nicolas-giraud-l-astronaute

L’Astronaute : Interview de Nicolas Giraud

Nicolas Giraud n’est pas homme à disperser son attention. Quand il vous donne rendez-vous, c’est pour être avec vous. Là, tout de suite maintenant, et répondre à vos questions comme si chacune était la plus importante de la journée. Or, ce respect absolu qu’il accorde à son interlocuteur, c’est celui qu’il porte au spectateur en tant que réalisateur. L’Astronaute est un film qui vibre au besoin de faire les choses bien et en grand, à celui d’être mais pas n’importe comment ni à n’importe quelles conditions. Bref, à cette exigence qui façonne les œuvres essentielles. Rencontre avec un artiste avec la tête dans les étoiles mais les pieds bien ancrés sur Terre. Comme son film.

« J’aimerais que Jim soit à l’espace ce que Rocky Balboa est à la boxe. »

Comment se passe la promo ?

Ça se passe bien, je suis content.  Je suis très pragmatique donc vraiment sur les faits, et au moment où on se parle ouais, ça se passe très bien. Le film est là, le public aussi. Sa joie, son plaisir est là. Comme vous, et la critique aussi. Maintenant c’est vous ma voix, moi j’ai fini de parler. Ou plutôt c’est le film maintenant qui parle, et c’est vous qui êtes sa voix.

L’astronaute est ce qu’on peut appeler un projet fou, surtout dans le cadre du cinéma français. Entre le scénario et le montage du film, il y a dû y avoir un chemin aussi semé d’embuches que celui de Jim, votre personnage, pour aller dans l’espace.

C’est exactement ça. J’aime la mise en abîme. Évidemment que tous les défis que Jim a dû relever pour construire sa fusée, j’ai dû les relever en tant qu’auteur-réalisateur pour faire le film. Mais c’est précisément ce qui m’intéresse. Je crois qu’un individu se révèle dans les contraintes et les épreuves. Ça peut-être la même chose pour un sportif, un artisan, n’importe qui. C’est quand les choses sont difficiles que tu découvres à quel point tu as envie et besoin de raconter telle ou telle histoire, de mener telle entreprise ou de suivre ton instinct. Ça ne s’est pas fait facilement. Mais comme la fusée de Jim, c’est ce qui donnera toute la valeur au projet.

Plus qu’un film sur un outsider, j’ai l’impression que L’Astronaute est une lettre d’amour à la figure de l’outsider. Et vous le confrontez au plus grand défi qu’un outsider puisse trouver : aller dans l’espace.

Oui, je crois… L’espace, se rapprocher du cosmos, de l’infini, de cette zone ou l’équilibre est l’ingrédient premier, où tu touches à la vie et à la mort au même instant. C’est une envie de partage absolu, de ce que c’est qu’incarner son propos et aller vers un objectif de réalisation ultime. Pour Jim c’est sa fusée, pour moi c’est ma passion du cinéma, de l’expérience en salles, collective. Du partage de compétences, de l’énergie qui circule, qui nous environne, qui nous constitue. Il y a quelque chose de philosophique là-dedans. Même si j’ai pas envie de mettre de l’intellectuel je le laisse à penser, je le laisse à ressentir. Et surtout je laisse l’espace à chacune et chacun de vibrer avec ce qu’il reçoit. Ça, ça m’importe beaucoup.

« Je ne fais pas un film d’espace, je fais un film qui va Dans l’espace.« 

C’est vrai que tout le monde peut se réapproprier la quête de Jim. Et je trouve que ça passe aussi par la réappropriation populaire de l’espace, qui a été un peu confisqué- comme tout ce qui touche à l’imaginaire dit « geek » – par des intérêts corporatistes ces dernières années. Cette volonté de refaire de l’espace un rêve populaire, c’était important pour vous ?

Évidemment, merci de le relever. L’argent c’est quelque chose de très horizontal, qui peut donner de grandes lignes verticales. Ça peut apporter beaucoup d’émotions, de joies, mais aussi de malheurs et de destructions. Là encore je reste à ma place. Je ne suis pas spécialiste en géopolitique, ni un industriel. Je suis un passionné de l’articulation du sentiment et de l’émotion, et du être au présent le plus possible.

Mais évidemment à travers L’Astronaute, à travers Jim, à travers l’aventure humaine de ce groupe de cinq personnes, je souhaite redonner un accès différent à la réalisation d’un rêve, à l’engagement que ça représente. Si je dis que c’est possible, que tout est possible, je ne dis pas que c’est simple, ni que c’est facile. Ça prend du temps, ça réclame beaucoup d’énergie, d’engagement et de courage. D’humilité et d’ambitions aussi, c’est pas contradictoire. Pour faire un projet comme celui-ci, l’un va avec l’autre: il faut être humble et ambitieux en même temps. C’est ça que je veux partager.

L’espace n’appartient à personne. Bien sûr qu’il y a des pays, des puissances économiques, qui veulent se l’accaparer. Mais je crois que l’univers sera là pour nous rappeler à toutes et tous que nous on est invité ici-bas, sur cette terre. A nous d’en prendre soin, d’être conscient, de l’aimer un peu mieux. Et Jim ne fait pas ça pour la conquête spatiale ; il fait ça pour une réalisation personnelle. Il restaure la mémoire et le rêve de son grand-père. Et en faisant cette action, en allant au bout de son engagement, tout en étant en orbite dans l’espace il arrive à soigner sa famille. Je crois que je fais des films de mécaniciens, de réparateurs. Dans mon premier long-métrage j’étais déjà en bleu de travail, j’étais mécanicien sur des moteurs de cargo. Et là je me retrouve à nouveau dans un bleu de travail, à construire une fusée dans une grange.

C’est aussi la qualité du film. Il y a une crédibilité analogique, matérielle dans un scénario qui pourrait-être farfelu, extravagant. A quel point vous avez travaillé la crédibilité scientifique de votre récit pour le rendre aussi plausible, et donc accessible au spectateur ?

Vous savez, avant d’être réalisateur et acteur j’étais spectateur, et je continuerais à l’être. J’ai tout reçu du cinéma. Je me suis cultivé grâce au cinéma, j’ai été ému grâce au cinéma, je grandis grâce au cinéma. Donc en tant que réalisateur, je souhaite offrir au spectateur une émotion, un sentiment, une vibration qui doit se rapprocher le plus possible de ce que j’ai reçu et de ce que je continue de recevoir.

L’Astronaute je l’ai construit en effet avec le souci premier de la crédibilité, du réalisme. Et ma chance c’est que le producteur du film Christophe Rossignon me fait rencontrer Jean-François Clervoy, un vrai astronaute qui est allé trois fois dans l’espace. Ma chance, c’est qu’il a une compréhension vive de mon projet. C’est à lui que je dis que dans l’idéal, j’aimerais que Jim soit à l’espace ce que Rocky Balboa est à la boxe. Il a tout de suite compris cette image. Grâce à lui, j’ai tout le réalisme technique, scientifique, humain, et je viens coupler là-dessus mon imaginaire, mon prisme à moi, mon vecteur visuel et sonore. Et derrière ça il y a un groupe qui nous rejoint et là, comme je le dis tout devient possible.

J’ai accès aux pièces, j’ai accès à la puissance industrielle d’une telle société. Et à l’intérieur de celle-ci je peux développer mon projet humain et scientifique. Une fusée c’est quoi ? C’est une puissance qui cherche l’équilibre en permanence pour pouvoir traverser l’atmosphère. C’est ma manière de faire : trouver l’équilibre entre la technologie, l’émotionnel, la direction artistique, là encore la confiance que j’ai du public. J’ai confiance en son intelligence, en son émotion, et j’ai pas envie tout sigler, marquer, expliquer. Je veux donner à ressentir.

« Être un être humain en vie, c’est être dans la combustion de son énergie. Pas pour te déchirer mais pour vivre, pour avancer. »

Ça doit-être dans l’air du temps, mais je trouve qu’il y a une volonté de remettre l’humain et son artisanat au cœur du progrès technologique. Quelque part c’est aussi qu’on trouvait dans Top Gun : Maverick,.Non pas avec des fusées mais des avions de combat… 

C’est intéressant… L’analogie avec Maverick c’est la vôtre je la respecte. Il y en a qui vont me parler d’autres réalisateurs ou réalisatrices prestigieuses. J’en suis honoré, même si ça appartient à chacune et chacun. Mais bien sûr que l’être humain est au centre de tout.

Au début en France j’ai essuyé plein de refus. Je me pointe, et je veux faire un film sur une fusée, sur un garçon, un ingénieur qui veut construire sa propre fusée. On m’a dit, « Vous vous prenez pour qui, on n’est pas des Américains ». Mais je fais pas un film d’espace, je vais un film qui va Dans l’espace. Et je parle vraiment de l’être humain qui y va avec tout son potentiel, qui agrège autour de lui d’autres talents, et ensemble ils vont créer quelque chose de spécial. La vraie fusée, c’est l’être humain quand il choisit la bonne direction. Celle du partage, pas de la petite bienveillance polie. Celle de ne pouvoir être tout en un seul être. Et que l’humanité, c’est regarder les autres, écouter les autres, c’est se regarder soit aussi, et s’écouter. C’est ne pas chercher la concorde en permanence, c’est oser être imparfait, être en construction.

 C’est finalement toute la trajectoire de votre personnage : il doit accepter de ne pas pouvoir tout faire tout seul, et de se transcender dans une équipe.

Exactement. C’est ça. Je suis l’initiateur de ce projet, ici-bas, mais sans les autres je le réalise pas. C’est grâce au talent de mon chef opérateur Renaud Chassaing, qui a eu la réponse à la lumière que je cherchais, à la direction artistique lumineuse que je cherchais. C’est grâce à Gabriel Legeleux (dit Superpoze), mon compositeur, que je réussis à obtenir les sons que j’avais dans la tête, car c‘est lui qui les construit qui les assemble. Et ça on peut le développer sur tous les postes. Le job d’un réalisateur, c’est de bien choisir les personnes qui vont l’accompagner. Bien sûr qu’à la fin c’est moi qui choisis, c’est moi qui ordonne. Mais sans les autres L’Astronaute n’existe pas.

Et sans le spectateur. Vous lui donnez l’impression qu’il participe à quelque chose de plus grand que lui-même. 

J’en suis ravi. Je crois que c’est le respect que j’ai par rapport au spectateur que j’ai été, que je suis, que je serai. Et la confiance et la considération de toutes celles et ceux qui sont autour de moi, du monde, de l’être humain. Et tant mieux si ce film… Le cinéma a changé ma vie. Tant mieux si ça peut donner quelque chose.

Vous posez les bases de votre projet tout de suite. D’aucuns auraient adopté un regard extérieur et conduit au portrait d’un doux-dingue piégé dans son rêve. Là vous adoptez le point de vue de Jim : tout ce qui se passe est vu et ressenti avec sa ferveur, sa croyance, sa concentration. Comment vous avez fait pour immédiatement instaurer ce postulat ?

Parce que je suis comme ça. Parce que ce que vis Jim, je le vis pour faire le film, je suis ce réalisateur-là. Je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Si vous demandez à un peintre pourquoi vous avez peint comme ça, il dirait mais parce que c’est mon expression.

Ce qui est certain c’est que je voulais pas faire une blague, ni un conte ou une fable. C’est du sérieux. Mais dans le sérieux ça veut pas dire se prendre au sérieux, mais faire les choses sérieusement. On ne fait pas une fusée en rigolant. Il y a de la joie, du stress, du bonheur, des moments de félicité et de grandes difficultés. Tout cela je le partage avec Jim, et Jim l’a partagé avec moi.

Je pose la base dès le début. Il y a un jeune homme qui court à l’aurore, les choses importantes appartiennent à ceux qui se lèvent tôt. Le bonheur ET de bonne heure : il y a les deux termes. Tu ne fais pas un bon vin comme ça, en pressant du raisin, il y a un savoir-faire. Tu ne fais pas une maison en quinze jours, tu ne fais pas une fusée en trois mois. C’est pareil pour un film, et c’est pareil pour un individu.

« Je me fous du fun. Le fun n’a rien à voir avec l’art, avec le courage dosé, proposé aux autres, au monde. »

La mise en scène est façonnée comme l’état d’esprit de Jim : « sharp ». Concentrée, sereine, faisant abstraction de tout le bruit du monde extérieur. Affutée comme l’esprit d’un samouraï.

Oui. C’est pas moi qui fait la lumière c’est le chef opérateur, mais je cadre, au millimètre. Il est fort probable que je sois comme ça de nature. Avant d’être acteur j’étais prothésiste dentaire. J’aime la précision de la parole, de la pensée, de l’être. Et donc forcément vous le ressentez dans ma mise en scène.

Il n’y avait pas d’improvisations sur le plateau. Il y avait de l’ouverture, de la préparation pour être prêt à l’imprévu, parce que c’est beaucoup ça sur un plateau, il faut pas se tromper. Mais j’étais pas en train de me dire « Comment je vais faire ? », j’ai beaucoup travaillé avant. C’est la même chose qu’un joueur de tennis, il va se mettre à trouver son jeu, son style sur le court. Il travaille, il passe des heures et des heures à travailler ses gestes, les petits pas, le rythme, pour être prêt pour le moment où il y a de l’adversité en face. Comme un boxeur. Donc voilà je suis ce réalisateur-là, et j’en suis heureux.

 C’est un état d’esprit qui aurait pu aboutir à quelque chose d’austère, mais le film est empli de chaleur humaine. Je trouve que ça passe beaucoup par les acteurs. Est-ce que c’était l’un des critères pour composer votre casting ?

Oui évidemment. J’ai écrit pour tous les acteurs que vous voyez dans le film. La première personne à qui je pense c’est Hélène Vincent, parce que c’est ma muse. Elle était déjà la grand-mère du petit garçon que je ne pouvais pas incarner dans Du Soleil dans mes Yeux, mais qui me représentait quand j’étais enfant. Là elle est ma grand-mère en direct. J’ai écrit pour Hippolyte Girardot, j’ai écrit pour Mathieu Kassovitz j’ai écrit pour Bruno Lochet, j’ai espéré Ayumi Roux, qui a incarné Izumi Sayako et que m’a présenté Marion Touitou la directrice de casting…

Il y a pas plus grande chaleur que la chaleur humaine. En plus j’ai adoré faire ce film. C’est un film dans l’hiver hivernal, la nuit est glacée. Il y a la chaleur de la fusée, de la propulsion, de la combustion. Être un être humain en vie, c’est être dans la combustion de son énergie. Pas pour te déchirer mais pour vivre, pour avancer.

C’est vrai que les films qui se déroulent en hiver, dans des coins de campagne reculés, dépeignent souvent une réalité froide, dans laquelle on a pas envie de se retrouver. Là c’est l’inverse : on s’y sent bien et on a envie d’y être.

Parce que j’aime toutes les saisons. Vous ne me verrez pas manger des fraises au mois de janvier. Il y a un temps pour tout. La nature doit se reposer l’hiver, mais pas nos idées. Chaque saison porte en elle les fruits de la vie, des moyens d’expressions. Et il y a rien de mieux qu’un climat tempéré : la nuance, le mouvement, c’est ça la vie. C’est ça que je chéris. C’est pour ça que vous vous êtes sentis bien dans cet hiver froid, glacé par moment, mais qui réfléchit tout. Souvent j’allais chercher le reflet de la nature dans le lac, l’envers et l’endroit. Tout ça m’intéresse.

Finalement, ce n’est pas étonnant que Christophe Rossignon ait produit L’Astronaute. C’est quelqu’un qui aime faire des films ancrés et terriens, notamment à travers sa collaboration avec Christian Carion. Et vous, vous faites un film ancré et terrien, mais qui va dans l’espace.

C’est vrai que Christophe était le producteur idéal pour m’accompagner. Le cœur de L’Astronaute est fait en effet de la terre, du milieu oculaire voir terrien, agricole, modeste, au contact des saisons. Et en même temps l’ingénierie, le milieu, le domaine spatial qui est une de ses passions et ça je l’ignorais. Je l’ai découvert en le rencontrant. C’est ça qui est intéressant. J’aime son travail, j’aime les films qu’il a produit, il est audacieux… Et ma joie quand j’ai découvert qu’il était passionné par l’espace… Il m’a ouvert les portes, et moi j’avais la réponse émotionnelle et cinématographique. Et à nous deux, comme ArianeGroup et Jean-François Clervoy tout est devenu possible.

La force d’un projet, c’est quand tu associes des talents qui sont tous heureux d’être à leur place. Un plateau de cinéma, c’est l’exagération de la vie, une concentration. C’est un catalyseur. Et donc le merveilleux se catalyse, comme parfois le moins beau. Et il y a rien de plus chiant dans la vie qu’une personne qui est en face de toi et qui veut ta place. Non, occupe ta place. Sois qui tu es. Respecte de ne pas forcément avoir les capacités de celui ou celle qui te parle en face. Il n’y a rien de plus beau que d’être qui on est. Après si on a des velléités, si on a des fantasmes, des rêves ça c’est autre chose. Mais si par exemple un chef opérateur veut jouer au réalisateur c’est compliqué. Si un acteur veut jouer au réalisateur c’est compliqué, si un acteur veut jouer au réalisateur c’est compliqué, si un réalisateur veut jouer au producteur c’est compliqué. Mais quand chacun est heureux d’être là où il est wouah ! Là tu commences à avoir une énergie, de la propulsion.

« La vraie humilité, c’est de comprendre que tu es énormément en même temps presque rien. Jim il va aller un peu plus loin que les autres, et en même temps il va comprendre l’importance des autres. »

Beaucoup de réalisateurs auraient fait quelque chose de plus rockn’roll avec le film. Mais il y a une attente du merveilleux que vous refusez de sacrifier sur l’autel du fun, qui aurait été le plus petit dénominateur commun pour un tel projet.

Merveilleux, c’est marrant c’est le mot que j’utilise… Ben oui c’est exactement ça. Je crois en l’espace-temps. Je crois qu’il faut du temps pour devenir quelque chose ou quelqu’un. Tu ne deviens pas… Il faut du temps pour te structurer, pour te faire en un ce sens.  Je repense au premier film de Gabriel Le Bomin, dans lequel j’avais tourné, Les Fragments d’Antonin. Un film qui se déroulait pendant la guerre de 14, mais surtout racontait le début du soin psychologique des poilus qui revenaient du front. Il disait cette phrase : « Combien de temps faut-il pour faire un homme ; combien de temps faut-il pour le défaire ?». Et je crois que j’avais accepté de travailler avec lui et de participer avec lui pour cette phrase, que j’avais trouvé extrêmement belle et intelligente.

Je me fous du fun. Ne comptez pas sur moi pour faire un film 3D. Ne comptez pas sur moi non plus pour critiquer James Cameron ! Mais ne comptez pas sur moi pour ça. Le fun n’a rien à voir avec l’art, avec le courage dosé, proposé aux autres, au monde. Ce que tu es, ce en quoi tu crois, ce qui t’émeut. Ce que tu veux mettre en question, en partage. Pour moi le cinéma c’est pas une rigolade. Il y en a qui savent faire de la comédie c’est super mais moi non. Je préfère l’esprit.

J’adore L’innocent de Louis Garrel parce qu’il y a de l’esprit, il y a du romantique. Il y a une culture qui ne cherche pas à séduire la masse.  Pour moi à partir du moment où tu veux séduire tu n’es plus toi-même. En fait tu n’es pas toi-même parce que tu veux plaire à quelqu’un. Le seul moyen d’être heureux et de rendre heureux une personne c’est d’être soit même. J’ai dû comme Jim traverser des époques, du temps de solitude, d’isolement, pour après trouver des personnes du talent, du savoir-faire qui va me permettre de réaliser ce que je suis là.

Il y a cette idée de mission sacrée qui parcourt le film, mais pas dans le sens d’une injonction. Plus dans la beauté d’approcher et de faire cette quête, qui prend forme et sens devant nous.

(long silence). C’est là que les limites de l’interview apparaissent… Il y a les mots que l’on est en train de partager qui seront lus, et ça me ravit d’avance. Parce qu’on est là pour partager de l’information, des données qui peuvent apporter une compréhension, qui seront partagées. Qui donnent la vie…

En effet, Jim n’est pas tenu à une religion. Je ne connais rien aux religions. Ce sont des outils qui peuvent sauver des vies mais aussi les prendre. Là encore je reste à ma place. Tout ça me dépasse.

En revanche, l’extraordinaire, faut le débusquer. Il est là partout, autour de nous. Il est souvent très simple, très menu, subtil mais il est là. Et tant mieux si vous avez ressenti ça parce que je travaille pour ça, je SUIS grâce à ça. Mais là pour le coup quand je parle de sérieux, on peut dire les choses non pas avec ironie mais… Être sérieux ne doit pas nous empêcher d’être léger. J’ai mis du temps à le comprendre. Avant mon intensité était un poids, aujourd’hui c’est une force. Je ne suis plus effrayant ! Il y a 20 ans, j’étais effrayant par mon électricité. Dieu merci il y avait des gens qui me comprenaient, qui me recevaient et qui m’aimaient pour ça. Mais d’autres qui disaient il est fou Nicolas ! Non je ne suis pas fou mais j’étais jeune et il faut du temps pour trouver le calme.

On ne peut pas demander à un mec de 20 ans d’avoir le recul, la légèreté de l’expérience. C’est avec l’expérience et la réalisation de certaines choses que tu trouves ton calme. Il y a un temps pour tout dans la vie. L’erreur, c’est de vouloir être à 25 ans ce qu’on sera à 55. Là encore on revient aux saisons. Il faut respecter l’espace-temps. Il faut respecter ce qui nous arrive, et ce qui ne nous arrive pas. Ce qui nous arrive est un cadeau, ce qui ne nous arrive pas aussi. Je sais que parfois c’est difficile à recevoir, à comprendre, que quand tu reçois un coup ça te blesse. Mais c’est probablement en train de te sauver de quelque chose d’autre.

Il faut être humble face à la vie. C’est un mot galvaudé, il y a beaucoup de gens qui le disent. Mais la vraie humilité c’est de comprendre que tu es énormément en même temps presque rien. C’est ce que je souhaite partager avec L’Astronaute. Jim il va aller un peu plus loin que les autres, et en même temps il va comprendre l’importance des autres.

« J’ai confiance en l’intelligence du spectateur, en son émotion. J’ai pas envie tout sigler, marquer, expliquer. Je veux donner à ressentir. »

C’est un film qui s’exige à la délicatesse. Envers les personnages, ce qu’ils font,  ce qu’ils veulent faire… Vous faites passer plus de choses au spectateur en les lui murmurant à l’oreille qu’en les disant à haute voix.

Oui, parce que j’aime la délicatesse. Un jour, quelqu’un m’a dit que j’avais une brutale délicatesse. Tu peux être brutal pour défendre de la délicatesse. Là encore c’est pas antinomique, ça peut se comprendre, comme avoir de l’humilité et de l’ambition. C’est pas contraire. La délicatesse, ça rejoint la sensibilité, la concentration, la subtilité. J’ai confiance en l’émotion, lorsqu’une spectatrice ou spectateur vient s’asseoir, fait la démarche de sortir de chez lui, seul ou accompagné. Seul c’est encore plus fort, parce que ça veut dire que tu peux avoir une passion une forme de solitude, et que tu acceptes de te déplacer en position de pouvoir recevoir quelque chose.

Moi j’ai pas envie d’imposer des trucs, je les donne en partage, je les donne à sentir. Exactement comme vous avez dit. C’est ça que je veux partager. C’est mon langage. Je suis heureux d’entendre des gens qui voient le film et disent ouah vous m’avez fait rêver avec des bouts de métaux. Tant mieux.

Il y a un vrai fétichisme dans la manière dont vous filmez ces bouts de métaux. Ça me fait penser à certaines œuvres steampunks, qui s’approchent du métal pour extraire un imaginaire foisonnant.

Parce que j’aime la matière. Nous sommes matière organique, spirituel, physique. La matière qu’on transforme, qui nous environne, nous permet de nous élever. On s’inscrit dans la matière. Elle est distribuée, redistribuée, j’ai un rapport sensuel avec le vivant. C’est toi qui le rends vivant en le regardant. Tout est une question de point de vue, l’extraordinaire est partout. Des gens vont voir de l’ordinaire ben c’est ton attention c’est toi qui décides de trouver ça magique. Quand je vois des feuilles d’un arbre, je vois la même chose que nos veines. Aujourd’hui avec le numérique tout le monde a accès à des milliards d’images ça ouvre les consciences, ça peut aussi les embrumer. Mais ça appartient à chacun. Il y a de gens qui vont décider de voir mal quelque chose, et d’autres la capacité de le voir bien.

Avez-vous le film Ciel d’Octobre de Joe Johnston ?

J’ai jamais vu ce film mais on m’en a parlé… Ah mais je crois que c’est mon co-scénariste ! Et très vite non je ne veux pas voir d’images, je ne veux être que dans les miennes. Mais on m’en a parlé.

On ne doute jamais un seul instant des raisons pour lesquels Jim veut aller dans l’espace. Mais on découvre LA raison pour laquelle il veut y aller qu’à la toute fin…. C’est un équilibre incroyablement difficile à tenir, mais pourtant d’une évidence absolue. Comment avez-vous fait pour l’obtenir ?

Je vais être synthétique parce que… Le secret, ce n’est pas la vie mais c’est aussi la vie. Et en effet, la fin du film… On peut en parler, tout le monde en parle et tout le monde respecte la fin. Personne ne la voit venir ! Et de la même manière, je ne dirais pas la dernière réplique du film. Mais qu’est-ce que je suis heureux d’avoir terminé L’Astronaute avec ce mot. Et ça aussi on ne l’a jamais fait. Mais on n’a pas non plus fait décoller une fusée amateur de la même manière que Jim le fait; Parfois, c’est pas nécessaire de tout comprendre. Le cadeau n’est pas dans la compréhension il est dans ce qu’on reçoit on le découvrant.

 

 

Rédacteur LeMagduCiné