En compétition au Fifam 2023, Mon Pire ennemi est le 4e long-métrage de Mehran Tamadon. Il y rejoue une violence indescriptible pour tenter de chasser ses démons peut-être, et d’une manière plus utopique dit-il, ouvrir le dialogue avec un ennemi immense, le pire de tous : l’interrogateur du régime islamiste en Iran. Le dispositif est simple, mais ce qui en ressort est vertigineux.
Dès le premier plan du film (que le réalisateur attribue à sa fille dans le générique final), Mehran Tamadon montre ses deux passeports, l’un français, l’autre Iranien. Ce simple plan raconte son exil de cinéaste, son départ forcé. Il enchaîne sur des dessins de ce que l’on pourrait appeler un storyboard où il rêve son film. Dans ces derniers, il se voit forcément regardé lui-même par la caméra. Il s’imagine interrogé par ses amis iraniens comme ils l’ont tous été en Iran. Son objectif ? Ramener son film en Iran et espérer qu’en le regardant, l’interrogateur fasse appel à sa conscience, du moins accepte un autre dialogue. Une utopie, proclame-t-il en voix off.
Le documentaire met d’abord en scène les demandes formulées par le réalisateur à ses amis. Certains refusent de se prêter au jeu, d’autres racontent ce qu’ils ont vécu. Certains se lancent, les interrogatoires restent en surface, ne vont pas au cœur de ce que recherche Mehran Tamadon avec son dispositif si frontal et brutal. Bientôt, la figure de Zar Amir Ebrahimi se dessine. Son visage est fermé, froid et elle commence à interroger son ami réalisateur. Elle ne laisse pas de place au doute : elle veut savoir. Peu à peu, le film bascule et le jeu n’existe plus vraiment. Mehran Tamadon rit parfois à la situation, mais comme pour faire transparaître son interrogation face à la situation même qui se joue. Le corps du réalisateur est exposé, jusqu’où vont-ils aller ?
Brutalement encore, l’actrice des Nuits de Mashhad sort de son rôle pour interroger la violence du projet de son ami. Que cherche-t-il ? Croit-il pouvoir toucher la conscience des interrogateurs du régime Iranien, si tant est qu’elle existe encore ? Devant notre propre inconfort de spectateur, une histoire de la violence se joue sous nos yeux. La simplicité du dispositif, de la mise en scène, fait éclater la force de ce qui se trame à l’écran, dans les esprits. Il y a tout ce que l’humain fait à l’humain. Pourtant, ce qui est montré ici n’est rien comparé à ce que ces protagonistes ont vraiment vécu et dont nous n’aurons que quelques bribes dans leurs conversations.
D’où naît la violence ? Peut-on inverser le rapport de force, sans y céder soi-même ? Le geste de cinéma de Mehran Tamadon est d’une force inouïe, c’est un cri d’humanité aussi, mais qui habite complètement le chaos du monde, son horreur et sa perversité. Un film inoubliable porté par des interprètes qui s’extraient du monde pour se replonger dans les limbes de leurs traumatismes, pour mieux les transcender ou s’y perdre …
Bande-annonce
Fiche technique
Synopsis : Mojtaba, Hamzeh, Zar et d’autres ont subi des interrogatoires idéologiques en Iran et vivent aujourd’hui en France. Mehran Tamadon, le réalisateur, leur demande de l’interroger, lui, tel que pourrait le faire un agent de la République Islamique. Le film en devenir se rêve en miroir dressé face aux tortionnaires, révélant leur violence, leur arbitraire et leur absurdité. Mais lorsque Zar Amir Ebrahimi et Mehran Tamadon se prêtent à l’exercice, ni l’un ni l’autre ne semblent plus tout à fait maitriser les rôles qu’ils ont choisi d’endosser, jusqu’à se mettre en danger, ainsi que le projet de film.
Réalisation : Mehran Tamadon
1h 22min / Documentaire
Date de sortie: 28 février 2024