Le Sommeil d’or est le premier film réalisé par Davy Chou, venu le présenter le mardi 14 novembre au Fifam. Le documentaire tente de faire revivre un cinéma disparu : celui des années 60 au Cambodge, juste avant le massacre opéré par les Khmers rouges, au pouvoir au Cambodge de 1975 à 1979. Ils mettent fin à un cinéma florissant, et aux rêves des acteurs, réalisateurs, producteurs et spectateurs qui trouvaient dans le cinéma une manière de s’exprimer, et de s’évader. Un film hommage rempli de cinéma, de récits et de trouvailles.
Le premier plan du film est un travelling monté à l’envers (les voitures semblent reculer) avec, en voix off, la discussion de deux personnages qui cherchent à faire revivre un film vu dans les années 60. Son existence semble parcellaire, fantomatique dans l’esprit des voix. Le Sommeil d’or est une tentative de réveiller un cinéma disparu, dont il ne reste aucune image ou presque. Pourtant, lorsque Davy Chou découvre l’existence d’un grand-père producteur de cinéma dans les années 60 au Cambodge, il se demande si son désir de cinéma vient de là. Davy Chou n’est pas né au Cambodge, il décide donc de s’y rendre pour retrouver les films perdus. Or, il cherche dans le vide, puisque la plupart de ces images n’existent plus. Loin de se décourager, Davy Chou invente du cinéma partout où il traîne sa caméra.
Il cherche d’abord des témoignages et recueille les souvenirs des films pour les faire renaître dans l’esprit des spectateurs d’hier et d’aujourd’hui. Comme un fil invisible que l’oralité permet de tendre pour retrouver un monde oublié. Davy Chou s’intéresse également au son. Il reste quelques extraits sonores des films, mais surtout des musiques, parfois plus célèbres que les films eux-mêmes. Ces musiques existent toujours. Enfin, Davy Chou retourne dans les lieux qui ont autrefois abrité des studios ou des cinémas. Des décors aujourd’hui décrépis qui n’ont plus rien de salles de projection, puisque soit à l’abandon, soit réinvestis pour des habitations de fortune (qui sont là depuis 1979 pourtant).
Davy Chou convoque alors des fantômes en filmant des détails, des lieux avec une caméra qui longe la ville, les bâtiments dans un esprit contemplatif. Cet esprit est aussi celui d’un chercheur de cinéma, d’un créateur d’images. Partout où il passe, Davy Chou fait cinéma. Il cherche dans des ouvertures, des pans de mur, une lumière qui traverse un décor en ruine, à recréer la forme de l’écran, du cadre de la caméra. Les discours sur ce monde disparu sont de plus en plus poignants. Ce que raconte Davy Chou, c’est aussi et surtout une déchirure, un exil, une mort annoncée. Pourtant, les cinémas ont longtemps résisté à la guerre civile en restant ouverts et très fréquentés.
Quand enfin quelques images apparaissent sur un mur en briques, leur force est d’autant plus puissante qu’elle fait écho à tous les récits entendus, aux images imaginaires. Davy Chou filme un monde disparu dans un Cambodge souvent comme figé dans le temps, les lieux sont parfois insalubres, vides… Pourtant, et malgré cette volonté du premier plan de tout inverser, les images ne reviendront pas. Heureusement, Le Sommeil d’or est un travail de mémoire, de renaissance tout à fait singulier et au final bouleversant.
Davu Chou est présent durant le Fifam pour le programme « anti-archive ». Producteur au Cambodge, il accompagne de nombreux films qui seront proposés au public (en plus d’une rétrospective de ses propres réalisations). Davy Chou fait donc bien du cinéma au présent, il expliquait d’ailleurs lors de la rencontre, que parmi ses références inconscientes (mais citées par des critiques de cinéma), il y avait de nombreux réalisateurs contemporains (comme Apichatpong Weerasethakul) : « il fallait certainement ces références aux réalisateurs du cinéma asiatique moderne pour combler le trou de l’absence d’images des années 60 ». Une façon de réveiller le cinéma, d’aller de l’avant.
Bande-annonce : Le sommeil d’or
Fiche technique : Le sommeil d’or
Synopsis : Le cinéma cambodgien, né en 1960, a vu son irrésistible ascension stoppée brutalement en 1975 par l’arrivée au pouvoir des Khmers Rouges. La plupart des films ont disparu, les acteurs ont été tués et les salles de cinéma transformées en restaurants ou karaokés. Le sommeil d’or filme la parole de quelques survivants et tente de réveiller l’esprit de ce cinéma oublié.
Réalisation : Davy Chou
1h 40min / Documentaire
Avec : Dy Saveth, Ly Bun Yim, Yvon Hem