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Gérardmer 2019 : Monstres et Australie

Si l’on se cantonnait à la compétition lors de notre séjour à Gérardmer, on risquerait d’être déçus. Comme chaque année, cette dernière s’est avérée être en dents de scie, proposant à la fois de belles surprises ainsi que d’ innommables purges. Voilà pourquoi, il est important d’aller jeter un œil sur ce qui se trouve à côté. Le programme était, là aussi, alléchant. On a ainsi pu y découvrir trois raretés provenant des années 70, dont deux issus de l’ozploitation. Mais également un documentaire sur une figure majeure des effets spéciaux, et, pour finir, ce qui s’avère être le meilleur film de cette sélection, Freaks.

La Rose écorchée (Réalisé par Claude Mulot, France, 1970)

En partenariat avec le distributeur Le Chat qui fume, le festival de Gérardmer a lancé cette année une nouvelle catégorie dénommée Rétromania. L’occasion de découvrir ou redécouvrir des films de genre un peu oubliés, comme Maniac de William Lustig, ou le Renne Blanc de Erik Blomberg. Quant à nous, nous nous sommes penchés sur une bizarrerie made in France un peu tombée dans l’oubli, la Rose écorchée. Aux premiers abords, le film renvoie à un classique du cinéma fantastique français, Les Yeux sans visages de Franju. En effet, il met en scène un couple dont la femme va être défigurée, et va se faire passer pour morte. Jusqu’au jour où ils font la rencontre d’un chirurgien aux pratiques douteuses capable de modifier les visages : le couple se lance alors en quête d’une jeune femme à sacrifier pour permettre à l’épouse de récupérer sa beauté. Malgré tout ça, l’ambiance de La Rose écorchée se rapproche plus de celle d’une autre figure du genre hexagonal, Jean Rollin, de par son ambiance gothique, l’action du film se déroulant quasi exclusivement dans un château sinistre avec deux nains comme serviteurs, mais également dans l’érotisme qu’il essaie de dégager. Étonnement, le film ne souffre que de peu de temps morts, et arrive à captiver le spectateur tout du long avec son atmosphère lugubre, amplifiée par une musique au clavecin glaçante (et pas uniquement en filmant des nains faire du catch avec une femme nue dans la paille). La Rose écorchée offre également à une très jeune Annie Duperey, un rôle à l’opposé total de celui qu’on lui connait dans une Famille formidable. Elle y incarne une figure monstrueuse, désespérée à l’idée de retrouver sa beauté d’antan. Une belle petite gemme cachée du cinéma déviant français, proposée dans une très belle restauration.

Night of Fear (Réalisé par Terry Bourke, Australie, 1972)

Chaque année, le festival de Gérardmer offre des nuits blanches permettant, au travers de 2 ou 3 films, de revenir sur des sagas emblématiques du cinéma. Si l’an dernier, nous avions pu redécouvrir Hellraiser, pour cette 26ème édition, c’est tout un pan du cinéma d’exploitation qui a été mis à l’honneur. L’ozploitation, terme inventé à l’occasion de l’excellent documentaire Not Quite Hollywood, désigne en effet ces films complètement fêlés qui ont vu le jour en Australie à partir des années 70. Si certains comme Mad Max sont devenus des classiques, d’autres ont eu du mal à parvenir jusqu’en Europe. Pour commencer cette nuit blanche, c’est l’un des pionniers de ce courant qui ouvre les hostilités. Night of Fear devait être à la base une série, mais le produit fini a très vite fait déchanter les producteurs, qui ne sont même pas allés jusqu’à distribuer le film. Terry Bourke se voit alors obligé de louer des salles de strip-tease pour diffuser son film. Il faut dire que le visionnage de Night of Fear peut facilement rebuter, le film faisant preuve d’une démarche des plus expérimentales. Le pitch est assez basique et suit une jeune femme perdue dans la forêt se faisant poursuivre par un plouc déglingué amateur de rats. Malgré sa courte durée (54 minutes), l’expérience est des plus malaisante. De par son ambiance poisseuse qui inspirera certainement Tobe Hooper, mais surtout par sa bande-sonore dissonante et son sound-design atroce, Night of Fear joue avec les nerfs du spectateur. On ne peut pas compter non plus sur le jeu d’acteur, complètement à l’ouest sans aucune ligne de dialogue, les personnages se contentant d’émettre des gémissements. Une séance qui s’avérera marquante et qui entraînera au final plus de fous rires que de véritables frissons.

Long week-end (Réalisé par Colin Eggleston, Australie, 1978)

Après la mise en bouche Night of Fear, il est temps de tailler dans le lard avec un classique de l’ozploitation dont Tarantino a vanté les louanges, Long Week-end. On quitte un peu le côté très amateur du film de Terry Bourke pour tomber dans une véritable vision d’auteur. Long Week-end bénéficie avant tout d’un concept génial. Le film met en scène un couple ayant quelques problèmes sentimentaux et qui passe un week-end à la plage, histoire de raviver la flamme en train de s’éteindre. Sauf que sur place, ils ne témoignent d’aucun respect pour la nature, jetant leurs déchets et s’amusant à tirer sur tout ce qui bouge. Forcément, la nature va se venger des deux irrespectueux. Malgré là aussi une durée assez courte (1h30), Long Week-end prend son temps, s’attardant dans un premier instant à faire une radiographie des problèmes du couple. Tout cela permet d’instaurer une ambiance déjà très pesante, avant que la menace ne fasse sa première apparition. À ce niveau, Eggleston, plutôt que de miser sur une horreur démonstrative, joue plutôt sur une horreur psychologique. Lorsque les choses dérapent complètement, le climat se fait alors de plus en plus oppressant, Eggleston n’hésitant pas parfois à étirer les scènes à leur maximum pour bien imprégner son film d’une dimension suffocante. Regorgeant d’idées absolument fascinantes (comme celle du dugong zombie), Long Week-end est une œuvre iconoclaste, maniant la terreur latente de façon particulièrement intelligente, tout en offrant à plusieurs reprises ce qu’on attendait de la part d’un concept pareil (un homme aux prises avec un opossum par exemple). L’Australie qui a toujours étant un pays passionnant grâce à sa faune si unique, trouve ici le parfait contre-pied à cette image paradisiaque. Une image qui n’a d’ailleurs pas beaucoup plu aux australiens, ne supportant pas qu’on dépeigne leur biodiversité de cette façon.

Phil Tippett : Mad Dreams and Monsters (Réalisé par Gilles Penso et Alexandre Poncet, France, 2019)

Après ce petit voyage en terre australe, il est temps de revenir en France avec le nouveau documentaire du duo Gilles Penso/Alexandre Poncet. Après avoir consacré un film à la légende Ray Harryhausen, ils décident cette fois-ci de mettre à l’honneur son fils spirituel, à savoir Phil Tippett. Même si vous n’avez jamais entendu le nom de Tippett, vous ne pouvez qu’être familiers de son œuvre, particulièrement riche. En effet, ce spécialiste des effets spéciaux américains, et notamment de la stop-motion, a travaillé sur bons nombres de films cultes des 70s/80s/90s, obtenant d’ailleurs au passage plusieurs oscars. Tippett est entre autres le papa des aliens de la trilogie Star Wars, du dragon de Dragonslayer, des Piranhas de Joe Dante ou encore de ED-209 de Robocop. Bien que le documentaire soit de facture assez classique, alternant entre entretien et images d’archives, il dresse un portrait fascinant d’un homme passionné. Le film rend également pleinement hommage au travail fastidieux qui se cache derrière la stop-motion, et il est captivant de voir comment ces créatures prennent vie devant la caméra grâce au savoir-faire minutieux de Phil Tippett. Une belle mise en lumière d’un homme de l’ombre ayant révolutionné à de nombreuses reprises les effets spéciaux, comme en témoigne son travail oscarisé sur Jurassic Park.

Freaks (Réalisé par Adam B.Stein et Zach Lipovsky, États-Unis, 2018)

Autant garder le meilleur pour la fin, et finissons donc cette série de chronique sur le 26ème Fantastic’Arts avec le grand coup de cœur de cette édition, Freaks. Récompensé au PIFFF, le film du duo Stein/Lipovsky s’est étrangement vu relégué hors-compétition, alors qu’il aurait pu être un sérieux prétendant au Grand Prix. Comme The Unthinkable, Freaks est un film qui sait entretenir son mystère sur ses intentions, et dont nous allons taire le maximum afin de préserver la surprise. On se retrouve face à un père et une fille, qui n’a pas le droit de quitter la maison, sous prétexte qu’elle est différente et que le monde extérieur veut la tuer. Même si certains aspects de Freaks ont déjà pu être vus ici ou là, la générosité qui émane du travail de Stein et Lipovsky est stupéfiante. Avec très peu de personnages et une utilisation maline du huis-clos, les auteurs arrivent à créer une véritable mythologie permettant la création d’un univers riche dont on ne voit au final qu’une infime partie. Le fantastique se transforme alors ici en une épopée familiale bouleversante, bien aidée par un excellent casting. Si Emile Hirsch ou Bruce Dern n’ont plus grand chose à démontrer, la véritable révélation provient de la jeune Lexy Kolker aussi touchante que charismatique. Freaks réussit tout ce qu’il entreprend, créant une alchimie évidente entre ses protagonistes, offrant des séquences d’action efficaces malgré là aussi un budget serré. On tient ici la véritable pépite du festival.