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Festival Lumière 2019 : critique de Irréversible de Gaspar Noé

Le Festival Lumière 2019 rend hommage à Gaspar Noé, en diffusant Irréversible (dans les deux sens) et Lux Æterna. Cet événement nous permet de nous confronter une nouvelle fois à ce monstre chaotique et obsédant du cinéma français qu’est Irréversible.

Irréversible est un film organique, charnel, profitant à la fois d’un montage à reculons parfait où chaque scène se répond et d’un travail sonore sidérant démultipliant cette plongée cauchemardesque dans un chaos infini, et mettant en exergue une réalisation brillante. Avec Irréversible, Gaspar Noé affiche ses intentions, et livre une œuvre intransigeante qui en laissera plus d’un sur le carreau. La subtilité n’est pas la qualité première du film, mais cette générosité dans la proposition de cinéma, cette volonté de montrer l’insoutenable et de toucher du bout des doigts un jusqu’au-boutisme malsain, rend l’expérience encore plus fascinante. Cette opacité vertigineuse accentue cette force viscérale qui se dégage du long métrage. L’utilisation de la caméra est impressionnante de maîtrise, avec cette accumulation de plans-séquences fixes ou complétement volatiles qui partent dans tous les sens.

Mais malgré cette liberté visuelle dominatrice, ce mouvement perpétuel qui peut sembler vain au premier abord, Gaspar Noé enchante, bouleverse, nous laisse pantois devant cette maestria esthétique, à la fois onirique et anarchique, montée de telle sorte que l’on navigue entre clair/obscur, où le flou s’accommode d’une lisibilité parfaite pour nous faire profiter d’un spectacle coup de poing, à l’image de l’une des premières scènes du film montrant Marcus, inconsolable, tentant de retrouver un certain Le Ténia pour en découdre avec lui dans une boîte de nuit gay dénommée le Rectum. L’affrontement entre les deux hommes n’aura pas lieu, mais cela n’arrête pas le réalisateur dans ses intentions puisqu’il achèvera sa séquence, en plan fixe rapproché, dans le fracas le plus strident par un cassage de bras et un meurtre à la violence abominable. Ces couleurs rougeâtres, ces lumières absconses, ces couloirs labyrinthiques dépravés à la morbidité sexuelle déplaisante tétanisent le sang et les sens.

Gaspar Noé n’y va pas avec le dos de la cuillère, nous plongeant dans la première partie du film dans une nuit noire anxiogène sur les traces d’une quête effrénée vengeresse. Derrière la force de frappe provocatrice du film, se cache un film présentant nos sentiments vierges de tout compromis, soulevant le voile sur nos pulsions les plus primitives, démystifiant le monstre qui se cache en chaque être humain, où la violence est visualisée sans maquillage, sèche comme un coup de trique (ou d’extincteur pour le coup). Gaspar Noé, réalisateur de Climax, joue avec nos sensations, notre sensibilité quitte à choquer, pour flirter avec la complaisance ou une certaine gratuité dans les scènes les plus douloureuses du film, notamment dans cette scène centrale de viol de plus de 5 minutes, où il est difficile de ne pas baisser le regard devant la dureté physique et psychologique de cette agression. Stupéfiant pour certains, outrancier pour d’autres, le style parfois écrasant de Noé trouve son apogée grâce à la justesse et la pudeur (relative) de la prestation de ses acteurs, notamment dans une deuxième partie de film tout en tendresse malgré la simplicité des thèmes abordés (le couple, l’amitié, le sexe, l’infidélité…).

Irréversible démarre dans une torpeur nocturne implacable, une virée en enfer criarde tournoyant dans une palette de couleurs rouge et noire épileptique, pour se finir avec consistance et émotion dans la bienveillance maternelle la plus touchante. Gaspar Noé se réapproprie les codes du genre « rape and revenge » pour en extraire une sensation turbulente difficilement plaisante mais terriblement magnétique. Au lieu de porter un regard sur une déchéance de violence prenant le pas sur une certaine luminosité humaine, Gaspar Noé prend un chemin de traverse différent, grâce à une narration à la chronologie inverse particulièrement bien écrite, ayant pour but de relâcher le monstre existant en chacun de nous pour finalement faire naître une pureté émotionnelle bouleversante.