La réalisatrice canado-suisse Léa Pool porte à l’écran le roman « Ör » de l’auteure islandaise Auður Ava Ólafsdóttir. Hôtel Silence met en scène Sébastien Ricard dans le rôle d’un homme au bord du précipice, rongé par une détresse existentielle, et dont les cicatrices intérieures répondent aux traumatismes enfouis d’un peuple anonyme meurtri par la guerre. Un drame sensible et lumineux sur les blessures et les errances de l’âme humaine et la force de vivre, encore.
Quinquagénaire récemment divorcé, torturé par une mélancolie à laquelle il ne voit plus d’issue, Jean, remarquablement interprété par Sébastien Ricard, annonce tristement à sa mère (Louise Turcot) qu’il n’a plus le goût de rien. Il s’exile donc vers un pays fictif dévasté par une guerre anonyme et dépersonnalisée, dans l’objectif d’y mettre fin à ses jours et de protéger sa fille des conséquences de son geste irréversible. Arrivé à bon port, Jean s’installe dans une chambre miteuse de l’hôtel monumental juché sur les plus hautes cimes d’un petit village en bordure de mer, habité par quelques rescapés du conflit, qui lui non plus ne dit pas son nom. C’est là, au contact d’étrangers plus démunis que lui encore, qu’il va se raviser, retrouver un élan d’humanité et donner un sens nouveau à son existence.
L’œil vide et la démarche raide, Sébastien Ricard erre dans le hall et les couloirs déserts du gigantesque palace Art déco en décrépitude, pierre angulaire du film dont l’architecture saillante et terriblement cinématographique y fait régner un calme plat. Toute la beauté du dispositif de mise en scène réside dans son extrême sobriété, Léa Pool optant pour une représentation abstraite et symbolique de la reconstruction mentale. En effet, Jean a apporté avec lui des outils de bricolage. Il rafistole lui-même peu à peu les lieux, apportant une aide précieuse aux propriétaires, clients et autres personnages fantomatiques qu’il rencontre aux alentours de l’hôtel, une manière sensorielle d’écouter sa détresse mutique, de maîtriser ses pulsions suicidaires et de se réconcilier avec son esprit. Baigné d’une magnifique lumière glaciale, Hôtel Silence tire aussi sa puissance du contraste saisissant entre la beauté froide des images et la hideur de la catastrophe hors champ que l’on sent poindre dans le délabrement ambiant. Le décor se présente ainsi comme un espace double, partagé entre deux réalités, l’une de façade, exposée au regard (l’hôtel vu du dehors), et l’autre cachée (la chambre), propice aux fantasmes du protagoniste, atteint dans sa virilité impuissante qu’il va soudain remettre en marche. Le film change alors de tonalité et se fait chrysalide pour accompagner sa mue. Aux plans resserrés sur un lieu de vie trop étroit, répondent les gros plans sur le visage abîmé de l’acteur dont les traits tendus ressemblent à un paysage dévasté duquel on perçoit les moindres vibrations. En réponse au passé trouble de Jean, l’ouverture vers la mer dessine la belle anamorphose d’un horizon habillé d’espoir.
S’il souffre d’un manque de rythme et de quelques longueurs, Hôtel Silence interroge pleinement l’époque et revient aux thèmes de prédilection des œuvres les plus intimes de sa réalisatrice — on pense notamment à La femme de l’hôtel (1984), À corps perdu (1988) ou encore à Emporte-moi (1999). Dans l’une des plus belles séquences du film, Léa Pool insère même du méta-cinéma en restaurant une salle de spectacle abandonnée, nichée dans les entrailles de l’hôtel, citant au passage La Mécano de la Générale de Keaton. Une promenade intime, lucide, souvent tendre, parfois méchante, au cœur des tourments d’un écorché vif, qui emprunte l’escalier de secours puis chemine dans le long corridor de la guérison. À ce jour, le film n’a pas trouvé de distributeur en France. Sévan Lesaffre
Hôtel Silence – Bande-annonce
Synopsis : Jean décide de partir en voyage dans un pays détruit par la guerre. Son mal de vivre lui semble vite dérisoire face au sort de ceux qui l’accueillent en s’accrochant au moindre espoir de reconstruction. Il redécouvre alors un sens à son existence. Une histoire profonde, empreinte de lumière, d’un homme en quête de réparation.
Hôtel Silence – Fiche technique
Réalisation et scénario : Léa Pool
Avec : Sébastien Ricard, Lorena Handschin, Jules Porier, Irène Jacob, Louise Turcot, Paul Ahmarani…
Production : Lyse Lafontaine, François Tremblay, Élisa Garbar
Photographie : Denis Jutzeler
Montage : Michel Arcand
Costumes : Marjolayne Desrosiers
Musique : Mario Batkovic
Distributeur : Les Films Opale
Durée : 1h41
Genre : Drame
Sortie : Prochainement