Le Film Noir Festival a encore sévi à Vincennes

Dans un monde parfait, les réveils n’existeraient pas. A deux reprises, le mien a été plus contraignant qu’une belle prune sur un pare-brise mitraillé par une horde de pigeons mal lunés. Poussé par la motivation d’un coureur olympique et la surprise d’un gosse de 10 ans devant un sapin au parterre coloré, je sors de Paris, car Vincennes abrite pour la 2ème année consécutive, un curieux événement cinéphilique. Le Festival du film noir a élu domicile au cinéma Le Vincennes pour 2 jours et demi, du 26 au 29 novembre. 2 jours et demi durant lesquels les festivaliers se réunissent pour célébrer le crime et un genre en particulier. Des belles rencontres, une rétrospective de 8 classiques sur le thème de la « Femme Fatale », un palmarès de 8 courts métrages en compétition pour deux prix : du jury (équivalent au prix du public) – dont le film bénéficiera d’une diffusion annuelle sur la chaîne 13ème Rue – et du jury jeune (5 adolescents du lycée Berlioz) ainsi que des avant-premières… Le week-end était plus que mémorable !

Journée 1

10h20. L’heure du crime réveil agité. Un mauvais cauchemar façon discount avarié devient souvenir perturbant. Dans 10 minutes a lieu la projection presse de Kiss Me, Deadly. L’allusion au film de Robert Aldrich de 1955 n’est pas anodine (En quatrième vitesse pour le titre français). La Courneuve – Vincennes n’a jamais été aussi proche. J’arrive sur les lieux du crime confus plus que de raison. Amandine, l’attachée presse et cofondatrice/organisatrice, s’active avec un sourire radieux et de longs cheveux ténébreux. D’autres journalistes web ont manqué à l’appel. Encore des réveils trouble-fêtes en guise de prétexte. Sur 10 journalistes attendus pour la rencontre avec l’équipe du film, seuls 4 seront présents. C’est avec des rouleaux cartonnés qu’elle se dirige à l’Office de Tourisme pour préparer la salle de rencontre. J’en profite pour sortir mon carnet et quelques interrogations. De formation de droit, elle s’est tournée vers l’EFAP pour devenir attachée presse. Cinéphile passionnée, elle a longtemps chéri le désir de programmer un festival de cinéma liant Crime & Justice, mais ce sera avec le film noir qu’elle et Géraldine Pioud instaurent l’événement en 2013 en créant Les Alibis, une association de loi 1901. Elles se sont rendues au Festival Noir City qui s’est tenu du 24 janvier au 2 février 2014 au Castro Theater de San Francisco, pour remettre à M. Eddie Muller, spécialiste international du film noir, président du festival américain et fondateur de la Film Noir Foundation, le premier Prix d’honneur du Film Noir Festival, scellant ainsi leur partenariat avec la fondation.

15h. Kristen Vangsness et le réalisateur, accompagnés par deux producteurs, nous avouent avoir eu des problèmes pour financer leur film noir comedy. Sur plus de trois ans, Dean Lemont et l’actrice d’Esprits Criminels ont vêtu smoking, tailleur et perruque. L’actrice s’est démenée pour aider les producteurs à réunir les fonds en comptant sur le soutien fidèle de ses camarades, Joe Mantegna, Shemar Moore, Matthew Gray Gubler et A.J. Cook. Seuls les 3 premiers font parti de la distribution. Kiss Me Deadly est à l’origine une pièce à succès, écrite en 2009 par Bill Robens. Elle comprenait peu de personnages et les comédiens ont dû incarner plusieurs d’entre-eux dans des costumes en noir et blanc. Il était donc difficile de créer d’autres rôles. La parodie d’une heure quarante, qui ne veut nullement remettre au goût du jour un genre disparu, cherche un diffuseur francais, mais ne risquera probablement de sortir qu’en VOD. Hâte d’assister le lendemain à la projection publique.

17h. Retour de Manivelle de Denys de la Patellière se termine en salle 1 tandis que l’indémodable Boulevard du crépuscule de Billy Wilder ne va pas tarder à être projeté. Le temps que le projecteur 35mm se refroidisse. Oui, les films sont diffusés dans leur format d’origine et la séance n’en est que plus réaliste, même si le ronronnement est capitonné dans une salle de projection cloisonnée. Ayant déjà vu et revu sur petit ou grand écran Glorian Swanson et Erich Von Stroheim, je me hasarde à combler le temps, car à 19h30 sont projetés en exclusivité nationale, deux épisodes inédits de la 7ème saison de la série Alfred Hitchock Presents. Merci qui? Merci Elephant Films.

19h35. La petite salle est presque complète et les rires sincères en voyant le gros Alfred faire le clown face à deux armures pour présenter l’épisode qui va suivre. What Really Happened de Jack Smight s’attache à raconter comment la femme d’un riche assureur s’acquitte du meurtre de ce dernier alors qu’en réalité c’est sa meilleure amie et gouvernante qui l’a empoisonné. Deux récits en flash back, des personnages savamment construits et un suspense relativement rôdé font de ce premier épisode un délice en bouche. Bonfire de Joseph Pevney fait de Peter Falk un Robert Mitchum (aka révérend Harry Powell dans La Nuit du chasseur) en carton pâte. L’interprétation est solide, mais l’intrigue relativement plate. Comment un tueur séducteur, prêchant l’évangile, s’énamoure de la nièce (Dina Merrill est le sosie parfait de Barbara Bel Geddes, aka l’ancienne fiancée de James Stewart dans Sueurs Froides, qui a également joué dans 4 épisodes d’AHP) d’une riche tante qui vivait seule. Le huis clos est abandonné pour se concentrer sur l’interaction des deux personnages principaux qui se débarrassent des affaires de la tante. L’intérêt est moins évident, mais le plaisir intact. L’anthologie criminelle adaptée pour la plupart de nouvelles ou histoires vraies restera source d’inspiration et patrimoine télévisuel à conserver. L’occasion de se procurer chez Elephant Films les coffrets des inédits en cette période de fêtes de fin d’année!

21h30. Mulholland Drive continue de retourner les têtes et les hypothèses pour comprendre les réalités alternatives de cette satire d’Hollywood fusent encore 14 ans après. L’occasion pour une salle malheureusement peu remplie de (re)découvrir le 9ème long métrage de David Lynch. Il est vendredi soir et ne nous laissons pas abattre, la peur ne nous fera pas éviter le danger et fuir, c’est bon pour les robinets. Buvons à la joie, au plaisir d’être entre amis, même si je ne connais pas les personnes chez qui je suis.

5h. La tête gonflée à l’hélium, d’une bouteille de rhum qui nous a quitté trop vite, l’estomac qui tient étrangement la route, les yeux roulants et les jambes hyperactives, je retrouve un lit, sain et sauf.

Journée 2

10h15. Un marteau-piqueur s’évertue à fendre le plafond tandis qu’une demi-douzaine d’ouvriers, aussi doux qu’un troupeau de bovins excités à une Feria, font les cent pas avec leurs bottes de 7 chantiers au-dessus dans ma tête. Je sais pas combien de forêts ont été dévastées, ni combien d’arbres y sont passés, mais une chose est sûre, appeler ça gueule-de-bois en cette période de prise de conscience écologique semble être le plus beau compliment qu’on m’ait jamais sorti. Un café soluble et brûlant à la main (« sur » à défaut d’être dans le gobelet), je me hâte, car c’est aujourd’hui que les hostilités commencent.

11h. 8 courts métrages sont présentés dans la plus grande salle du cinéma Le Vincennes et seulement trois font vraisemblablement référence au Film Noir, telle que la conception le laisse entendre : voix off, crime prétexte, mais intrigue portée sur une séduction malsaine, femme fatale, noir & blanc, atmosphère urbaine oppressante… Les 5 autres, conduits par un humour noir et un regard exclusivement masculin, n’en sont pas moins intéressants pour autant, mais il est curieux de voir leur place sur cet écran. Ni néo- ni tech- noir, ils revisitent la thématique du mafieux qui fait rire malgré lui. Des trois donc qui restent en course, deux sont australiens et un seul français. Je rencontre Maxence à la sortie de la salle. Il n’a pas cru Géraldine Pioud, la 2ème organisatrice/cofondatrice, quand elle lui a annoncé que son court, détonnant et surprenant, a été sélectionné parmi plus de 120 courts venus du monde entier. Le chiffre n’est guère conséquent. L’année précédente, Amandine et Géraldine ont dû regarder et répondre à plus d’un millier de réalisateurs. Elles ont compris que les 5 euros, pourtant nécessaire au financement du festival, étaient trop élevés et décident de réduire les frais d’inscription pour 2016. S’inscrire à un festival de cinéma n’est en général pas sans frais et se plaindre d’une somme dérisoire revient à négliger la qualité de celui-ci. Bref, Maxence, âgé de 31 ans, a plusieurs projets à son actif. In The Shadows, d’une durée d’une minute, tourné en 3 heures dans les rues nocturnes d’Issy-les-Moulineaux, a été conçu dans le cadre d’un concours vidéo américain, le TentSquare Hitchcock Inspired Original Scene Challenge. Seuls les nationalisés étaient autorisés à participer, cependant les organisateurs ont permis à Maxence une projection exceptionnelle.

L’entretien improvisé se transforme en agréable conversation de café. Mais ne loupons pas La Femme au portrait de Fritz Lang, suivi à 15h des Tueurs de Robert Siodmack. De toute façon, la remise des prix aura lieu ce soir. De 7 prix l’année dernière, il n’en reste plus que deux, en espérant que les financeurs soient moins frileux, les réalisateurs moins économes et les festivaliers plus courageux (oui le froid est aussi un obstacle pour certains). Cette année, les deux organisatrices ont dû lancer un kisskissbankbank pour compléter sur les investisseurs privés. La séance de 15h a une première partie. Oui comme les concerts. Un certain jeune Jérémie Duvall vient présenter son court métrage hors-compétition. Une place au soleil est certes très bien réalisé, mais le rapport au film noir est plus complexe. Jusqu’où est-on prêt à aller par ambition? Mulholland Drive est une référence lointaine, pour les deux actrices principales et la pseudo tension sexuelle qui est censée y régner. Cette excursion tient plus de l’ordre du clin d’oeil familial amateur, « hey, on te projette ton film, tu remercies tata? » que d’une programmation dynamique et mûrement réfléchie. Mais par cette échappée curieuse, le Festival garantit de soutenir les talents émergents et cela est remarquable.

17h15. Louis Malle projette Ascenseur pour l’échafaud. Et je vous assure qu’il était bien présent. Si si c’était bien lui dans la cabine de projection ! L’occasion de rencontrer une Jeanne Moreau envoûtante et de replonger dans le jazz de la Nouvelle-Orléans (bien que le film se passe en France) avec la composition de Miles Davis. L’étude approfondie et répétée du film à l’université me convaint, une fois de plus, d’occuper le temps… A La Défense, le marché de Noël est privatisé (deux vigiles surveillent l’entrée), les rues sont moins peuplées et je me prends à être suivi par un étrange individu qui sourit à toutes les personnes dans le métro. Le Film Noir est devenu refrain quotidien…

19h30. Le Vincennes semble n’avoir jamais été aussi peuplé. Une masse d’individus de sexe majoritairement féminin encercle Kirsten Vangsness qui sourit à toutes les dédicaces. L’équipe du film est sur son 31, ainsi que les 5 lycéens du jury jeune et à force d’espaces vides, la salle 1 est devenue formulaire d’admission. Veuillez cocher la proposition correspondante. Sur une centaine de places, les sièges sont parsemés de couples quadra-voire, sexagénaires et d’adolescentes venues voir Penelope Garcia dans la peau d’une femme fatale qui minaude à excès. Elle sort son téléphone, pour nous lire dans un français approximatif, mais compréhensible, un petit discours très touchant. Les deux prix sont remis au même réalisateur français. Lucas de Gastines reçoit la statuette pour Rupert par les mains de l’actrice , inspiré sans le vouloir du sketch Avez-vous déjà vu « Un crime pas parfait du tout ».

Kiss Me Deadly est une parodie du film noir qui ne provoque dans l’ensemble ni le rire ni l’admiration. Sur l’affiche nous pouvons lire une réplique « Why fall in love with a broad you can trust ? That’s like reading a book you already know the ending to. » (« Tomber amoureux d’une nana en qui vous ne pouvez avoir confiance, c’est comme lire un livre dont vous connaissez la fin« ) La mise en scène à l’ambition avortée, sans clairs obscurs, ni personnages secondaires complexes, fait cependant la part belle aux films noirs de série B prêts à combler les séances de minuit. Il manque le pavé humide, les gangsters réellement menaçants, mais le héros détective joué par Dean Lemont est admirable. Mal rythmé, le film noir comedy enchaîne les longueurs et s’éternise sur certains clichés. Le sur-jeux et les dialogues acerbes font du long métrage indépendant de Darrett Sanders, une parodie bien trop bavarde et incertaine, n’attisant que par ellipses les zygomatiques. Le film aurait gagné à puiser toutes les ressources du genre en se positionnant de manière claire. La Cité de la peur et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre sont devenus cultes par leur savant dosage et les répliques cultes qui n’étouffent jamais le propos ou alors toujours à des desseins réussis de comédie. Ici, la référence certaine annihile le plaisir décomplexé et seuls quelques moments sont vraisemblablement plaisants, à en croire les mêmes rires éparses résonant dans l’obscurité.

22h. La rétrospective de la Femme Fatale se termine sur Basic Instinct de Paul Verhoeven. Des manants qui attendaient dans la file d’attente 2h30 auparavant se sont étonnés de ne pas voir Sharon Stone. Un jeune couple a décidé de son programme le matin même en apprenant que l’actrice Kristen Vangsness était à Paris pour présenter l’avant-première française de Kiss Me Deadly. L’esprit du Film Noir Festival est habité par l’effervescence de dernière minute et la curiosité cinéphilique. De 1200 festivaliers en 2014, le chiffre de cette année sera forcément en-dessous, mais en n’espérant que 2016 soit un meilleur cru. Les chiffres pairs semblent avoir été toujours favorables…

La matinée du dimanche 29 novembre est consacrée aux Tex Avery Cartoons pour un public jeune. J’ai une fois de plus découché, mais le réveil n’aura jamais été aussi agréable grâce au Film Noir Festival qui mérite de compléter sa programmation par des événements plus importants qui permettraient de combler les « meurtres temporels ». A deux reprises, j’ai dû tuer le temps et pour des festivaliers qui ne seraient pas vincennois, il faut comprendre l’éventuelle gêne. Le week-end était mémorable. Mais pourquoi pas envisager des rencontres/dédicaces avec des auteurs? Des quizz ou blind-tests conviviaux pour attirer le public de mon âge ? Diversifier le huis-clos, cela va sans dire.

Longue vie à la 4ème édition!!!

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