie-Castille Mention-Schaar : Bande annonce

Le Ciel Attendra : Fiche technique

Interprétation : Sandrine Bonnaire (Catherine), Noémie Merlant (Sonia Bouzaria), Clotilde Courau (Sylvie), Zinedine Soualem (Samir), Naomi Amarger (Mélanie Thenot), Sofia Lesaffre (Jamila)
Scénario : Marie-Castille Mention-Schaar et Emilie Frèche
Chef monteur : Benoît Quin
Chef costumier: Virginie Alba
Chef décoratrice : Valérie Faynot
Directeur de la photographie : Myriam Vinocour
Ingénieur du son : Dominique Levert
Monteur son : Nikolas Javelle
Productrice : Marie-Castille Mention-Schaar
Durée : 164 minutes
Date de sortie : 5 octobre 2016
France – 2016

Auteur : Yael Calvo