Premier long-métrage de Titus Kaphar, Exhibiting Forgiveness compose un drame familial centré sur les relations pères-fils et la recherche perpétuelle du pardon. Des thématiques classiques traitées sous l’angle un peu plus innovant de la création artistique comme canalisateur d’une souffrance passée dévorante. Malheureusement, la longueur du film et la relative stagnation des personnages, qui évoluent peu émotionnellement, n’impliquent le spectateur que dans la lente attente d’une réconciliation finale.
Synopsis : Un artiste noir qui se libère de son passé à travers ses peintures voit son ascension vers le succès contrariée après la visite impromptue de son père, un ancien toxicomane désespéré à l’idée de se réconcilier avec son fils. Ils vont batailler ensemble et apprendre qu’il est plus difficile d’oublier que de pardonner.
Titus Kaphar, peintre américain dont les œuvres sont exposées au MoMa et au MET de New York, étend avec Exhibiting Forgiveness son champ d’expression artistique. En passant du pinceau à la caméra, le réalisateur brosse le portrait d’une famille en crise, dont les membres se déchirent face à la douleur et à la haine. Les tableaux, qui constituent des sortes de fenêtres sur le passé, donnent à voir l’image d’une enfance brisée incapable d’oublier.
L’éducation à la dure
Tarrel mène une existence confortable avec sa femme Aisha et son fils. Peintre célèbre qui enchaîne les expositions, propriétaire d’une grande maison, tout semble lui réussir. Pourtant, il traîne dans son passé une rancœur indélébile qui le réveille en sursaut et le fait cogner violemment contre les murs. Cette rage, Tarrel la contient dans le cadre de ses peintures, forme de catharsis libératrice de sa souffrance. Mais lorsque son père, La’Ron, resurgit brusquement dans sa vie, cet équilibre précaire bascule.
Appelé à se remémorer l’apprentissage sévère que lui a infligé son père toxicomane, entre coups et travaux acharnés, Tarrel refuse de renouer des liens avec La’Ron. Malgré sa brutalité, c’est bien cette éducation de forcenée qui a forgé, avec le temps, la personnalité créative de Tarrel. Et même si l’on ne peut cautionner un tel traitement, l’attitude de Tarrel, focalisée sur ses blessures, et non sur tout ce qu’il a accompli, finit presque par agacer. Son père, qui se cherche des excuses, lui en fait d’ailleurs la remarque. Profondément marqué par cette expérience, Tarrel s’est construit en parfaite opposition avec La’Ron, jusque dans la définition de sa figure paternelle. Loin de reproduire le traumatisme de son enfance, Tarrel traite en effet son fils avec amour et délicatesse.
Au contraire, La’Ron a sciemment appliqué à son enfant la même éducation stricte qu’il a vécue. Exhibiting Forgiveness souligne ainsi le tragique de la reprise de schémas familiaux, dont la machine implacable se perpétue de génération en génération. Cette violence, La’Ron la justifie par un simple objectif, faire de son fils un homme, doublé d’un constat sociétal, les individus noirs ne peuvent réussir qu’en se tuant à la tâche. Cette réalité, qui aurait été pertinente à développer, ne constitue cependant pas le sujet du film, qui reste principalement attaché à la réconciliation avec le passé.
L’art du pardon
La mère de Tarrel, Joyce, exerce le rôle d’une médiatrice entre Tarrel et La’Ron. Fervente adepte de l’Eglise et lectrice de la Bible, elle considère le pardon comme une nécessité absolue, car celui qui ne pardonne pas ne saurait lui-même être pardonné. Si l’art représente l’exutoire de Tarrel, pour Joyce, c’est la religion qui devient un véritable refuge. Ses efforts favorisent alors des rencontres et des tentatives d’explications successives entre père et fils. Tarrel parviendra-t-il enfin à vider son esprit, à l’image de sa silhouette qu’il découpe au couteau dans la toile ?
En exposant directement son seul enjeu centré autour de la réconciliation, Exhibiting Forgiveness peine à susciter notre intérêt pendant ses deux heures mal rythmées et entrecoupées de chansons, d’autant plus que l’émotion ne jaillit pas vraiment dans l’acte final en demi-teinte. Le personnage de Joyce, éprouvée par La’Ron, mériterait davantage de développements, alors que la relation entre Tarrel et La’Ron tourne en rond pendant la majorité du récit. Ceci nous laisse l’impression d’un film statique, qui propose néanmoins quelques idées de mise en scène, notamment un jeu sur les tableaux qui surgissent dans les décors. Il n’est pas encore certain que Titus Kaphar renouvelle ce premier vernissage cinématographique, mais Exhibiting Forgiveness contribuera peut-être, si l’on oublie ses défauts, à sa renommée d’artiste international.
Exhibiting Forgiveness est présenté en Compétition au Festival de Deauville 2024.
Fiche technique
De : Titus Kaphar
Année : 2024
Durée : 1h52
Avec : André Holland, John Earl Jelks, Aunjanue Ellis-Taylor, Andra Day
Nationalité : États-Unis