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Deauville 2024 : Two Lovers (Hommage James Gray)

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Enfant de l’immigration juive russe, James Gray est connu pour ses personnages mélancoliques, qui errent souvent dans une impasse sociale. Que ce soit dans un film noir (Little Odessa, The Yards, La nuit nous appartient), d’époque (The immigrant), d’aventures (The Lost City of Z), de science-fiction (Ad Astra) ou d’autobiographie (Armageddon Time), cet auteur n’a cessé de remonter les névroses et les obsessions de son enfance afin d’y évoquer le déterminisme social, le racisme ou encore son rapport à la paternité. Révélé 20 ans plus tôt aux bords des planches de Deauville, le festival célèbre aujourd’hui son art en offrant à son public la possibilité de (re)découvrir sa riche filmographie. À l’occasion de cet hommage, nous avons choisi de nous arrêter sur Two Lovers, théâtre d’un bouleversant triangle amoureux. 16 ans après sa sortie, nous en avons toujours le cœur meurtri et déchiré.

Synopsis : Un homme hésite entre suivre son des­tin et épou­ser la femme choi­sie par ses parents ou se rebel­ler et écou­ter les sen­ti­ments amou­reux qu’il éprouve pour sa nou­velle voi­sine, belle et volage.

Ce que l’on désire par nécessité

Éloigné des réseaux mafieux, James Gray nous plonge dans l’univers torturé de Léonard, atteint d’une « maladie d’amour » qui l’empêche de faire ses propres choix, de suivre ses propres désirs et donc de prendre les commandes de sa propre vie. Il gravite ainsi autour d’une entreprise familiale, dont il est l’héritier, et d’une femme choisie par ses parents, Sandra, incarnée par Vinessa Shaw (la sulfureuse Domino échappée d’Eyes Wide Shut). Loin du conte de fée que ses parents prennent soin d’entretenir pour leur unique enfant qui vit encore chez eux, Léonard est frustré de sa situation et de son incapacité à couper le cordon. Cependant, si cette femme reste aussi discrète et repousse les avances des autres hommes pour se rapprocher de Léonard, c’est effectivement par amour. Pendant ce temps, Gwyneth Paltrow campe le rôle de Michelle, une voisine un tantinet satisfaite de sa relation toxique qu’elle entretient avec un homme marié. C’est pourtant pour cette femme-là que Léonard craque et devient un autre homme, plus à l’aise avec son corps, avec les mots et son esprit. Joachim Phoenix confirme alors sa qualité de jeu dans un moment où son personnage maladroit est piégé entre la raison et le désir, ce qui le rend charmant à bien des égards.

Chacun et chacune ignorent cependant que les sentiments qu’ils couvent ne sont pas réciproques. Il s’agit d’un cercle vicieux où l’on se chasse éternellement, mais combien de temps encore cette situation va tenir ? Parviendront-ils à s’émanciper de leurs désirs et de leurs contradictions ? Chaque personnage est plein de secrets, un peu comme Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol. Par ailleurs, Gray est très admiratif de ses travaux et de la Nouvelle Vague dans son ensemble. Il filme l’intimité comme Robert Bresson et ses fabuleux travellings. En attestent les séquences où Michelle et Léonard se rencardent sur le toit de leur immeuble.

Pour trois personnages, nous avons ici two lovers, constituant un titre subtil et sublime, faisant référence à deux êtres qui s’aiment éperdument, ou à deux amants qui placent la troisième personne au milieu d’un désir indécis. C’est justement dans cette ambivalence que le réalisateur originaire du Queens pousse ses personnages à faire des choix complexes et à questionner leur amour. Pour eux, aimer peut signifier aider l’autre à guérir et à reprendre sa vie en main. Sandra attend ainsi que Léonard s’ouvre à elle pour de bon, ce dernier espère que Michelle mette fin à sa liaison et cette dernière s’impatiente que son amant puisse quitter son épouse pour s’enfuir avec elle.

Ce que l’on fantasme par amour

Si l’on croit peu aux liens qui ont du mal à se tisser, on ne peut que s’effondrer face à l’incertitude qui guette chacune de leurs actions, qu’elles soient sages, puériles ou absurdes. C’est dans cette hésitation, cette distance qui les rapproche ou qui les sépare de plus en plus que ce triangle amoureux gagne en authenticité et en honnêteté. Tandis que ce phénomène, répandu au cinéma comme dans la vie de nombreux citadins, se confirme aujourd’hui. Certains tentent de banaliser ce genre de relation (Chronique d’une liaison passagère), d’autres jouent sur le vampirisme des autres (Challengers) et d’autres encore digèrent leurs vies passées pour donner une chance dans le futur (Past Lives).

Sans tomber dans le piège des romcoms, dont les clichés sont souvent synonymes de lourdeur, Two Lovers parvient à sublimer l’authenticité d’un émoi dans un récit qui n’est ni comique, ni romantique. Empreint d’une grande maturité, ce film transcende et nuance même la notion du mariage, qui ne constitue plus exclusivement l’apogée d’une relation amoureuse ou qui ne représente plus la stabilité dont on vante les bienfaits. Jusqu’au dernier plan, James Gray empoigne la douleur de chaque personnage et en extrait une douce amertume qui nous renvoie à la scène d’ouverture, où Léonard manque de s’ôter la vie. L’espoir peut enfin renaître, même s’il faut parfois renoncer à ses convictions pour vaincre ses démons. Un moment de douceur et d’égarement en cette fin de festival.

Two Lovers est présenté dans la sélection « Hommage James Gray ».

Bande-annonce : Two Lovers

Fiche technique : Two Lovers

De : James Gray
Année : 2008
Durée : 1h50
Avec : Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw, Elias Koteas, Moni Moshonov
Nationalité : États-Unis

Responsable Cinéma