Il y a un mois, sortait HEIS (Chroniques), un projet crossmédia réalisé par Anaïs Volpé. Nous avons rencontré cette réalisatrice : une artiste polyvalente et un nouvel espoir du cinéma français.
I. Le projet HEIS
On est dans le réel frénétique des questionnements de la vie. On est dans un moment où le cerveau saigne de trop de pensées. Donc cela donne naissance à une forme de film un peu moins classique que ce que l’on a l’habitude de voir.
Pourquoi avoir choisi de réaliser ce projet en trois volets ? Quelles étaient vos intentions ?
A la base, je n’ai pas choisi de faire ce projet en trois volets. Au commencement, c’était destiné à être une série de plusieurs épisodes.
Puis une fois la série terminée j’ai voulu pousser un peu plus la matière que j’avais, et tenter de transformer cette série en long-métrage.
J’ai donc tourné à nouveau, pas mal de choses et j’en ai fait un long-métrage. Une fois ce long-métrage terminé, je me suis rendue compte qu’il était finalement devenu complémentaire avec la série et j’ai trouvé intéressant de ne pas annuler la série. Puis à ce même moment là, j’avais l’occasion d’être exposée dans une galerie d’art avec des photos que je faisais en freelance pour des magazines chinois et anglais à côté, et plutôt que d’exposer ces photos, j’ai préféré continuer de pousser la matière du projet sur lequel j’étais actuellement (Heis, donc) et de leur proposer une installation artistique en lien avec la série et le long métrage. Ils ont accepté.
C’est à ce moment là HEIS est devenu un projet en trois volets.
Au final, les trois volets du projet peuvent se regarder ensemble ou indépendamment. Ils sont complémentaires mais peuvent tout à fait vivre seuls. De plus, on peut découvrir le projet dans l’ordre que l’on veut, il n’y a pas d’ordre de préférence. Cela a demandé beaucoup de travail au niveau de la narration pour rendre cela possible.
HEIS est pour moi un ovni cinématographique. Beau aussi bien esthétiquement que moralement, quelle place accordez-vous à l’art, dans vos réalisations ?
La place que j’accorde à l’art dans mes réalisations? Je dirai que cela dépend vraiment du propos du film. J’aime quand la forme utilisée sert le propos du film, sinon cela à tendance à m’embrouiller pour rien.
Pour ce film, comme cela parle, entre autres, de la génération Y, j’avais très envie que sur les parties qui parlent de cette génération, il y ait une abondance d’images et de sons. De plus, c’est filmé avec différents supports. Je voulais mettre en avant cette sur-sollicitation visuelle dans laquelle nous nous trouvons chaque jour (notamment avec les réseaux sociaux). Par exemple aujourd’hui, on peut discuter avec quelqu’un dans la rue puis scroller Instagram, Facebook etc… et se prendre des vagues d’images/d’informations. Je voulais donc que dans le film cela soit un peu pareil. Il y a des scènes de la vie de tous les jours et des moments entre ces scènes de vie, où l’on est dans le cerveau du personnage de Pia. On accède à ses pensées accompagnées de beaucoup d’images et sons. On est dans le réel frénétique des questionnements de la vie. On est dans un moment où le cerveau saigne de trop de pensées. Donc cela donne naissance à une forme de film un peu moins classique que ce que l’on a l’habitude de voir.
Pour mon prochain film cela sera différent. Cela moins « ovni » je pense, car le propos le permet moins et cela deviendrait alors du gadget de faire une forme similaire…cela ne serait pas intéressant.
L’art (plus spécifiquement l’art plastique) reste malgré tout très important pour moi, et je pense que cela se sentira surement dans le reste de mes prochains films mais de manière plus discrète ou plus frontale en fonction de l’histoire du film.
L’amour, l’amitié ou encore la famille sont des thèmes omniprésents dans HEIS, pourquoi ce choix ? Quelle importance ces mots ont-ils pour vous ?
Le personnage de PIA dans le film est confronté à plusieurs difficultés en même temps: l’amour, l’amitié, la famille. Comme parfois dans la vie lorsqu’on traverse des « séries » de soucis/choix/dilemmes, et que tout arrive en même temps.
Ces mots, ces questionnements sont importants pour moi comme pour beaucoup de gens il me semble.
La famille est même certainement le sujet qui me pose le plus de questionnements, je le trouve plus compliqué et beaucoup plus « sans réponse ». Dans le film, la question/la problématique principale est « le devoir de rester proche de sa famille ou le droit de s’en émanciper, même si cela nous éloigne d’elle? » et chacun des personnages est amené à devoir se poser la question. Personne ne semble avoir la réponse exacte. Un peu comme dans la vie.
Avez-vous voulu dépeindre le quotidien de millions de jeunes et parents, autrement dit la réalité de nombreuses familles ? Ou bien est-ce une part de votre propre vie ?
Je ne pense pas avoir voulu dépeindre le quotidien de millions de parents quand j’ai fait le film. Je voulais parler d’une famille en particulier. Avec des choses que je connaissais bien. Mais au vu des nombreux retours des spectateurs que nous avons chaque jour qui s’identifient énormément à ces problématiques je me rends compte que ça à l’air d’être beaucoup le cas ailleurs.
Pour ce qui est de l’autobiographie et de la fiction, il y a des deux! Le squelette de mon film est une fiction. Mais il y a, au travers de cette fiction, beaucoup de choses que j’ai vécues. Je me sers pas mal du personnage de PIA pour exprimer ce que j’ai pu ressentir entre mes 17 ans (lorsque je suis arrivée à Paris) et mes 24ans (lorsque j’ai commencé à écrire le film).
Je ne voulais pas exposer ma vraie vie pour que cela ne soit pas trop personnel et donc que cela ne parle qu’à moi. Il fallait que je puisse énormément « fictionnaliser » mon histoire pour aussi m’éclater et prendre moi-même un peu de recul sur ce que j’avais vécu. Donc il y a énormément de fiction dans ce film aussi. Et à la fois, énormément de choses de ma vie personnelle là dedans.
Le droit de partir ou le droit rester, voici la question fondamentale de ce long-métrage. Avez-vous vous-même été confrontée à ce choix difficile ?
Bien sur! C’est cette fameuse question qui me semble très dure. Elle n’a pas de réponse exacte.
Je me la suis posée à 17ans quand je suis partie de ma famille qui vit à Toulouse pour venir vivre à Paris. Et c’est une question que je me pose encore car je ne peux pas rentrer voir souvent ma famille, mes proches… et parfois j’ai la sensation de perdre des moments essentiels de vie. Et à la fois, j’ai aussi envie et besoin de rester à Paris car c’est ici que je m’épanouis. Parfois il m’est arrivée de ne pas pouvoir voir ma famille pendant un an, à cause du travail ici.
Donc forcément j’avais envie de mettre une de mes problématiques personnelles dans ce premier film.
Comment qualifierez-vous la société d’aujourd’hui ?
C’est une question très complexe car il y aurait tant de choses à dire. Cela serait trop compliqué de répondre brièvement, pour éviter de faire trop de raccourcis sur un tas de sujets que je pourrais évoquer.
Mais je dirai que dans notre société il me semble qu’il nous faut faire énormément de sacrifices pour accéder à des choses très simples et normales. Il faut vraiment se défoncer pour avoir un petit peu de résultats.
La partie long-métrage a connu un grand succès dans les festivals de cinéma. Pensez-vous que ce succès est en partie dû au fait qu’un large public peut se retrouver dans cette histoire ?
J’étais vraiment contente de voir les réactions des gens en sortant des séances lors des Festivals puis de la sortie du film en France. Avec l’équipe du film nous avons eu l’occasion de pouvoir beaucoup échanger avec un tas de personnes qui sortaient du film…et c’est toujours très enrichissant. C’est vrai que dans l’ensemble beaucoup de gens se sentent très proches de ces problématiques (la famille, l’équilibre personnel, la réussite professionnelle, l’amitié, l’amour….) et beaucoup d’entre eux ont l’impression que c’est un film qui parlent d’eux. C’est très intéressant, nous avons des gens de toutes cultures, tous âges qui nous disent « mais c’est ma vie! » donc visiblement c’est un film qui rassemble plus qu’il ne divise, d’après les témoignages des gens. Peut-être que c’est ce qui a aidé en Festivals oui.
II. Qui est Anaïs Volpé ?
Je crois que j’ai juste besoin de sortir des choses de moi sinon j’implose. Réaliser, écrire…c’est ma « chiale » à moi…c’est un peu l’illustration du crédo « tout ce qui est dehors n’est plus dedans »
Parlez-nous un peu de vous ?
Je suis arrivée à Paris à 17 ans, je suis née à Toulouse. Quand je suis arrivée ici, j’ai commencé des études de théâtre que j’ai du arrêter assez vite, et j’ai beaucoup « jobé » en tant qu’hôtesse d’accueil dans des cafés/hôtels et en tant que téléopératrice, pendant plusieurs années.
En parallèle, j’ai décroché des projets dans le théâtre en tant que comédienne, c’était ma passion et j’ai adoré cette période. Une année, j’ai eu l’occasion d’être admise notamment aux « ateliers du lundi » au théâtre national de la Colline. Un atelier qui permettait à quelques jeunes comédiens de travailler tous les lundi au Théâtre National de La Colline avec plusieurs metteurs en scène. C’était vraiment cool, parce que c’est la première fois de ma vie que je réussissais un concours. Juste avant ça j’avais toujours tout raté, parfois à très peu d’être admise, et ça m’avait pas mal épuisée psychologiquement. Beaucoup d’efforts pour peu de résultats, toujours la 4ieme place.
Après ça, il y a 5 ans, j’ai appris le montage un peu par hasard, via des Tuto Youtube et ça a été un révélation. J’ai eu une vraie passion pour le montage. J’adore ça. J’ai alors commencé à faire des petits films avec des iPhone qu’on me prêtait à droite à gauche et je montais ça dans mon coin, le soir quand je rentrais chez moi.
Jusqu’à ce que ces petits films tournent sur Internet, et dans quelques festivals et un jour, quelqu’un d’une chaine TV m’a contacté et m’a beaucoup encouragé à faire une série de ces petits films.
Au même moment j’étais en train de finir mon premier court-métrage « Blast », un film de 20minutes, que je commençais à envoyer en Festivals.
Puis j’ai eu une grosse fatigue. J’ai fait une sorte de burnout, j’ai décidé d’arrêter totalement l’Art et j’ai signé un CDI dans une brasserie en tant que serveuse. Au bout de quelques mois, j’ai reçu un mail comme quoi « Blast » était sélectionné dans un Festival. Et l’ironie du sort c’est que le film a remporté le Prix du Jury et que grâce à ça j’ai été invitée par l’Ambassade de France en Chine pour présenter mon film là bas fin 2013. Une fois sur place j’ai gagné une bourse de l’Institut Français de Pékin afin de m’aider sur mon prochain projet et je suis restée plusieurs semaines là-bas. C’est donc à Pékin que j’ai commencé à écrire et tourner le projet HEIS.
Quelles sont vos influences à la fois cinématographiques et artistiques ?
Ça va faire un peu cliché, mais avant de parler de références artistiques, je dirai que la première chose qui m’inspire et m’influence dans mon travail c’est tout simplement: la vie.
Tout ce que je vis de fort, dans le positif ou le négatif, généralement ça se retrouvera dans ce que je vais créer ensuite. Ce qui m’a blessée ou encouragée j’ai souvent ce besoin de le sortir de moi au travers de quelque chose d’artistique.
Je suis pas mal curieuse, j’aime aller au musée quand je peux, ou regarder des comptes cool sur Instagram qui peuvent m’inspirer visuellement. Et après tout cela s’accumule dans mon inconscient et ça créé un magma d’influences je suppose. Aujourd’hui on encaisse tellement d’informations bonnes et mauvaises par jour, c’est toujours inspirant.
Je suis aussi très inspirée par la musique, ça m’aide énormément à écrire un scénario. Je ne peux pas vivre sans musique. C’est ma base.
D’ailleurs quand je monte un film, je monte beaucoup plus avec mes oreilles qu’avec mes yeux. Le rythme sonore c’est ce qui m’importe le plus.
Pour le film « Heis (chroniques) » j’ai par exemple été ultra inspirée par les sons du groupe « Chkrrr » qui ont apporté une autre dimension au film pendant le montage. Je suis très contente de cette collaboration.
Après, en général, mes influences sont très larges et autant complémentaires qu’absurdes, elles peuvent aller du « cinéma d’auteur » à « Internet » en passant par « la télé réalité » et « les films mainstream ».
J’adore regarder des films, mais par manque de temps on ne peut pas dire que je sois une grande cinéphile…disons que, comparé aux vrais cinéphiles j’ai beaucoup de lacunes. Souvent on me balance des noms de films qui sont de grands classiques et que je n’ai jamais vu. Et je lis vraiment très peu car j’ai d’énormes problèmes de concentration.
Je regarde beaucoup de séries en ce moment par exemple, j’adore les séries addictives …ça me fait toujours oublier l’heure, j’adore.
En tout cas ce qui m’inspire, c’est surtout tout ce que je ne veux pas garder pour moi et que j’ai besoin de vomir dans un film ou un scénario.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je suis en train d’écrire deux scénario de long-métrage.
L’un des deux a été sélectionné au « Script Station » de la Berlinale cette année, donc j’étais contente d’être invitée là bas pour pouvoir travailler avec des Script Doctors sur ce scénario en particulier.
L’autre scénario est moins écrit mais déjà plus en développement, je l’écris beaucoup dans ma tête pour l’instant et je vais bientôt me poser pour pouvoir tout mettre sur le papier.
C’est encore un peu frais pour dire comment la suite va se passer mais je peux dire que je vais réaliser mon second film bientôt, en étant accompagnée par un producteur et que je suis très contente de cette collaboration. J’ai vraiment hâte de tourner ce prochain film.
Ressentez-vous à travers votre travail, le besoin de vous exprimer ?
Oui, tout à fait. J’en ai besoin. Et même si demain, j’étais amenée à ne pas pouvoir vivre de ce métier, je pense que je ferai toujours mes trucs à côté de mon travail, je crois que c’est dans le sang. Même quand je veux arrêter, il y a toujours quelque chose qui me rattrape et au final je n’arrête jamais.
Je crois que j’ai juste besoin de sortir des choses de moi sinon j’implose. Réaliser, écrire…c’est ma « chiale » à moi…c’est un peu l’illustration du crédo « tout ce qui est dehors n’est plus dedans ». J’en ai besoin comme ceux qui ont besoin de courir tous les jours. Ça fait partie certainement de mon équilibre, j’ai visiblement besoin de balancer ma nostalgie, mes craintes, mes angoisses, mes espoirs. Et ça évolue en fonction de mon âge, en fonction de ce que j’ai vécu sur les derniers mois, en fonction du contexte qui évolue avec nous, de la tournure que prend la société etc…
Et allez savoir, peut-être qu’un jour je ne ressentirai plus du tout ce besoin et que du coup je ne ferai plus de films. Je serai dans autre chose. On verra bien !
Si vous deviez choisir un mot pour définir votre univers, quel serait-il ?
Organique
HEIS (Chroniques) : Bande Annonce
[irp]