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A l’Étrange Festival, rencontre avec Stéphane Blanquet

Parce que l’Étrange Festival est aussi un lieu pour faire de belles rencontres, nous y avons rencontrer Stéphane Blanquet. L’équipe du Festival a accordé à cet artistique protéiforme une carte blanche, une occasion pour nous de discuter cinéma.

Alors Stéphane, commençons par la raison de ta présence ici : ta carte blanche. Parle-nous un peu de ta sélection.

C’est une sélection qui est assez ouverte, puisqu’il y a d’abord Keiichi Tanaami qui fait des court-métrages d’animation depuis un bout de temps et que j’édite à présent. Il a fait du cinéma assez psychédélique avec toutes formes d’animation, dans l’esprit des années 70, donc avec sûrement pas mal de retours d’acide. C’était quelqu’un que je tenais à présenter parce qu’on connait ses images mais très peu ses films.
Après, il y a L’Ange (1), qui est un film qui me suit beaucoup, parce qu’il est expérimental mais dans quelque chose de plus minimaliste, plus proche de la musique concrète, avec un vrai rapprochement entre la musique et les images. C’est une autre atmosphère beaucoup lointaine où l’on ne sait pas bien ce qui se passe, c’est un peu flou comme ambiance et ça me plait assez puisque ça me rappelle les travaux de photographie qu’il a fait, et comme moi aussi je suis assez nébuleux ça me parle beaucoup. Et puis il y a des trouvailles visuelles qui me font penser à des gravures avec par dessus des prismes de lumières.
Ensuite, il y a TG: Psychic Rallye in Heaven (2) qui est un travail de film expérimental en Super-8 qui m’intéresse et que je tenais à montrer ne serait-ce que pour le grain du film. Je l’ai choisi pour ses recherches visuelles et de patine, proches de la peinture, sur la pellicule qui se rapprochent du polaroid un peu brûlé.
Et enfin, il y a Le Baron de Crac (3) que je voulais aussi montrer parce que c’est un peu comme Le Baron de Münchhausen de Terry Gilliam que j’aime beaucoup, mais finalement avec beaucoup plus de trouvailles et, je pense, d’inventivité. Je trouve qu’il y a une vraie magie qui est faite avec peu de choses et beaucoup d’astuces, un peu à la Méliès, des trouvailles optiques et des artifices pour créer des effets visuels. J’aime être inspiré par les choses comme ça parce que ça se rapproche plus du théâtre et de la magie justement et je trouve que, même si ça fait carton-pâte, il y a dans tous ces effets une vraie richesse pour peu de moyens.

Tous ces films sont finalement assez proches de ton propre univers visuel, d’une certaine manière tu as voulu montrer certaines de tes sources d’inspiration.

C’est assez proche oui, mais c’est inconscient tout ça. On ne peut pas savoir à moins d’être très marqué. Moi, c’est plutôt des atmosphères ou un plan… j’ai voulu montrer des choses qui m’inspirent sous une grande palette.

Dans le cinéma, qu’est ce que tu as d’autre comme inspiration qui te viendrais à l’esprit?

David Lynch évidemment (4)! Il y en a beaucoup après, comme Chris Marker (5) dans un autre genre. C’est très difficile comme ça… il y a évidemment les films de Russ Meyer (6) qui m’inspirent. J’aime assez les gens qui essaient de trouver leur propre patine, leur propre trait dans les images et même dans la façon de raconter une histoire.

J’ai lu que tu avais été marqué par L’Étrange Créature du lac noir (7).

Ça m’a marqué parce que je m’aperçoit qu’il y a une espèce de sensibilité que je n’avais pas trouvé avant… mais il faut dire que je l’ai vu très jeune. Il y a une espèce de sensualité, par exemple quand il nage, et finalement la créature je la dessine assez souvent, sous différentes formes. Elle est vraiment assez présente, ça m’a vraiment marqué dans l’esthétisme du monstre.

Et dans tes propres travaux, les films d’animation que tu as réalisé, vers quelles formes narratives et cinématographiques est-ce qu’ils tendent exactement ?

Je pense que ça se rapproche de petits sketchs. J’ai fait que des petits courts-métrages finalement, du coup je ne les voyais comme des films mais plutôt des objets comme des « images Malabar », parce qu’ils faisaient toujours environ une minute. J’ai aimé que ça ait pu être très impulsif. Il n’y avait vraiment de recherches du point de vue cinématographique mais plutôt de l’instant, qu’il soit ce qu’il est.

C’était aussi une volonté de donner vie à tes dessins, non? 

Ah oui, et c’est tombé vraiment par hasard en fait. J’ai un fait un film qui m’a donné envie d’en faire d’autres, et ainsi de suite. En fait, faire du cinéma en papier découpé fait qu’on n’est pas trahi par son dessin parce que c’est vraiment mon dessin qui est découpé et animé. C’est pas comme dans un dessin animé classique, où mon dessin serait animé, là c’est vraiment du pantin. C’était vraiment l’envie de voir le mouvement, c’est ce qui à la base du cinéma et du coup c’est ce qui m’a vraiment fasciné : Faire des tout petits dessins animés sans prétention et voir qu’on pouvait être ému et faire passer des petites histoires courtes… ou plus longues parce qu’après j’ai attaquer d’autres films qui font jusqu’à 10 minutes. C’est vraiment l’idée du mouvement qui me parait fabuleux à coté du coté du dessin.

Une Histoire Muette, un des épisodes de la série des courts-métrage d’1 minute de Stéphane Blanquet :

Et justement, il y aussi un travail statique que tu fais quand tu travailles sur les décors, ce que tu fais pour des scènes de théâtre mais aussi pour des films. 

Ça, c’est vraiment un travail intéressant parce qu’il y a toute la mise en espace qui est complètement différente par rapport à du dessin « plat » et on travaille avec des comédiens, du coup les gens peuvent se retrouver dans une échelle. C’est assez passionnant de voir la confrontation entre un humain et son décor qui va être disproportionné. C’est pour que ça rejoint un peu Le Baron de Crac  où les décors étaient peints ou ressemblaient à des gravures et où les personnages évoluaient dans ces sets. Par exemple, pour la pièce Richard III, j’ai fait un grand décor et c’était amusant d’y voir les personnages y évoluer parce qu’il y avait un côté carton-pâte volontaire. Pour que ça marche, il faut aussi beaucoup travailler le costume pour que tout ça se réponde, sinon l’acteur devient plat, et mon décor aussi.

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Et dans tes travaux plastiques, vers quelles performances tu désires encore te diriger? La dernière interview que j’ai lu de toi, tu te mettais à la tapisserie…

Je continue toujours, c’est quelque chose qui prend de plus en plus de temps et d’importance dans mon travail parce que j’ai la chance de travailler sur une grande série, ce sera 40 tapisseries de 2 mètres chacune. Mais ce qui me ferai plaisir ce serait de continuer à faire des films. Là, je prépare un projet de court-métrage plus expérimental et pornographique. Ça ressemblerait aux installations que j’ai pu faire, avec des jeux de miroirs, des choses comme ça. Ce sera une coréalisation avec Jessica Rispal, un travail uniquement visuel et, je l’espère, le plus troublant possible.

Puisque l’organique a toujours été au cœur de ton travail, c’est finalement logique que tu recherches de l’animation. Jusqu’où es-tu prêt à aller dans cette direction?

Ça devient difficile: il faudrait que je fasse des installations avec de la vraie chair mais c’est compliqué. Et les tatouages c’est quelque chose qui me parle de moins en moins parce que je trouve qu’il y a quelque chose de la décoration, et justement j’essaie de m’éloigner de la beauté de la décoration. A la limite, je préfère les cicatrices brutes! C’est difficile ce sujet de la chair… Ça me rapprocherait d’auteurs comme Cronenberg qui cherchent quelque chose de plus palpable. C’est aussi ce que je recherche dans ce film pornographique parce que je travaille directement avec le corps et des choses qui se mélangent. On aboutit sur vraiment quelque chose de complexe sans être de la décoration, sans oublier lainterview-stephane-blanquet-dessin-2 partie organique justement. Il faudrait trouver de nouvelles façons de filmer les corps et pour ça j’essaie de tirer profit de mes propres facilités, parce que c’est sûr que mes dessins peuvent faire penser à ce qu’on voit parfois en tatouage mais j’essaie de m’en éloigner. Je veux que ça reste facile d’accès mais trop dur pour le porter sur la peau, c’est surtout ça.

Et pour en revenir au cinéma, il y a-t-il des œuvres qui, récemment, t’aient marqué, que ce soit par leur audace ou au contraire par leur mauvais goût?

Je n’ai plus trop le temps d’aller aussi souvent que j’aimerai au cinéma mais ça fait longtemps que je n’ai pas été retourné par le mauvais goût, c’est même très rare quand ça arrive. Quand on s’intéresse à des artistes comme John Waters par exemple, qui est allé très loin, je trouve que ça devient, pour moi, très populaire, c’est-à-dire que mes yeux ont changé. Même ces vieux films (8), je les trouve maintenant plus accessibles. Je ne vois plus de films qui me dérange.

Et j’imagine que le cinéma mainstream, ce n’est pas quelque chose qui t’attire, que tu préfères l’expérimental, ce qui est plus rare.

Le côté mainstream me plait aussi parfois parce que j’aime assez le divertissement. Ça dépend vraiment parce que je ne me fixe pas de barrière, et puis je n’ai pas l’habitude de parler de cinéma. Je regarde les films comme ça, surtout en ce moment où je me suis investi à fond dans mes travaux, plus encore que d’habitude.

Et enfin, pour donner rendez-vous aux lecteurs, ta prochaine exposition, c’est pour quand?

Là, comme je travaille essentiellement sur mes tapisseries, j’en ai encore pour quelques mois, et j’ai un projet en Allemagne qui sera à la mi-2017.

Le mélange des couleurs, un autre court-métrage de Stéphane Blanquet :

 

(1) de Patrick Bukanowski, réalisé entre 1976 et 1982

(2) un court-métrage de Derek Jarman réalisé en 1981

(3) de Karel Zeiman, réalisé en 1962

(4) me dit-il en pointant mon T-shirt Elephant Man

(5) La Jetée, Le joli Mai

(6) Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !, Mega Vixen

(7) de Jack Arnold, réalisé en 1959

(8)   Mondo Trasho, Pink Flamingos

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