Dans une tour de banlieue, un épais brouillard recouvre les entrées et sorties et empêche quiconque de passer. Des clans s’organisent pour survivre et luttent pour la nourriture et le territoire. Plus qu’un film d’épouvante, il s’agit d’une fable sociale sur la noirceur de l’âme humaine qui s’épuise plus vite que ses personnages.
De bon matin, dans le froid éclatant de Gérardmer, nous nous sommes pressés avec de nombreux festivaliers pour voir le film phare de la sélection française du cru 2023, La Tour de Guillaume Nicloux. Phare ? Car français au milieu d’un festival international mais davantage grâce à son casting qui réunit notamment Angèle Mac et Hatik, rappeur et acteur désormais accompli. Il ne s’écarte pas de son rôle de prédilection, un dealer d’une tour dans une cité perdue en France bientôt métamorphosé en leader du clan des Nord-Africains. Car Les clichés sur la banlieue, le film ne les évite malheureusement pas mais son propos très précis et encadré ne s’y embourbe pas davantage.
Un voile noir s’abat mystérieusement sur cette tour vétuste piégeant tous ses habitants à l’intérieur – comme une métaphore peu subtile du confinement – sous peine d’absorber, de déchiqueter leurs chairs s’ils s’aventurent dans le néant. Pour aussi mystérieux que soit cet espace noir dévorant, le voile ne reste qu’une trame de fond puisque le film n’explore jamais la question de ses origines et de son horizon pour se concentrer sur la relations entre les habitants de la tour, gens ordinaires soumis à une pression extraordinaire. On assiste alors à une véritable tranche de vie sociale et populaire comme on aurait pu s’y attendre ; la classe populaire blanche et française “de souche” dirait-on, les reubeus flirtant plus ou moins avec la délinquance, les noirs, les femmes seules et les vieux, les lesbiennes – les marginaux. Quels liens ces natures sociales suscitent-elles dans un contexte aussi délétère ? C’est la question que pose très tôt le film et qui agrippe la narration sans jamais la laisser tomber. Un dealer juste après l’incident un billet de cinquante euros pour signifier que la monnaie officielle n’a plus cours pour régir les transactions, il faudra trouver autre chose, en l’espèce, le mal. L’horreur devient ainsi la chose du monde la mieux partagée puisqu’elle sert à survivre et échanger toutes choses aussi bien que de support aux relations sociales ( les dialogues sont ainsi toujours ponctués d’insultes, de menaces, et d’injonctions sexuelles aussi gratuites que stériles).
Nous sommes à Gérardmer et la blancheur de la neige laisse place à la noirceur du cœur humain puisque péripéties après péripéties (dont certaines sont filmés dans une tension magistrale), c’est l’horreur de la nature humaine qui phagocyte l’espace cinématographique. Comment trouver de la nourriture dans une tour de banlieue coupée du monde ? Élevons les chiens domestiques comme du bétail, mangeons les nouveau-nés dans une cérémonie mi-vaudou mi-absurde comme une nouvelle religion macabre. Puis les morts évidemment, et enfin les cafards, seule espèce semblant s’épanouir vraiment dans cette prison. Le spectateur comprend très bien et très vite à mesure que les immondices s’amoncellent à l’écran que les différentes quêtes des protagonistes pour la survie ne justifient ni leur infamie ni leur exposition renouvelée à l’écran. Jusqu’où ? C’est la limite du film car si la tension et la musique rythment les scènes, la narration épuise très rapidement son concept à l’inverse de ses personnages qui alignent allers-retours, courses dans les étages pour échanger horreur contre nourriture. Les nombreuses directions lancées par les protagonistes disparaissent dans l’indifférence générale des spectateurs qu’un surplus de détresse morale a suscitée. A l’image de leurs nombreux va-et-vient verticaux qui ne peuvent qu’étirer l’expérience vers toujours plus d’horreur immorale. Les différents appartements se délitent comme pour représenter l’humanité qui les quitte peu sauf quelques tentatives d’amour, de liens, d’entraide qui sont elles aussi vouées à périr.
Il fallait bien trouver une fin à cette histoire qui davantage que verticale se retrouve circulaire et revoilà ainsi le point de départ qu’on devra accepter comme point d’arrivée sans avoir parcouru beaucoup de chemin. Les personnages certes attachants sombrent tous peu à peu dans la folie comme le voile noir grignote de plus en plus d’espace jusqu’à avaler la tour et se confondre avec le générique.
Finalement, nous n’assistons pas à une expérience sociale mais à une fable morale impitoyable qui n’a malheureusement que peu à dire : reubeux, noirs, babtous, dans la nécessité absolue nous sommes tous capables et coupables de l’inhumanité la plus noire. Le film La Tour/The Lockdown Tower, nous laisse sur notre faim mais aura le mérite de rendre la banlieue à représentations sociales propres à la France en donnat à voir le problème dans la lignée de Sheitan ou Frontières. Un lieu de fantasmes malsains et obscurs où les les codes sociaux – imagine-t-on – ne résistent pas à l’enfermement et à la mise au ban.
Fiche technique : La Tour/The Lockdown Tower
Réalisé par Guillaume Nicloux
Avec Angèle Mac, Hatik, Ahmed, Abdel Laoui, Lina-Camélia Lumbroso …
Durée 1h 29min
Sortie 8 février 2023 (Cinéma)
Genre Drame, Fantastique, Horreur