Co-rédacteurs en chef du second numéro de L’Infini Détail, Muriel Cinque et Guillaume Banniard reviennent pour Le Mag du Ciné sur cette nouvelle publication, contenant notamment le premier dossier de fond jamais publié sur Antonia Bird, réalisatrice native de Londres dont la filmographie demeure largement méconnue.
À qui s’adresse L’Infini Détail ? Autour de quels valeurs ou objectifs s’articule le magazine ?
Muriel Cinque : Ce magazine est tout simplement né d’une passion commune pour le septième art et les autres. Il s’adresse ainsi à tous ceux ayant l’envie de partager ensemble ce qui rend le monde plus beau. Dès les balbutiements de la revue, il n’était pas question pour les rédacteurs de céder au moindre phénomène de mode. Ce qui meut notre équipe est de faire connaître ce qui lui semble digne de la curiosité des lecteurs, d’élargir leur champ de vision et leur apporter matière à réflexion. D’où notre acharnement à rédiger et faire paraître ce dossier sur la réalisatrice britannique Antonia Bird.
L’Infini Détail a d’abord été, pendant plusieurs années, un magazine dématérialisé avant que l’amour du papier, du durable et du support physique ne donne à l’équipe l’envie d’apporter une valeur ajoutée et plus d’ampleur à son travail. Nous n’avons pas pour autant renoncé à notre liberté.
Guillaume Banniard : La phrase de François Truffaut est citée à tour de bras, mais elle est plus juste que jamais au XXIe siècle : « On a tous deux métiers : le sien, et critique de cinéma ». L’humain est une machine à opinions. On réagit en permanence à 1001 publications qu’on a oubliées le mois suivant. Est-ce que ça vaut encore le coup de publier un avis construit sur un film, à une époque où on indique au futur lecteur le « temps de lecture estimé » ? L’Infini Détail affirme que oui. On veut que le lecteur, au contraire, ait envie de nous lire un long moment.
Muriel Cinque : Je dois personnellement une grande partie de ma cinéphilie à des lectures critiques. J’ai pu rencontrer des œuvres, des auteurs dont je n’aurais jamais entendu parler sans la volonté de ces passionnés de mettre en commun leurs découvertes.
Guillaume Banniard : Lorsqu’une personne met tout son cœur dans un texte critique, ça peut vous ouvrir des horizons infinis. J’ai eu envie de me mettre à Dostoïevski après lecture d’une chronique dans le magazine Ciné Live en 2005, pour la sortie en DVD de Voyage au bout de l’enfer. J’étais adolescent à l’époque. Le journaliste Marc Toullec disait du long-métrage qu’il doit beaucoup à la littérature russe. Cette façon d’aborder le chef-d’œuvre de Michael Cimino m’a rendu familier d’une littérature dont j’ignorais tout. Si mille pages de roman russe peuvent passer aussi vite que les trois heures de Voyage au bout de l’enfer, je n’avais plus aucune raison d’être intimidé par Les Frères Karamazov ! C’est cette soif de découverte qui habite L’Infini Détail, et je la retrouve dans toute la rédaction.
Entre le premier et le second numéro, votre approche a-t-elle changé ?
Guillaume Banniard : Notre approche n’a pas changé, mais elle a gagné en aplomb. Le premier numéro était très théorique, la rédaction s’y interrogeait sur la notion de « cinéma sensitif », terme lu et relu dans diverses critiques au fil des ans sans qu’il en existe une définition précise. J’ai donc rédigé tout un dossier sur le sujet, en faisant remonter à la surface des souvenirs de cinéma imprégnés dans mon système nerveux. « Tiens, ce film-là me semble supporter le qualificatif de « sensitif » : pourquoi donc ? ». Et je me mettais à écrire, en gardant cet axe en tête. Cela m’a mené de L’Apollonide : souvenirs de la maison close, film français de 2011, aux œuvres punk et brutales de Shinya Tsukamoto, comme Bullet Ballet et Tokyo Fist. Des films qui, selon moi, s’adressent directement aux sens du public, le temps d’une scène ou dans leur intégralité.
Ce sujet me passionne, mais ça m’a rendu beaucoup trop « control freak ». J’ai écrit le premier numéro en grande partie tout seul, et même si je suis fier du résultat, tout comme des apports extérieurs, le magazine est trop inféodé à ma seule vision du cinéma. Le n°2, en plus de s’attaquer à un sujet moins abstrait – la carrière d’une réalisatrice méconnue –, est le fruit d’une longue collaboration avec Muriel, co-rédactrice en chef. Le magazine dans son ensemble respire davantage, vibre de la passion collective qui est à l’origine de L’Infini Détail.
D’Antonia Bird à Bill Plympton, on devine sans mal votre envie d’initier le lecteur à de nouveaux horizons…
Muriel Cinque : Initiation et incitation à la curiosité. Découvrir et faire découvrir est un plaisir de fin gourmet. Encore plus quand pour l’occasion, on se sent investi d’une âme de justicier parti en croisade pour réparer une injustice flagrante. Je plaisante, mais il y a malgré tout un peu de ça dans notre démarche.
Guillaume Banniard : Certains génies ne sont pas assez célébrés, en cinéma comme ailleurs. C’est à ceux qui ont le temps d’aller voir hors des sentiers battus que revient la charge de baliser le terrain pour que d’autres s’y aventurent ensuite. Ce dossier vient des tripes, Muriel et moi adorons Antonia Bird. « Méconnu » signifie souvent « élitiste », or les films de Antonia Bird peuvent se regarder sans aucun esprit cinéphile. Il sont humains, viscéraux, réalistes et très prenants. Elle a fait un film de gangster, elle a touché au drame social, puis au thriller post-11/9, toujours avec le même souci d’efficacité. Ces films portent la marque du grand cinéma populaire et conscient. Pour caricaturer, ils sont aussi accessibles que du Ken Loach et du William Friedkin. N’importe quel spectateur, partout dans le monde, peut vibrer pour ses personnages.
Comment fait-on, en 2021, pour sortir un magazine de cinéma sans recourir à la publicité, et en étant uniquement financé par les achats et les dons ?
Guillaume Banniard : Avec beaucoup de patience ! Je ne remercierai jamais assez notre maquettiste, Marie Lemoine, qui a donné son identité au magazine. La création du second numéro lui a demandé de composer avec un emploi du temps exigeant, mais elle ne nous a jamais lâchés.
Muriel Cinque : Pour arriver à concrétiser ce projet, il est surtout nécessaire pour moi d’aller contre sa propre nature et se transformer en harceleur afin de faire réagir les personnes susceptibles d’être intéressées. C’est usant, épuisant, éreintant, mais c’est malheureusement un passage obligé. Faire du forcing, exiger une réponse autre que le silence poli.
Ça peut sembler un peu contradictoire avec le respect du lecteur, mais si cette femme a reçu des menaces de mort pour punir son audace et sa droiture lorsqu’elle a tourné Prêtre, superbe portrait d’un jeune homosexuel rentré dans les ordres, elle mérite bien que l’on passe pour des emmerdeurs quelques semaines. La patience est loin de suffire. Il faut de la ténacité, de l’endurance et surtout avoir une foi inébranlable en ce que l’on défend. Et malgré notre force de conviction, c’est loin d’être gagné.
Vous pouvez participer à la campagne Ulule organisée par le magazine ici : https://fr.ulule.com/l-infini-detail-ndeg2/