Au PIDS, Paris Images Digital Summit, LeMagduciné a pu découvrir en avant-première Mad Dreams & Monsters, le nouveau documentaire d’Alexandre Poncet et Gilles Penso qui reviennent, après Le Complexe de Frankenstein et les créatures au cinéma, sur la grande figure des effets spéciaux qu’est Phil Tippett.
Après Le Complexe de Frankenstein (2015), documentaire sur les créatures au cinéma, et Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux (réalisé en 2011 par Gilles Penso et produit par Alexandre Poncet et leur société Frenetic Arts), le duo nous revient avec Mad Dreams and Monsters. Le long métrage, qui revient sur le grand spécialiste de l’animation Phil Tippett, a été présenté au festival Gérardmer ainsi qu’au PIDS en « ultra avant-première », dixit Alexandre Poncet, le film n’étant pas encore finalisé.
Phil Tippett, un imaginaire manuel
Si vous ne le connaissez pas, vous avez forcément été témoin de son travail lors de visionnages de la trilogie originale Star Wars, de RoboCop I & II ou encore de Starship Troopers. Phil Tippett, comme le présente très bien le film, est l’héritier de Ray Harryhausen, le grand génie de la stop motion de la fin des années 40 au début des années 80. Les AT-AT de l’Empire Contre-Attaque, le jeu d’échec holographique de Star Wars, ou les piranhas du film homonyme de Joe Dante, Phil Tippett et sa bande de joyeux lurons les ont animés, et concernant certains éléments, créés de A à Z.
Ci-dessous, un clip sur l’élaboration des effets spéciaux de la trilogie originale Star Wars, vous pouvez y apercevoir Dennis Muren et Phil Tippett.
Tippett, c’est aussi un travailleur manuel qui a su, grâce au savoir-faire de son épouse et de son équipe, survivre au bouleversement de l’arrivée des outils numériques. Important changement qu’il a connu sur Jurassic Park. Si Tippett devait animer des dinosaures d’argile, Spielberg et l’équipe créative des effets spéciaux choisiront les animatronics incroyables de Stan Winston et les effets spéciaux numériques d’ ILM qui ne cessaient alors de repousser l’expérimentation digitale dans le domaine du cinéma. Jurassic Park constitue le point de basculement dans Mad Dreams and Monsters. Peu avant Jurassic Park, Tippett voulait revenir à des travaux plus personnels. Il le fit avec des documentaires sur les dinosaures. Appelé pour travailler sur le spectacle de Spielberg, il se sentit finalement trahi par son grand ami et collègue d’ILM, Dennis Muren. Mais la trahison est double : après la maestria de stop motion sur RoboCop 2, Tippett s’imagine sombrer, lui, sa carrière, son studio co-créé par sa femme Jules Roman, face à l’arrivée du miracle numérique. La dépression le guettait, lui et ses animateurs, mais soutenu par sa femme et son équipe, Tippett a su intégrer la vague digitale. Comme écrit plus haut, Tippett est l’héritier d’Harryhausen. Et Harryhausen, comme Tippett, n’était pas juste un pilier du stop motion. Ce sont tous deux des génies de l’animation capables d’insuffler la vie, et de faire de leurs créatures d’argiles de vrais personnages possédant une personnalité, un caractère grâce à leur animation. Et Tippett est un véritable spécialiste des animaux. Muren est loin d’être le traître que Tippett a perçu. Intelligent, brillant même, l’homme n’est pas aveugle : le numérique est l’avenir, mais les techniciens ne sont pas des animateurs. Tippett et son équipe utilisent les squelettes de leurs figurines, placent dessus des capteurs informatiques et continuent leur travail d’animation accompagné d’un ordinateur. ILM n’avait plus qu’à habiller ces squelettes en mouvement.
Mad God, ou comment parler de notre monde chaotique par Phil Tippett
Enfin, Tippett est un homme dont l’esprit et l’art créatifs modèlent sa vision du monde. Cette approche de Poncet et Penso traverse tout le film : du totem (accroché à son rétroviseur) constitué d’éléments récupérés ici et là par Tippett à sa dernière création audiovisuelle qu’est Mad God. Une œuvre surprenante et percutante sortie de l’imaginaire sombre de Tippett qu’il considère comme une thérapie pour faire face au chaos du monde… La plongée dans les ténèbres de Mad God a récemment gagné une troisième partie grâce à la campagne de crownfunding lancée par l’équipe créative. Un quatrième chapitre est prévu.
Ci-dessous, la bande-annonce de l’ambitieux projet de Phil Tippett, Mad God.
Cette manière de distiller cette perception de ce Tippett méconnu permet au spectateur d’avoir une autre vision du travail conçu sur Star Wars ou Dragonheart. Vision appuyée par les commentaires de Paul Verhoeven, Jon Davison et Jules Roman : c’est un esprit créatif et artistique complexe.
Car on oublie beaucoup que les grands noms des effets spéciaux, Tippett, Harryhausen, Muren et Knoll, ne sont pas juste des techniciens. Ils sont des artisans, des ingénieurs créatifs, des narrateurs, des avant-gardes artistiques.
« On voulait une approche personnelle de Phil Tippett » – A. Poncet
L’approche personnelle du duo Poncet / Penso se ressent par la passion qui porte le projet. Les deux ont pu réanimer eux-mêmes certaines des grandes créations du studio de Tippett. On pense notamment à Caïn devenu une machine de guerre terrifiante dans le deuxième volet de RoboCop. Le fait de revoir les golems de Tippett reprendre vie apporte un cachet au film tout en exposant à quel point son imaginaire reste animé dans nos esprits. Cette vision énergique de l’héritage tippettien est séduisante et bien intégrée au documentaire tant elle évite de tomber dans le « geek shit ».
Toutefois, cette même approche personnelle peut avoir certaines limites. Poncet et Penso connaissent Tippett intimement. Ils ont dormi chez lui, passé beaucoup de temps ensemble. Et leur amitié, tout comme leur passion en l’homme, perdurera certainement jusqu’à leur dernier souffle. Si leur passion nous a heureusement contaminés, on peut regretter quelques éléments de mise en scène mettant à mal leur volonté d’un traitement pudique du personnage tantôt bourru, tantôt hilare qu’est Phil Tippett. On pense notamment au passage de la demande en mariage de Jules Roman qui nous raconte en drama queen qu’elle était alcoolisée lors de cet instant. Le discours continue en off tandis que sur l’écran se succèdent deux photographies du couple accompagnées par une musique beaucoup trop mélo pour ce moment plus tendre et léger que romantique. La séquence en fera d’ailleurs rire plus d’un dans la salle. Justement, concernant la musique composée par Alexandre Poncet, si elle se révèle être soignée, celle-ci est beaucoup trop présente tout au long du documentaire. On a ainsi pu se sentir émotionnellement pris en otage lors de la double trahison sur Jurassic Park. Oui, Tippett a souffert, oui on peut le comprendre émotionnellement et rationnellement, non nous n’avons pas besoin que la musique vienne nous appuyer la gravité du moment… On retrouvera aussi cette éternelle séquence de cris au génie avec les différents intervenants du film. Moment un peu too much qui aurait gagné à présenter un peu plus de légèreté dans le ton. Idem concernant le témoignage de Jules Roman qui ne reconnaissait plus son mari après ses quelques mois passés dans le désert sur le tournage de Starship Troopers, témoignage accompagné d’une photographie de Tippett appuyant le côté « usé et paumé » du personnage, aussi soutenu par une musique tristounette. Si tant est que cela ait été réel, il aurait fallu prendre parfois un peu de distance avec les propos de Roman qui, si elle s’est avérée être une importante personne dans la vie de Tippett à tous les niveaux, a tendance à incarner la drama-queen – l’un des défauts récurrents de nombreux reportages/documentaires revenant sur le passé à partir de récentes interviews – du film.
Malgré ces quelques soucis, Mad Dreams and Monsters est, à l’instar de leurs précédentes productions, un must-see pour les fans d’effets spéciaux et tous les curieux prêts à ouvrir la boite de pandore de la magie du cinéma.