Premier long-métrage de Ryan J. Sloan, Gazer propose un thriller psychologique dans la lignée du cinéma des années 1980. Présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes puis en Compétition au Festival de Deauville 2024, le film, tourné en 16mm avec un budget restreint, nous immerge dans une atmosphère à suspense parfaitement maîtrisée. Dommage que son scénario, pas totalement abouti, ne soit guère à la hauteur de la démonstration technique.
Ryan J. Sloan, électricien originaire du New Jersey, ne dispose d’aucune formation cinématographique. À la manière d’un Quentin Tarantino ou d’un Christopher Nolan, le réalisateur américain s’est formé sur le tas. C’est son amour pour le septième art qui l’a conduit, avec sa coscénariste et actrice Ariella Mastroianni, à prendre en main la caméra. Avec Gazer, il signe un thriller paranoïaque centré sur la perception d’un personnage déconnecté de la réalité, à l’image de Lenny, atteint d’amnésie antérograde dans Memento.
Bandes ombilicales
Frankie peine à joindre les deux bouts en enchaînant des petits boulots. Séparée de sa fille, elle lutte contre une maladie appelée dyschronométrie qui déforme son appréciation du temps et de la réalité. Afin de ne pas perdre pied et de se raccrocher au présent, Frankie enregistre et collectionne des cassettes audio qu’elle écoute pendant chacun de ses déplacements. Guidée par sa propre voix, et focalisée sur l’observation des gens, elle parvient tant bien que mal à gérer son quotidien. Lorsqu’une mystérieuse femme d’un groupe de parole lui propose un arrangement contre une belle somme d’argent, Frankie s’embarque malgré elle dans une sombre affaire criminelle.
Ryan J. Sloan et Ariella Mastroianni souhaitaient créer avec Frankie un protagoniste féminin unique en son genre. C’est en lisant le roman L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, qu’ils découvrent la dyschronométrie, une pathologie caractérisée par une difficulté à vivre dans le monde numérique. Surstimulés aux écrans, les individus atteints souffrent de maux de têtes, de confusion, de crises et de pertes de mémoire. Cette maladie compose la base du récit de Gazer.
Remarquablement interprétée par Ariella Mastroianni, qui porte le film à elle seule, Frankie cherche à résoudre un labyrinthe d’évènements tout en fuyant les policiers et protégeant sa fille. Forte et débrouillarde, elle rappelle un peu la Lisbeth Salander de Millenium. On peine cependant à prendre pleinement la mesure de sa condition cognitive. En effet, à l’exception de quelques crises et de son refus d’utiliser un téléphone portable, Frankie semble paradoxalement plutôt lucide. Ses actes restent réfléchis et sa pensée logique. Ainsi, contrairement au Lenny de Memento, elle ne paraît pas perdue dans un milieu étranger. Ceci altère malheureusement le lien entre la perception singulière du monde de Frankie et l’intrigue principale, dans la mesure où une personne normale serait sûrement tombée dans le même engrenage.
Puzzle imparfait
L’intrigue de Gazer s’inspire de l’univers de Christopher Nolan, mais aussi des thrillers noirs des années 1980 et de Hitchcock. On y retrouve la même galerie de personnages, comme la femme fatale, l’enquêteur et le héros naïf manipulé. L’atmosphère sombre et tendue du film, avec son côté rétro, fonctionne très bien. Recherches, filatures et courses poursuites s’enchaînent alors dans un bon rythme avec un montage dynamique et une mise en scène assez trépidante.
Malgré cette indéniable réussite technique, Gazer ne convainc pas suffisamment dans la construction de son scénario, dont les pièces ne s’emboîtent jamais parfaitement. Outre la maladie de Frankie, qui n’influence pas directement le déroulement du récit, Ryan J. Sloan ne parsème l’histoire d’aucun indice avant de nous livrer sur un plateau une partie d’explications qui ne résout pas totalement les enjeux exposés. En en disant trop, ou pas assez, selon le point de vue adopté, Gazer délaisse l’implication du spectateur et perd en lisibilité. Nous restons donc un peu sur notre faim, avec l’impression d’avoir vu un thriller d’une redoutable efficacité technique mais pas tout à fait achevé. Ryan J. Sloan, que l’on risque de retrouver prochainement, fait tout de même partie des belles révélations du Festival.
Gazer est présenté en Compétition au Festival de Deauville 2024.
Fiche technique
De : Ryan J. Sloan
Année : 2024
Durée : 1h54
Avec : Ariella Mastroianni, Marcia Debonis, Renee Gagner, Jack Alberts, Tommy Kang
Nationalité : États-Unis