Un duo de personnages fragiles, un peu fêlés et très attachants, sont filmés avec tendresse et lenteur dans O dia que te conheci (le jour où je t’ai connue). Cette petite pépite brésilienne d’André Novais Oliveira est un film court qui a tout d’un long. Il a reçu le Grand Prix Jeanine Bazin du festival Entrevues de Belfort. C’est un rendez-vous très réussi de la deuxième édition de CLAP, le festival de cinéma latino-américain de Paris qui s’est tenu du 2 au 7 avril 2024.
O dia que te conheci est un film de déambulation, de conversation et d’écoute. Pendant 24 heures, nous suivons Zeca, un grand gaillard sans âge, grassouillet et hirsute – tant du cheveu que de la barbe – sans lui lâcher les baskets d’une semelle.
Zeca travaille dans la bibliothèque d’une école de la petite ville voisine. Mais, problème, malgré toute sa bonne volonté, il ne peut pas se réveiller le matin, prisonnier d’un sommeil lourd et écrasant.
Cette donnée, sur laquelle repose tout le film, est l’objet d’une longue première scène non dénuée d’humour, au cours de laquelle Zeca négocie avec son coloc Lucas pour qu’il le réveille à l’aube : « Il faut absolument que je me lève… T’oublies pas… T’es sûr que tu peux ?… Même si finalement je te dis non… Il faudra pas me croire… C’est des paroles de mec endormi… Tu pourras me jeter de l’eau froide…»
Et ça dure, et ça dure, et ça dure…
Le jour le plus long
Bien sûr, Lucas ne parvient pas à réveiller Zeca. Et, quand celui-ci finit par ouvrir les yeux, la journée la plus longue de sa vie commence. Il va falloir courir ! Pas facile pour ce gros Baloo, perturbé dans son rythme naturel et tributaire des transports en commun, de se voir propulsé du Livre de la Jungle de Kipling à la jungle urbaine de Novais.
S’en suivront un enchainement bien calibré de péripéties formant autant de saynètes qui chapitrent l’ensemble. Prétexte également à la découverte de quelques personnages, plus que secondaires mais fort savoureux : les usagers mécontents du bus en panne, le client râleur dans le petit restau de street-food, l’écolière racontant Le Petit Prince, la maman faisant une interminable causette à Zeca sous les portraits monumentaux de Malcom X et de Mickael Jackson.
Tempo dans la ville
Ces scènes diurnes, souvent inondées de lumière, forment une balade dans Contagem, terrain de jeu favori du réalisateur, qui se plait de film en film, à scénographier sa ville sur pellicule. Elles sont, pour la plupart, filmées en plans fixes et cadrées selon « l’espace disponible ». Plan large sous Malcom X, gros plan sur la petite écolière, rapproché dans le restau ou dans le bus. Le cadrage semble donner la parole aux personnages. On les écoute, on les découvre, on entre avec eux dans la conversation. Ce temps qui leur est consacré condense l’essentiel de ce qu’ils ont à dire.
Mais, le propos du film reposant beaucoup sur la temporalité perturbée, nul moment ne semble avoir « le droit » de s’inscrire trop longtemps dans la durée. Alors les scènes sont parfois entrecoupées d’une petite course poursuite musicale qui rompt le tempo et rappelle que le temps file, et qu’il faut sans cesse le rattraper, passer à autre chose, en l’occurrence être à l’heure pour Zeca.
Mektoub
Enfin arrivé sur son lieu de travail, Zeca apprend son licenciement par Luisa, sa collègue de l’école. Cette jeune femme, dont le bagou et la voix sonore contrastent avec la léthargie et la voix traînante de Zeca, va prendre une place considérable dans le deuxième mouvement du film. C’est désormais sur son rythme à elle que la caméra se cale. Bien qu’elle soit, elle aussi, caractérisée par un corps assez lourd, ses déplacements fluides et agiles donnent l’impulsion, l’énergie, le mouvement. Tout comme sa voix, aux réjouissants éclats de rire et au timbre bas et légèrement rugueux.
Zeca et Luisa, qui se fréquentaient professionnellement, vont se rencontrer vraiment « grâce » à la séparation, puisque Zeca, licencié, ne reviendra pas à la bibliothèque. Pourtant – destin, karma, mektoub, fatum –, la suite de l’histoire laisse supposer qu’ils feront un bout de chemin ensemble.
Leurs longues déambulations dans la ville, à pied ou en voiture, leurs interminables conversations autour d’un détail qui en amène un autre, leurs confidences de plus en plus précises sur des sujets qu’ils se découvrent en commun les mèneront, par glissements successifs, à finir la nuit dans l’appartement de Zeca. Les longs travellings nocturnes accompagnés d’une musique en harmonie avec leurs sentiments naissants, alors qu’ils n’en n’ont pas encore conscience eux-mêmes, laissent le temps à leur relation de se mettre en place… à leur rythme !
La difficulté d’être soi
Il suffit d’un mot qui rebondit sur un autre pour créer une chaîne narrative et enclencher un changement de parcours tant physique que psychologique. Ainsi les confidences sur leur état psychique les amèneront à parler de médicaments, puis d’ordonnance, que Zeca n’a pas sur lui, mais dont Luisa pourra prendre connaissance à son domicile. Experte en la matière, elle lui ouvrira les yeux avec humour sur les posologies et les heures de prise. Occasion pour le metteur en scène d’entrer plus avant dans le thème des failles et fragilités personnelles sur lesquelles des mots sont posés : anxiété, dépression, béquille chimique pour y survivre…
Comme par enchantement, après une nuit de lourd sommeil, Zeca se réveillera à l’aube d’un jour nouveau, bien décidé à aller chercher un bon petit-déj pour sa belle. Sans doute le titre trouve-t-il ici son sens le plus plein…
O dia que te conheci est un film court (71 min), mais qui parait long, une sorte de comédie italienne au ralenti sous le soleil du Brésil. À voir.
Fiche technique : « O dia que te conheci » (Le jour où je t’ai connue)
Réalisation : André Novais Oliveira
Zeca : Renato Novaes
Luisa : Grace Passô
Comédie dramatique
Brésil 2023, 1h11
Filmes de Plastico