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Trenque Lauquen : les jeux de l’amour et de la plume

Lili Mac Redactrice LeMagducine

Film fleuve à la construction savante, Trenque Lauquen croise plusieurs histoires en un récit fort ingénieux qui rappelle le meilleur cinéma de Jacques Rivette. Ce chassé-croisé amoureux s’écoule en plus de 4 heures dans le vaste espace-temps d’une enquête, aussi sérieuse que loufoque, sur la disparition d’une femme… très recherchée. Somptueux !

Que les 4h20 ne rebutent pas les plus réfractaires aux fresques interminables, vous en redemanderez ! D’autant plus que ce film argentin de Laura Citarella – qui vient de recevoir le Prix de la Fémis au festival Clap (cinéma latino-américain de Paris) – sera projeté en France en deux parties dès le mois de mai prochain.
Ce fonctionnement en diptyque a souvent fait ses preuves. Citons quelques chefs-d’œuvre aussi différents que Smoking, No smoking d’Alain Resnais, les deux volumes de Kill Bill de Tarantino, ou encore, plus proche géographiquement de Trenque Lauquen, les deux films consacrés au Che par Steven Sodebergh : l’Argentin puis Guerilla
Bref, la recette fonctionne et a donné quelques pépites qui invitent les spectateurs à revenir en salle tout en laissant le temps et l’espace nécessaires aux réalisateurs pour développer leur propos.

Carte du tendre d’un triangle amoureux

Le temps et l’espace, parlons-en, justement.
Trenque Lauquen est une ville de la province de Buenos Aires où se noue l’intrigue, puis les intrigues. En deux mots, Laura, une jeune botaniste partie à la recherche d’une fleur aussi rare que mystérieuse, semble s’être volatilisée. Rafael, son compagnon, enquête sur sa disparition avec Ezéquiel, surnommé Chicho, dont les relations avec Laura restent longtemps inexpliquées.
S’en suit un long périple tragico-comique à travers la région, qui ramène irrémédiablement les deux hommes à leur point de départ : Trenque Lauquen.
On frôle le road-movie musical (longs trajets en voiture et bande-son très années 80-90) et le polar minimaliste avec enquêteurs dépressifs à la Phillip Marlowe dans The Long Goodbye (Le Privé de Robert Altman).
Parallèlement à la recherche de Rafael et Chicho, des flash-back et un montage-puzzle permettent de comprendre que Laura était elle-même en train d’enquêter sur une autre disparition, beaucoup plus ancienne. Les indices de ses propres recherches se trouvent dans une correspondance amoureuse dissimulée dans des livres de la bibliothèque municipale de la ville. Savoureuse, ô combien ! est la lecture de ces extraits, dignes des échanges épistolaires érotiques des plus grands auteurs !

Manipulation et jeux de rôles

Alors que les enquêteurs amoureux se découvrent eux-mêmes en train d’enquêter, nous entrons avec ravissement dans les différentes strates narratives. Le puzzle se construit sous nos yeux, et nous sommes autant captivés par la complexité du récit que par l’interprétation magistrale de tous les acteurs.
Impossible de ne pas évoquer l’étonnante Laura Paredes (déjà très remarquée en déménageuse survoltée dans Clementina, qui vient de remporter de Grand Prix du Clap festival) ; Ezequiel Pierri en impassible Chicho découvrant son petit cœur qui bat ; Rafael Spregelburg en novio paumé qui en apprend chaque jour un peu plus sur celle qu’il croyait connaître ; Juliana Muras prêtant sa voix mélodieuse à la solide chroniqueuse radio ; ou encore l’inquiétante et très enceinte Elisa Carricajo en pédopsychiatre fascinée par la monstruosité…

« Bizarre autant qu’étrange ! »

Tout en maintenant le cadre dans un réel bien ancré, la deuxième partie du film opère un glissement vers un autre genre : le mystère et le surnaturel. L’histoire noue – on ne peut pas ne pas y penser – quelques correspondances électives avec le cinéma de Rivette. On pense à Céline et Julie vont en bateau, Merry-go-round, Haut bas fragile, Secret défense…. Quant à la bande-son, elle accompagne fort à propos des scènes de plus en plus étranges.
La cinéaste nous ballotte sans cesse entre plusieurs ambiances, auxquelles viennent se mêler de grandes scènes conversationnelles que ne renierait pas Claude Sautet. Notamment les épisodes radiophoniques qui ont, eux aussi, un rôle important à jouer dans la construction des divers récits emboités et dans la résolution des intrigues.
Laura Citarella procède par glissements. Elle nous entraîne dans des univers surprenants, dont la succession donne de l’ampleur au film, qui croît autant dans ses thématiques que dans sa propre durée. Et à chaque fois on marche, on court, on vole, en se demandant ce que nous réserve le plan suivant.
Disons-le, sans bouder notre plaisir : plus c’est long, plus c’est bon !

Bande annonce : Trenque Lauquen

Fiche technique : Trenque Lauquen

Réalisation : Laura Citarella
Avec : Laura Paredes (Laura), Ezequiel Pierri (Chicho) Rafael Spregelburg (Rafael) Juliana Muras (Juliana), Elisa Carricajo (Elisa)
Pays d’origine : Argentine, Allemagne
Langue : espagnol
Distributeur : Capricci Films
En salle en France : 3 mai 2023 (première partie)