Le Festival du Film Policier, comme le Festival de Gerardmer, s’est dernièrement tenu en ligne. Proche de son public, avide de sensations, cette édition nous a réservé des surprises et quelques pépites. Petit tour d’horizon des films que LeMagduCiné a vu pendant ces quelques jours.
Deliver Us from Evil de Hong Won-chan (Compétition)
Nous voici en face d’un film sud-coréen, qui contient les habituels ingrédients qui composent ce genre de sortie « policière » : une mise en scène appliquée, des acteurs charismatiques, de l’action sanguinolente et des bagarres intenses à l’arme blanche, des mafieux sordides et des tueurs à gages lassés de cette violence. Deliver Us from Evil ne révolutionne en aucun cas ce schéma déjà souvent rebattu et générique mais le fait avec soin. Avec un rythme soutenu, une action bien dosée, cette course-poursuite pour sauver une jeune fille kidnappée qui se relie à une vengeance fraternelle mérite le coup d’œil. On pourra toutefois noter une écriture quelque peu lourdingue comme le prouvent certaines situations rocambolesques et des personnages écrits maladroitement. Dans le même registre, et sorti récemment, Night in Paradise de Park Hoon-Jung se montrait plus marquant par sa poésie, sa grâce esthétique et son ambiance suicidaire.
La troisième guerre de Giovanni Aloï (Sang Neuf)
C’est l’une des plus belles réussites de cette édition du Festival du film Policier. Allant là où ne l’attend pas, le film est à l’image de ses militaires, qui attendent et ne savent pas réellement ce qu’ils doivent faire. Toujours sous tension mais surtout sur le qui-vive, La troisième guerre est avant tout un portrait de ces hommes et femmes, armes en main, aux discours et aux motivations bien trop distinctes pour réellement faire corps, qui essayent de comprendre tant bien que mal leur utilité dans une société où les conflits sociaux et la montée du terrorisme font rage. Quels sont leurs profils, qui sont-ils, quand doivent-ils intervenir ? Beaucoup de questions que se posent le réalisateur. Ce dernier y répond de manière presque documentariste, dissimulant toute forme de spectaculaire, avec une étude aiguë et méticuleuse de leur quotidien voire de leur non quotidien, souvent précédés d’un passé compliqué. Porté par des acteurs qui nous tiennent en haleine (excellent et infernal Anthony Bajon, du prochain Teddy), le film est la retranscription en filigrane d’une France qui vacille, qui ne sait pas qui croire ou quoi regarder, vivant alors dans la méfiance et la violence quotidiennes. Un beau film, un peu trop court peut-être, sur la peur intériorisée.
Shorta de Anders Ølholm & Frederik Louis Hviid (Sang Neuf)
On sort les biceps et on se lance à corps perdu dans la bataille. Shorta est une sorte d’ersatz des Misérables de Ladj Ly (une arrestation qui tourne mal et deux policiers qui se voient confrontés à une banlieue tentaculaire et claustrophobe) et American History X (racisme et rédemption pour les nuls). Traitant du sujet brûlant et au combien d’actualité, des violences policières dans les banlieues, Shorta se veut assez réaliste, tendu et exhaustif dans sa volonté de retranscrire une situation qui ne mène à aucune issue mise à part celle du chaos : des problèmes sociaux, des policiers racistes ou d’autres plus téméraires mais pas moins lâches, une jeunesse perdue qui tente de sortir la tête de l’eau et qui doit faire face à « des grands frères » qui ne pensent qu’aux enjeux mafieux de l’argent et de la peur de l’autre. Mêlant le drame social et le survival en terrain hostile, Shorta ne lésine pas sur l’action et les moments de tension, avec sa caméra à l’épaule proche du « terrain ». Prometteur dans sa capacité à utiliser l’espace, Shorta se tire une balle dans le pied avec quelques pirouettes scénaristiques dont la lourdeur vient dénaturer le réalisme du film.
Ulbolsyn de Adilkhan Yerzhanov (Sang Neuf)
Après notamment La Tendre indifférence du monde et A Dark-Dark Man, Adilkhan Yerzhanov prouve une nouvelle fois qu’il est l’un des jeunes réalisateurs les plus intéressants du moment. Avec le style habituel de son cinéaste, qui voit s’entremêler le burlesque social, le comique de situation et la violence taiseuse du drame avec une science fine de la mise en scène, des silences et de la gestion de l’espace, Ulbolsyn est le récit d’une femme qui tente de soustraire sa sœur à un mariage forcé aux prises avec un chef sectaire et adulé par un village reculé. Critique bienvenue de la différence entre la bourgeoisie et les prolétaires, de la bêtise et de la corruption des institutions, de la mainmise des hommes sur une société moribonde et faussement solidaire, Ulbolsyn est un polar au « féminin » qui malgré sa très courte durée (1h10), dévoile une intelligence rare.
L’Ennemi de Stephan Streker (Hors Compétition)
C’est assez déroutant de voir Jérémy Renier jouer dans Slalom et le voir quelques jours tard dans L’Ennemi, œuvre qui place au milieu de son récit un homme politique, qui retrouve sa femme morte dans une chambre d’hôtel et qui est accusé de l’avoir tuée. Loin d’être un film sur le couple, L’Ennemi suit les péripéties judiciaires d’un homme qui ne sait plus ou qui ne semble plus savoir ce qu’il s’est réellement passé durant cette nuit fatidique. En proie aux doutes et aux hallucinations (magnifiques scènes, d’ailleurs), le récit semble vouloir laisser le champ libre au spectateur afin que ce dernier puisse avoir son « intime conviction » quant à la finalité de cette affaire de mœurs, à l’image des séquences des caméras de sécurité dans les couloirs de l’hôtel. Malheureusement souvent unilatéral dans sa manière de présenter les faits, ce qui n’est pas un défaut en soi, Stéphan Streker utilise souvent à bon escient l’image et le trouble qu’elle peut inviter dans notre esprit, notamment grâce à son personnage féminin fantomatique et mémoriel, mais enlise malheureusement son oeuvre par le biais de nombreux dialogues littéraux à valeur de sermons. Entre le « on peut plus rien dire » à cause du politiquement correct, le discours sur les médias charognards entre détenus, la ritournelle sur les réseaux sociaux qui vont dans « le sens du vent », le fils qui nous explique que le suicide d’une femme est dû à l’alcool et uniquement à ça, le film délaisse vite l’intimité d’un couple passionnel et mordant pour donner vie à des leçons de vie trop terre-à-terre. Ce schéma programmatique est une nouvelle fois matérialisé dans une très belle dernière scène qui use du symbole du masque (qui se cache derrière cet esprit) tout en nous sur-expliquant la notion de présomption d’innocence. Un film qui laisse finalement peu de doutes quant aux intentions de son cinéaste.