En racontant l’histoire des femmes de sa famille, Lina Soualem fait de Bye Bye Tibériade un témoignage intime, qui se mêle aux destinées de femmes dans l’exil et les choix radicaux qu’une vie impose parfois. Un film pudique et sensible sur une expérience personnelle qui devient collective.
Nadine Naous, Hiam Abbass, Lucas Simoni (Cinéma Orson Welles) lors de la présentation de Bye Bye Tibériade au Fifam 2023 (photo de Chloé Margueritte)
Hiam Abbass n’a pas caché sa fierté et son émotion lors de la présentation du film réalisé par sa fille, Lina Soualem au Fifam ce dimanche 12 novembre. Une fierté liée à l’exercice d’hommage et de mémoire commencé par la réalisatrice dès son premier film documentaire. Leur Algérie racontait l’histoire familiale du côté de son père. Cette fois, Lina Soualem parle de son arrière-grand-mère de sa grand-mère, de sa tante et de sa mère. Le film mêle plusieurs sortes d’images et différentes manières de raconter les faits, le passé.
Les premières images qui nous sont offertes sont issues des archives familiales de Lina Soualem. On la voit se baigner, enfant, dans le lac de Tibériade avec sa mère, l’actrice Hiam Abbass, qui joue ici son propre rôle ou plutôt témoigne. Il y a donc ces images datées entre 1992 et 1994 qui restituent les traces de la présence de Lina en Palestine où elle ne cesse de répéter qu’elle est la première femme de la famille à ne pas être née. Bye bye Tibériade est aussi le récit du départ de Hiam Abbass pour Paris avec le rêve de devenir actrice. Une rupture brutale qui la sépara de sa famille jusqu’à la naissance de Lina. D’autres images d’archives historiques viennent se mêler à celles de la famille. Des images d’anonymes que Lina et ses équipes ont cherché dans un pays où elles sont dispersées. De plus, elle ne voulait pas des images déjà vues et revues et cherchait des images de femmes dans ces archives palestiniennes. Un vrai défi ! Pourtant, ces images existent et sont dévoilées à l’écran. Elles viennent mêler histoire familiale et récit collectif. Lina Soualem ajoute à cela des photos qu’elle colle avec sa mère puis ses tantes sur les murs parisiens et les murs palestiniens pour regarder les visages de celles qu’elle a connues ou si peu (son arrière-grand-mère décédée quand elle avait dix ans ou sa grande tante dont elle ne se souvient pas).
L’histoire est avant tout dite, il fallait donc qu’elle devienne cinéma. Lina Soualem fait beaucoup appel à l’écrit dans son film, que ce soit à travers la lettre qu’elle a écrite sur sa famille et qu’elle fait lire par sa mère, à travers les écrits de jeunesse de sa mère ou encore à travers sa voix off. Enfin, Bye bye Tibériade est aussi un récit au présent dans lequel les choses sont vécues presque dans l’immédiateté : les échanges entre Hiam et Lina, avec les tantes, la grand-mère. La réalisatrice utilise aussi le métier de sa mère, actrice, pour proposer quelques mises en situation : Hiam rejoue l’annonce de son premier mariage à son père sur la scène du théâtre où elle répétait en secret à 20 ans. Devant l’école de photographie, elle et sa sœur rejouent l’entretien de Hiam pour y entrer et échapper au destin qu’elle refuse.
Lina Soualem utilise tous les procédés possibles pour raconter cette histoire sans l’arracher à ses protagonistes. Elle interroge, elle regarde sa mère, elle apparaît aussi à l’écran. Elle veut connaître cette histoire, ne pas l’oublier, la transmettre, car elle est faite de départs forcés ou volontaires, de frontières infranchissables et surtout d’une famille qui sait toujours se retrouver… Des moments émouvants qui produisent une mémoire collective nécessaire : « Il fallait que je prouve que cette histoire intime avait du collectif en elle et que le collectif avait affecté l’intime. J’étais tout le temps entre ces deux dimensions, et ce, dès mon premier jour de tournage » (propos de Lina Soualem à propos de son premier film qui collent parfaitement à l’esprit du second).
Bande-annonce : Bye Bye Tibériade
Fiche technique
Il y a environ trente ans, Hiam a quitté son village palestinien Deir Hanna, en Galilée, où elle a grandit avec son arrière grand-mère Um Ali, sa mère Neemat et ses sept soeurs, pour poursuivre son rêve de devenir actrice, en France, à Paris.
Réalisatrice : Lina Soualem
Avec : Hiam Abbass
Montage : Gladys Joujou
Producteur : Jean-Marie Nizan
Date de sortie : 24 avril 2024 (France)