Présenté en compétition officielle au FIFAM 2024, Diaries from Lebanon est un documentaire de Myriam El Hajj. Il suit le combat de trois libanais à travers le regard d’une femme engagée pour son pays, même quand tout s’effondre. Chacun des protagonistes s’interroge sur le sens de leur combat et l’avenir d’un pays qui traverse de multiples crises.
Diaries from Lebanon s’ouvre sur le discours d’espoir et d’union de Joumana, femme politique engagée, qui s’attend à être élue députée. Or, même après la victoire, elle est finalement déclarée perdante. Corruption ? C’est ce contre quoi elle lutte en faisant de la politique, malgré les menaces et l’éloignement avec sa famille proche. La réalisatrice, en voix off, s’interroge sur comment sauver ceux qu’elle aime. On rencontre ensuite Perla Joe, artiste activiste et engagée qui est de la révolution du 17 octobre 2019. Quand on la rencontre, elle n’est pas encore entourée de la liesse de la rue, on l’entend s’exprimer, faire sortir sa peine et sa rage face à l’injustice. Elle n’y croit pas et sa révolte pessimiste nous touche en plein cœur. C’est une de ses chansons qui viendra clôturer le film, pour lui laisser le choix de dire que le combat continue, malgré la violence, la mort et le découragement. La colère cependant est son moteur : « Les choses doivent changer et ceux qui ne comprennent pas ça, rentrez chez vous et réfléchissez-y ». Elle interpelle ceux qu’elle croise et à travers eux, la caméra de Myriam El Hajj, avec laquelle se noue le dialogue. Joumana la réconforte. Joumana qui peu à peu ne sait plus si le choix des urnes est le bon. Quant à George, qu’on rencontre chez son barbier (et coiffeur), il n’apprécie pas la tournure de la révolution, lui qui s’est battue par les armes. Peu à peu, le soin de son corps va devenir moins fréquent au même rythme que sa certitude d’avoir mené le bon combat s’évapore et qu’il se remet à hanter la nuit.
Myriam El Hajj filme la clameur de la rue, en immersion totale, avant de la faire résonner dans les rues vidées de la période covid. Elle livre une parole qui veut un changement, mais qui peine à sentir où va cette voix, qui semble se perdre, ne pas être entendue. Et puis, il y a le 4 août 2020. L’explosion du port de Beyrouth et la survie des trois protagonistes, tous touchés par ce drame immense. Dans la poussière, la mort et la reconstruction, les voix se font encore plus redoutables, interrogatives et habitées. Les corps flanchent, mais les cœurs sont encore au changement, exception faite peut-être de George. George était pendant la guerre civile libanaise « le père de la nuit », car il ne dormait jamais. D’ailleurs, il ne raconte pas vraiment ce qui s’est passé pendant la guerre, Myriam doit chercher à faire émerger cette parole. La réalisatrice relie tous ces récits très différents, et étalés sur quatre années, en rappelant quelques éléments clefs, mais surtout en offrant avec sa voix off son histoire politique et privée. Elle donne ainsi une autre dimension à son récit, un fil conducteur et une force poétique. Ce que raconte Diaries from Lebanon résonne aussi fort que l’explosion du 4 août qui semble transpercer le film et les destinées. Le documentaire sait aller chercher l’élan de liberté, même fugace, et regarder son sujet en face. Ce n’est pas une œuvre qui répond ou donne la clef pour sortir de la souffrance, le Liban est « entre trois murs », dit Perla Joe : « la mer, le conflit Israël-Palestine et la Syrie ». Ce journal est une plongée dans la déchirure d’un pays où il faut quand même tenter de vivre, de construire, même si sauver ceux qu’on aime n’est pas toujours possible. Reste qu’on peut se lever, dire « non » et filmer frontalement ceux qui veulent changer les choses : « Ce que je savais, c’est que j’étais en train de faire un film sur trois personnages dont au moins deux (les femmes) se battent pour survivre, pour changer les choses, et elles continuent de rêver à ce changement. C’est ça, la force du film. J’ai compris ça très vite, mais je n’avais pas un point de vue qui me soit propre sur tout cela, parce que j’étais au coeur des événements et les vivais avec mes personnages » (voir interview de Myriam El Hajj, février 2024).
Impossible de parler de Diaries from Lebanon sans penser au magnifique roman de Juliette Elamine, Les Enfants de la vie, dont beaucoup de passages résonnent avec le quotidien filmé par Myriam El Hajj. Voici un extrait mettant en scène la vision de Georges, grand-frère de Joumana dans le roman, très attaché à son pays et pris dans des considérations politiques et combatives tout au long des crises qu’il traverse : « J’étais heureux dans cette destinée. Ce qui pouvait faire pencher la balance était en fait ce sur quoi je n’avais aucune emprise : l’équilibre et l’avenir de mon pays. Certes, le Liban regorgeait de beautés, mais il ne pouvait nous offrir ni stabilité ni sécurité. Sa position stratégique au cœur de la poudrière du Moyen-Orient, son histoire et sa situation géopolitique en sac de nœuds le rendaient aussi passionnant que dangereux. Pourtant, ce pays me faisait vibrer et me donnait à rêver : j’avais la patrie chevillée au corps. Le Liban déversait insidieusement son poison dans mes veines et faisait battre mon cœur depuis que j’étais enfant (…) Des dizaines d’années seraient nécessaires pour espérer bousculer tout un pays, le redresser, détruire et rebâtir ses fondations gâtées pour enfin amorcer les changements profonds dont il avait besoin. Et ces dizaines d’années, j’en disposais (…) : mon désir le plus ardent était de les lui offrir ». Depuis la France, l’autrice s’engage pour le Liban à travers ses écrits, tout comme la réalisatrice, elles racontent pour donner corps, faire entendre de multiples voix.
Diaries from Lebanon : Fiche technique
Synopsis : Les armes, les urnes ou la rue. Tel est le choix de George, Joumana et Perla-Joe. Trois destins, un même désir de changer un pays malade : le Liban. Comment continuer à rêver quand tout s’effondre autour de nous ?
Réalisation : Myriam El Hajj
Scénario : Myriam El Hajj
Montage : Anita Perez
Genre : documentaire
Durée : 1h50