Qui n’a jamais été la cible d’une arnaque en ligne ou d’un coup de téléphone suspect ? À une époque où la misère ordinaire rencontre l’ingéniosité criminelle, nombreuses sont celles et ceux qui, par besoin ou par naïveté, se laissent prendre au piège. C’est de cette vulnérabilité collective que part Citizen of a Kind, inspiré d’une histoire vraie : celle d’une mère célibataire coréenne qui, après avoir été flouée par un réseau d’hameçonnage, décide de se faire justice elle-même.
Pour son deuxième long-métrage, Park Young-ju transforme ce fait divers en un récit aussi drôle que rageur, où la comédie d’action s’invite dans les marges du drame social. Son héroïne, Duk-hee, voit son entreprise partir en fumée avant de contracter un prêt colossal pour rebondir. Quand elle découvre que cette opération financière n’était qu’un canular orchestré par un gang étranger, elle ne s’effondre pas : elle prend l’avion pour la Chine. Direction Qingdao, où elle entend bien récupérer son argent, sa dignité et un peu de justice par la même occasion.
Une vengeance à visage humain
Révélée à Cannes en 2016 avec son court-métrage 1 Kilogram, Park Young-ju avait déjà exploré les zones grises du deuil et du remords dans Second Life (FFCP 2019), dans le portrait d’une adolescente mythomane confrontée aux conséquences de ses mensonges. Cette fois, la cinéaste s’empare d’un autre type de blessure : celle de la trahison économique et morale.
Le projet est né d’un fait divers rapporté par Kim Seong-ja, propriétaire d’une laverie arnaquée par téléphone. Là où Hollywood aurait transformé cette histoire en une « bisserie » musclée (The Beekeeper de David Ayer l’a déjà fait, sans finesse ni profondeur), Park Young-ju choisit une voie plus subtile, plus incarnée. Ra Mi-ran, qu’on avait remarquée dans Ode to My Father, y incarne Duk-hee avec un mélange de dignité et de fureur contenue. Son regard, tour à tour blessé et incandescent, devient celui de tous les anonymes floués par la machine économique.
Comédie, tension et solidarité
L’un des charmes du film tient à sa capacité à jongler avec les tonalités. Sans jamais perdre la gravité du sujet, Park Young-ju se permet des détours jubilatoires : un humour grinçant, des répliques désarmantes, et un sens du rythme qui renvoie autant à la comédie loufoque (du genre de En Liberté !) qu’au polar social.
Duk-hee ne part pas seule dans sa croisade. Autour d’elle gravitent Yeom Hye-ran, Park Byung-eun et Jang Yoon-ju, qui forment un trio de bras cassés attachants, solidaires et obstinés – un Scooby-Gang à la coréenne. Ensemble, ils infiltrent un réseau mafieux impitoyable, dissimulé derrière les murs d’une usine où se mêlent fraude, séquestration et manipulation. Ce contraste entre la comédie et la noirceur du décor crée une tension permanente, entre éclats de rire et frissons de révolte.
La mise en scène, vive et précise, multiplie les allers-retours entre humour décapant et tension pure. Puisé dans le souffle de cette vengeance ordinaire, c’est cette énergie, à la fois populaire et maîtrisée, qui continue de séduire les festivaliers du FFCP.
Entre colère et compassion
Pour équilibrer la déferlante de colère féminine, Park Young-ju place en parallèle le personnage de Gong Myung, contrepoint masculin inattendu, tout en retenue et en fragilité. Il humanise l’autre versant de cette guerre numérique, offrant un miroir à ces femmes enragées, maladroites et magnifiques.
Dans une interview donnée à View of the Arts, la cinéaste résumait son ambition :
« Je voulais faire un film qui fasse rire, pleurer et maudire les méchants. Mais surtout rappeler que les victimes ne sont jamais responsables de la situation dans laquelle elles se trouvent. »
Ce credo résonne dans chaque plan. La réalisatrice parvient à conjuguer l’émotion et le plaisir du cinéma populaire, là où tant d’autres s’échouent. On pense à la virtuosité sociale de Parasite, ou à l’énergie fédératrice de Rebound (présenté l’an dernier), mais Citizen of a Kind possède son propre ton : un équilibre miraculeux entre tendresse et rage.
Film de studio réalisé par une femme – chose encore trop rare en Corée du Sud – Citizen of a Kind se distingue par sa sincérité, son sens du rythme et son regard profondément humain. Park Young-ju réussit à transformer la douleur d’une arnaque en un spectacle jubilatoire, sans cynisme ni pathos. Résultat : une comédie d’action pop.
Prix du public au FFCP 2024, ce film est présenté dans la section « Spéciale 20 ans ».
Citizen of a kind : bande-annonce
Citizen of a kind : fiche technique
Titre original : 시민덕희
Réalisation et Scénario : Park Young-ju
Directeur de la photographie : Lee Hyung-bin
Montage : Kim Sun-min
Musique originale : Hwang Sang-jun
Producteur : Baek Chang-ju, Jeong Jae-yeon
Production : C-JeS Studios, Page One Film
Pays de production : Corée du Sud
Distribution internationale : Showbox
Durée : 1h54
Genre : Comédie, Action





