Rencontre avec le cinéaste Antoine Desrosières, réalisateur de Haramiste, pour une entrevue sincère et enrichissante :
Après un Prix du Public au Festival Côté Court de Pantin bien mérité, Haramiste est encore en salle, et ce, depuis le 1er juillet. Le film est d’ailleurs visible ce week-end à l’Accatone (horaires au bas de l’article). Ce court métrage d’Antoine Desrosière est véritablement un succès qui sera présenté au 8ème Festival du Film Francophone d’Angoulême du 26 au 30 août. Rencontre avec un « vieux cinéaste » qui ne manquera pas de nous enrichir par ses paroles instructives et vraies :
CSM : Haramiste résulte d’une commande d’un producteur pour la chaîne Arte. Le sujet concernait l’amour moderne que vous avez choisi de traiter par le biais d’internet et des sites de rencontres mais comment vous est venu l’idée de les lier à la religion musulmane ?
A. D. : Il s’agissait d’une commande d’Arte mais que la chaîne a refusé et un autre service d’Arte a acheté le film une fois fini. C’est un raisonnement très simple qui m’a amené aux jeunes femmes musulmanes et qui s’applique un peu à toutes les religions. Il me semblait que les rencontres Internet servaient tout particulièrement aux personnes pour qui les rencontres étaient interdites dans leur vie sociale ou familiale. Internet permet des rencontres cachées entre deux personnes qui n’ont pas d’univers commun ou de relations communes. Ainsi, les rencontres peuvent se décider dans le secret de ces deux personnes et en dehors des interdits qui régissent leurs vies. Cela m’a semblé particulièrement intéressant de voir comment des individus qui vivaient dans une culture où la sexualité est limitée « dealaient » avec les désirs normaux des jeunes femmes, des désirs biologiques, naturels. Face à ces désirs, les jeunes femmes ont trois solutions : soit elles les répriment totalement – beaucoup le font, soit elles se rebellent contre cette culture qui les leur interdit, soit elles se « débrouillent ». C’est de cette troisième catégorie dont le film parle : de celles qui se débrouillent, qui ne sont pas en rébellion avec leur culture mais qui se posent des questions et se demandent comment faire. Je ne fais pas de généralité sur les filles musulmanes, je raconte une histoire d’individus en particulier, une histoire de gens qui vivent des contradictions.
Y-a-t-il un message sous-jacent que vous avez voulu faire passer au travers du film ?
Je préfère laisser aux spectateurs la liberté de lire ce qu’ils veulent dans le film. Peut-être qu’il pose la question : la liberté sexuelle épanouit-elle les individus ?
Après avoir réalisé entre autres À la Belle Étoile sur les relations sociales et l’éducation sentimentale, Un Bon Bain Chaud sur les sans-papiers ou produit Mon Copain Rachid qui traite de l’homosexualité, vous vous penchez avec Haramiste sur les sites de rencontres et l’interdit lié à la religion. Au regard de ces sujets plus ou moins sensibles, peut-on parler de cinéma engagé et de films politiques ?
D’une certaine façon, mes films sont politiques mais ils le sont peut-être plus aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Quand on porte un regard sur quelque chose qui n’est pas évident dans la société, ça devient politique. Finalement, les choses qui valent la peine qu’on s’intéresse à elles sont souvent celles qui ne sont pas évidentes.
Quels soutiens avez-vous reçu pour le film ? Quels partenaires, quels financements ?
Le film a été tourné grâce à la région Poitou-Charente et au département de la Vienne qui l’a financé. J’ai fait un oral face à un comité d’experts régionaux et nationaux ainsi que quelques élus, je crois. La région Île-de-France a donné une aide à la post-production sur film tourné et Arte l’a acheté sur film fini. Enfin, il a eu le Prix du Public à Pantin, ce qui est une aide considérable.
Finalement, ce n’est pas le même producteur qui a produit le film commandé au départ ?
Le film a été produit par une jeune productrice (ndlr : Annabelle Bouzom) après que le premier producteur l’a abandonné suite au refus d’Arte. Haramiste a donc rejoint dans mon tiroir d’autres projets qui attendent de se faire jusqu’au jour où je l’ai proposé à cette jeune productrice qui l’a choisi sur texte. Elle a fait le nécessaire pour trouver le financement via le Poitou-Charente, l’a vendu à Arte et l’a elle-même sorti en salle.
Inas Chanti s’est fortement démarquée lors du casting par son franc-parler et son humour tandis que Souad Arsane a été repérée à l’extérieur. Qu’est-ce qui les a rendu si particulières à vos yeux ?
Il se trouve que les actrices sont arrivées par des chemins différents mais la démarche était la même. J’aime faire des très grands castings car je pense que la moitié du film se fait lors de ces castings. Il est clair que le film Haramiste repose complètement sur le talent des actrices ; il fallait donc que je trouve des filles extraordinaires. Nous avons mis une annonce de casting sur des sites internet à laquelle Inas a répondu mais cette démarche s’est avérée insuffisante. J’ai donc demandé à ma directrice de casting, Johanna Lecomte, et ses assistants d’aller au delà, dans la rue, partout. C’est Souad qui, curieusement, a demandé du feu à Johanna. Celle-ci lui a proposé de passer les mêmes essais que Inas au casting. Souad a, elle aussi, été extrêmement brillante et je l’ai donc rapprochée d’Inas pour voir ce que cela donnerait ensemble.
Je leur ai ensuite proposé le sujet du film et elles ont pris possession du projet. Elles ont pris la parole et sont devenues co-auteures du scénario à travers toutes ces séances de développement et d’improvisations préalables. D’un scénario de départ de quatre pages, nous sommes arrivés à un film de 40 minutes soit 40 pages.
Inas Chanti s’échappe par la fenêtre pour aller à la rencontre de son amant telle une Juliette moderne rejoignant son Roméo. Peut-on dire qu’Haramiste est un film à tendance féministe ?
J’espère ! Quand des féministes de tout genre s’emparent du film et se le réapproprient, je considère que c’est un succès et que ma démarche de donner la parole à ces jeunes femmes est réussie. Le film était d’ailleurs entouré de femmes à tous les étages (même si après tout un film fait que par des hommes pourrait être féministe, il ne faut pas être femme pour faire un film féministe, pourquoi les causes ne devraient être portées que par ceux qui souffrent du problème qu’ils dénoncent ?). À tous les débats, Inas dit une phrase que j’aime beaucoup : « Je ne comprends pas pourquoi certaines femmes n’auraient même pas le droit de penser à ce que les hommes s’autorisent à faire ! ».
Le tournage du film dans une Cité de Châtellerault (Place Churchill) ne s’est pas déroulé sans encombre et vous avez dû quitter les lieux plus tôt que prévu ?
On avait prévu de tourner toute une journée et, en fin de matinée, certains jeunes, sans doute heurtés d’entendre des jeunes femmes voilées parler crûment, ont mis le bazar et ce n’était plus possible de tourner, mais avec les trois prises déjà tournées la scène était déjà sauvée, et je ne regrette pas d’avoir tourné sur cette place magnifique dont l’ambiance et la vie même imbibent la scène.
Qu’en a-t-il été des suites du film, de l’accueil du public et des retours que vous en avez eu en particulier ?
Haramiste a été projeté devant des publics différents que ce soit dans des festivals, en salle, à la TV ou sur internet. Je suis heureux qu’il y ait de plus en plus de jeunes femmes maghrébines qui voient le film, se l’approprient, le revendiquent et se reconnaissent en lui. Je pense par exemple à une jeune chanteuse maghrébine qui est venue nous voir lors d’une projection-débat et nous a raconté que c’était ce qu’elle avait vécu, mais à bien d’autres aussi.
Avez-vous eu quelques retours négatifs ?
Certaines personnes pensent que c’est un sujet dont on n’a pas le droit de parler mais ce sont des gens qui pensent que le cinéma devrait montrer le monde tel qu’ils voudraient qu’il soit, plutôt que d’en montrer les contradictions, notamment les contradictions intimes que l’on peut vivre. Souvent, c’est la bande-annonce, l’affiche ou le résumé qui suscitent des réactions négatives mais en général, quand le film est vu,
il séduit plutôt. Il peut y avoir certains individus qui sont heurtés par le simple fait qu’on aborde ce sujet-là mais le fait est que c’est une comédie plutôt tendre et la vision du film démystifie beaucoup les craintes qu’il peut susciter.
Et puis, quelque part, si le film ne dérangeait personne, il ne servirait à rien. À ce sujet, Souad m’a dit une phrase tout-à-fait intéressante : « Si j’avais vu ce film en famille, j’aurais dit quelle merde ! Et si je l’avais vu toute seule dans ma chambre, j’aurais dit c’est génial ! ».
Antoine Desrosières, vous alternez assez régulièrement entre courts et longs métrages, comment cela s’explique ?
J’ai des projets dans tous les formats pour éviter que mes films soient en concurrence les uns avec les autres. J’ai des projets de séries télé ou radio, de téléfilms, de longs-métrages, de courts-métrages et ce sont les opportunités qui font que l’un des projets sera monté plutôt qu’un autre.
Finalement, c’est avec un court-métrage tourné en trois jours que j’ai fait mon film le plus impactant à ce jour, il semble. Lorsque j’ai fait mes premiers films, j’étais très jeune et je n’avais peut-être pas le même recul sur la société d’où l’intérêt d’être un « vieux » cinéaste. Souvent les artistes portent un regard sur eux-mêmes dans leurs premières œuvres et il faut avoir réglé ces questions avec soi-même pour pouvoir porter un regard sur les autres.
Les jeunes réalisateurs commencent souvent par des courts, avez-vous des conseils à leur donner ou des pistes de travail?
La différence entre mes débuts (1986) et aujourd’hui, c’est que c’est beaucoup plus facile de faire un film car on peut tourner en numérique pour presque rien. Avant, on tournait en pellicule et ça coûtait très cher. Du coup, les films d’aujourd’hui sont perdus dans la masse et c’est plus difficile de se démarquer, d’exister. Mon conseil serait donc : soyez prétentieux et demandez vous si le monde tournerait différemment si votre film n’existait pas.
Haramiste, la Bande-annonce :
A voir au Cinéma l’Accattone 20 rue Cujas, Paris 5ème:
vendredi 21 août: 20h15
Samedi 22 août: 20h (débat avec Antoine Desrosieres, réalisateur, et (sous réserve) Souad Arsane, actrice scénariste)
Dimanche 23 août: 20h15
Lundi 24 août: 20h (débat avec Antoine et (sous réserve) Souad.