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Cinemania 2024 | Guillaume Senez et Romain Duris (Une part manquante)

Cinemania 2024 : Interview croisée de Romain Duris et Guillaume Senez pour « Une part manquante »

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Seconde interview de la journée à l’hôtel Humanity de Montréal, qui accueille tous les talents pour cette trentième et florissante édition du festival de films francophones Cinemania. Romain Duris et le réalisateur Guillaume Senez sont venus présenter le film de leur seconde collaboration, Une part manquante, en salles en France depuis dix jours et bientôt au Québec cet hiver. On les retrouve dans une des suites de l’hôtel pour une énième rencontre (pour eux) qui s’avère très chronométrée (quinze minutes, montre en main). Mais cela ne les empêche pas d’être très loquaces et motivés (enfin surtout Guillaume Senez, Romain Duris lui laissant toute la place pour s’exprimer). On ne leur fait pas part de notre moindre motivation sur ce nouveau joli film par rapport à leur premier ensemble, le sublime Nos batailles, ce qui est loin d’être un frein à nos nombreuses questions ! Extrait…

Comment s’est déroulé la projection du film au fameux Monument National1 hier ?

Guillaume : C’était incroyable, on a eu une standing-ovation de plusieurs minutes. On ne s’y attendait pas. Ou, en tout cas, pas à ce point.

Romain : Oui c’était dingue, un vrai beau moment.

Guillaume précise que ce n’était pas la première canadienne puisque le film a été présenté au TIFF à Toronto plus tôt cette année, mais que l’accueil québécois était vraiment beau à voir.

De quelle manière vous est venue l’idée du film ? Vous connaissiez quelqu’un qui vivait cette histoire de parent privé d’un enfant lors d’un divorce avec un conjoint d’une autre nationalité ou c’est juste un sujet dont vous aviez entendu parler et qui vous a inspiré ?

Guillaume : Non, c’est un peu arrivé par hasard et on s’était dit avec Romain qu’on voulait refaire un film ensemble mais on ne savait pas vraiment quoi. En fait, on avait présenté Nos batailles à Tokyo et c’est devenu une boutade de se dire qu’on aimerait bien faire un film là-bas au point d’échafauder des scénarios parfois ridicules. Et puis un soir, vraiment le fruit du hasard, on a rencontré des expatriés français. Ils ont commencé à nous parler de cette problématique précise d’enlèvement d’enfants par l’un des conjoints et de garde alternée non respectée. On s’est regardé et ça nous a touché, une sorte d’évidence est apparue en nous. Et comme une continuité sur le sujet de la paternité après Nos batailles. À partir de là avec Romain, on a commencé à s’envoyer des articles de presse sur le sujet, moi j’ai contacté mon co-scénariste pour lui en toucher deux mots. Ça a débuté comme ça et trois ans après le film était né.

Pourquoi le Japon en particulier justement ? Hormis le fait que l’idée vous soit venue là-bas, ce type de problématique aurait pu arriver dans beaucoup d’autres pays ?

Guillaume : Oui, il y a des problèmes comme cela en Algérie mais même en Allemagne par exemple. Cependant, au Japon, les chiffres sont impressionnants, on parle de 150 000 à 200 000 enfants enlevés chaque année par un des parents après un divorce. C’est énorme et typiquement japonais. Alors évidemment, cela nous touche parce que ce genre de pratique n’est pas ancrée dans notre culture. Et il faut savoir que si le film traite le problème sous le prisme d’un étranger divorcé d’une japonaise, 85% des cas c’est entre japonais. Et on a souvent dans les films, le cas d’étrangers qui arrivent en France et doivent se fondre dans notre culture, alors on trouvait ça intéressant de faire l’inverse et de voir comment un français allait pouvoir s’habituer à la culture nippone, cet écho de l’étranger.

Vous avez déjà un peu répondu à ma question suivante qui concerne le choix de Romain. Il n’y a donc pas eu de casting, c’était lui dès le départ ?

Guillaume : Oui on a lancé l’histoire ensemble donc la question ne s’est même jamais posée, c’était une évidence.

Romain, les deux rôles que vous avez incarnés pour Guillaume se répondent un peu tout en étant aux antipodes. D’un côté, on suit un père qui doit gérer ses enfants car sa femme est partie tandis qu’ici on suit un père qui tente de récupérer son enfant enlevé par la mère. Qu’est-ce qui était le plus facile à jouer ?

Romain (il prend un temps pour réfléchir) : Il n’y a pas vraiment eu un rôle plus difficile que l’autre, mais le plus chargé c’était sans conteste celui-ci. Dans Nos batailles, le couple peut aussi être une douleur mais il est avec ses enfants, dans l’action, malgré un manque affectif. Ici, le manque est double et encore plus profond. Un enfant qui disparaît, cela empêche beaucoup de choses. Quand j’ai entendu parler Vincent Michaud, un homme que l’on a rencontré qui était dans cette situation et n’avait pas vu ses enfants depuis six ans, on sent la détresse profonde. Il n’est pas en état dépressif, rideaux fermés et sous médicaments, mais il est dans une mission, un combat, jusqu’à faire une grève de la faim. C’est horrible, invivable, on ne peut plus avancer. La douleur est plus violente, plus dramatique. Et c’est une douleur intérieure comme on l’a écrit pour le personnage de Jay puisqu’il se trouve au Japon où on ne montre pas trop ses émotions.

On l’interrompt en lui avouant même que l’on a ressenti de la résignation de la part du personnage, sur le point de rentrer après neuf ans au Japon. Il acquiesce et reprend.

Oui, tout à fait, il est sur le point de rentrer. Et c’est ça qui était formidable à jouer, d’être dans la retenue et l’intériorité. Ça m’habitait vraiment et, avec des dosages, on a essayé de faire ressortir telle ou telle sensation.

Et au niveau du japonais. Vous parliez japonais au préalable ou aviez des notions ?

Romain : Non du tout, absolument pas. J’ai beaucoup travaillé sur le sens et la phonétique avec un coach mais sans véritablement apprendre le japonais.

Pourquoi avoir fait le choix de faire de Jérôme, un français déjà au Japon depuis neuf ans plutôt que de traiter le problème dès le départ, l’enlèvement ?

Guillaume : Non cela aurait été trop facile. La plupart des films, sans doute, aurait commencé au niveau de la séparation et je trouvais ça un peu tape-à-l’œil. J’ai toujours été plus intéressé par les conséquences des choses plutôt que les actes en eux-mêmes. (Il cite À bout de course de Sydney Lumet comme exemple.) J’ai donc bien aimé prendre le personnage de Jay à cette période. Comment il vit avec ça ? Presque dix ans sans voir sa fille, comment on gère ça ? Et au moment où il s’apprête à rentrer, boum ! Mais il fallait quand même expliquer un peu son passé et c’est là qu’entre en jeu le personnage de Jessica joué par Judith Chemla qui apporte un point de vue féminin, car ce ne sont pas que des pères qui se voient enlever leurs enfants, il y a bien sûr aussi des mères.

C’était justement l’une de mes questions. Vous avez inséré ce personnage au scénario pour donner un contrepoids féminin à celui de Jay ?

Guillaume : Exactement. C’était pour montrer qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui souffrent de cette problématique. Tout en montrant ce que Jay a justement vécu neuf ans plus tôt. C’était donc aussi une manière de nourrir le personnage principal de manière transversale. Il y avait donc un double… (Il cherche le mot… qui ne vient pas et en rit avec Romain)

Concernant le tournage au Japon, comment cela s’est passé ? Pas trop compliqué de tourner dans un pays à la culture et aux mœurs si différentes du nôtre ? On en voit beaucoup de films tournés au Japon comme, récemment, Tokyo Shaking avec Karin Viard.

Guillaume : Oui d’ailleurs, il paraît que la moitié de ce film a été tourné en studio à Paris (Il rit). Nous non, tout a été tourné sur place pour répondre à la question que vous allez me poser. (Il prend un temps.) Moi, je suis un adepte du cinéma du réel donc tout a été fait là-bas. Même quand il reçoit un appel, il y a vraiment un appel, quand il entend de la musique, il y a vraiment de la musique, etc. Pareil, quand il conduit, il conduit vraiment, surtout que c’est une part importante du film puisqu’il est taxi à Tokyo… Moi j’aime bien ces trucs-là, le vrai. Mais pour revenir au tournage au Japon en lui-même, oui au début ça tâtonne un peu, on ne comprend pas tout. Les techniciens japonais nous ont dit comment ils travaillaient, nous aussi et voilà, on a trouvé des consensus, un mode opératoire. Chacun a mis de l’eau dans son vin comme on dit et on a trouvé le moyen de travailler ensemble, en harmonie. Et c’était super enrichissant, surtout que l’équipe était quasiment composée que de personnes du cru.

Et n’y a-t-il pas eu une méfiance de leur part comme vous touchiez un sujet potentiellement sensible ?

Guillaume : Non pas du tout parce qu’ils avaient conscience que quelque chose ne fonctionnait pas dans ces règles absurdes. Et ils étaient de tout cœur avec nous et contents que l’on s’intéresse à ce sujet surtout que, comme on le soulignait, cela se passe à 85 % entre japonais.

Il y a le personnage de l’avocat, très européanisé, qui m’a laissé un goût de trop peu. J’aurais voulu en savoir plus sur elle. C’était écrit comme ça ou il y a eu des scènes coupées au montage ?

Guillaume : Alors on m’a plus parlé du personnage de Jessica, moins de Michiko l’avocate, mais c’est un souci récurrent dans mon cinéma. C’est-à-dire que j’adore les rôles secondaires, le fait qu’ils ont un point de vue sur le personnage principal, qu’ils le font évoluer. On a toujours envie d’en savoir plus sur eux en général mais si on les nourrit trop, ils nous manquent encore plus et c’est Jay qui reste le personnage principal. C’est un choix dramaturgique que je fais mais c’est souvent comme cela dans mon cinéma : un personnage masculin entouré de personnages féminins qui font progresser sa narration et sa psychologie.

Vous concernant Romain, vous êtes un comédien plutôt fidèle aux cinéastes avec lesquels vous tournez et il est très courant que vous tourniez plusieurs films pour le même réalisateur. Une troisième collaboration est-elle prévue entre vous ?

Un long temps d’arrêt et de réflexion coupé par Guillaume avec un « N’est-ce pas Romain ? », auquel Romain répond un « N’est-ce pas Guillaume ! ».

Romain : Alors après, c’est sûr que cela ne dépend pas que de moi. Mais on sent quand cela se passe bien avec un metteur en scène et que c’est réciproque. Il faut surtout qu’il y ait des personnages qui collent avec mon physique, mon âge et mes envies.

Alors je prolonge la question, est-ce que vous signeriez les yeux fermés pour certains cinéastes dont Guillaume ?

Romain (très sûr de lui) : Ah oui, oui. Sans hésiter. Oui après je fais confiance, je connais l’état d’esprit du réalisateur. Il y a ce choix d’embarquer qui est souvent fait en ayant discuté avec lui sur le pourquoi il fait ce film et il n’y a plus ces mille questions qu’on se pose quand on ne le connaît pas. Donc quand on a déjà travaillé avec quelqu’un, on sait. Et quand on adhère, on y retourne sans souci. Et même si c’est un personnage secondaire, pas de souci. En quelque sorte il y a tout le processus de confiance qui est déjà acquis.

On peut dire qu’au niveau de votre filmographie vous touchez un peu à tout, même au film de genre comme avec « Peut-être » en 1998 ou récemment « Dans le brume » et « Le Règne animal », selon vous il manque quelque chose à votre palmarès ?

Guillaume : L’horreur !

Romain : Alors on peut dire qu’avec Coupez ! de Michel Hazanavicius il y en avait quand même mais c’était plus du gore. Non, en vrai, peut-être le film d’action pur et dur. Mais il n’y a pas beaucoup de scénarios de bons films d’action en France, faut se dire la vérité.

L’attachée de presse nous interrompt et nous fait signe qu’il est temps de conclure l’interview et on terminera par parler du petit singe présent dans le film, compagnon du personnage de Jay. Au final, Guillaume Sanez s’est montré bien plus loquace, Romain Duris laissant davantage son réalisateur s’exprimer pour cette rencontre courte mais intense.


1Une nouvelle grande salle événementielle et très luxueuse de Montréal qui a remplacé le QG du cinéma Impérial cette année, pour cause de bail non renouvelé.