La touche-à-tout Zabou Breitman (Les Hirondelles de Kaboul) nous revient en duo derrière la caméra pour quelque chose de totalement inédit dans le paysage cinématographique français. Ni véritable documentaire, ni véritable œuvre de fiction, Le Garçon est un objet hybride rare et précieux aussi bien dans ce qu’il provoque en nous que dans sa conception même, unique en son genre. Si le procédé et la proposition peuvent laisser dubitatifs au premier abord, on est finalement conquis par cette expérience peu commune – qui frôle l’expérimental justement – et qui nous fait vibrer pendant une heure et demie. Un petit bijou de nostalgie, d’inventivité et de délicatesse qu’il serait dommage de rater.
Synopsis : Tout débute avec les photos d’une famille. Une famille inconnue, qu’on a pourtant l’impression de connaître. Au centre : ce garçon. Qui est-il ? Quelle est son histoire ? Et si chaque individu était aussi le héros involontaire d’un conte ? Une enquête familiale vertigineuse, où réalité et fiction se mêlent jusqu’à se confondre parfois.
Tout part d’une idée folle. Celle de faire un film entre documentaire et fiction à partir d’une personne inconnue choisie sur des photos. Trouvée lors d’une balade dans une brocante, la personne en question (et les photos où elle apparaît), choisie par Breitman et son coréalisateur Florent Vassault (monteur sur L’Autre continent et Il Boemo), deviendra le héros involontaire de ce long-métrage qu’est Le Garçon. Comme si on réécrivait l’histoire de cet homme, qu’on lui redonnait une vie, une sorte de soldat inconnu du cinéma en somme. Et le résultat va nous emmener au sein d’un voyage cinématographique hors des sentiers battus où trois films en un finissent par se mélanger avec fluidité pour une sorte d’installation vivante faite film. Un projet casse-gueule et étrange de prime abord dont le résultat est absolument étonnant, épatant et beau.
D’un côté, on va suivre Vassault tenter de retrouver la trace du garçon en parcourant les lieux vus sur les tirages et en rencontrant des personnes vivant sur les lieux qui auraient pu le connaître. De l’autre, Zabou va imaginer, au sein d’une fiction, ce qu’a pu être la vie dudit garçon. Et, comme une sorte de mise en abyme figurant un troisième film, on suit leur travail à tous les deux pour tenter de joindre le plus justement possible ce drôle de mélange. Une œuvre hybride à la construction passionnante et au montage malin qui rend les frontières entre la fiction et la réalité plus que poreuses et nous interroge sur le pouvoir des photos. Car tout cela, toujours dans la sincérité et la véracité revendiquée (aucun trucage ou arrangement), n’a pu être possible que par l’entremise de ces photographies et de l’accord des gens rencontrés. Et on sent le travail passé de la cinéaste versatile qu’est Zabou avec Raymond Depardon dans la manière qu’elle a d’appréhender les vrais gens comme l’illustre documentariste de la vraie France le faisait.
C’est une des belles réussites de Le Garçon. Celle de faire honneur aux personnes croisées et interrogées au gré des recherches et de montrer la vraie France, rurale ou profonde, sous un aspect plein de douceur et de bienveillance. Tantôt gentiment comique, parfois aussi tragique, mais surtout souvent nostalgique et presque mélancolique. Son film nous plonge forcément dans le passé (certaines des photos où apparaît le garçon sont en noir et blanc), une sorte de France d’antan dont le parfum résonne en nous bien après la projection. Cette œuvre nous imprègne et elle fait partie de celles qui nous habitent encore longtemps après la projection.
On le sent, ce long-métrage comparable à nul autre au cinéma et qui a été tourné sur plusieurs années, s’est nourri au fur et à mesure que le tournage avançait. Une sorte de film évolutif qui a probablement pris de nombreuses formes avant ce montage final très pertinent. Il y a beaucoup de clins d’œil des cinéastes envers le public et même un aspect presque ludique de voir comment cette sorte d’enquête du réel allait progresser. Et puis il y a ce plaisir de voir ces véritables personnes se livrer à la caméra dans un naturel confondant. On pensera notamment à cette vieille dame sur le pas de sa porte, désolée de ne pas pouvoir aider plus. Un grand moment de cinéma à la fois simple et bouleversant. Sans le vouloir, en tout cas pas de manière réellement volontaire, plein de petites choses nous remuent, ont de l’incidence sur nous. On sort de la projection de cet objet filmique non identifié ému et mélancolique, notamment suite aux révélations que l’on découvre en même temps que le duo de cinéastes.
Il y a aussi quelque chose de touchant de voir François Berléand, Isabelle Nanty et d’autres se prêter avec gourmandise à cette expérience semblable à aucune autre. La grâce et la magie de ce film, c’est d’avoir su redonner vie à un oublié, un inconnu, dont quelques photos permettent d’avoir encore une trace, un souvenir. Entre plongée documentaire à la recherche d’une personne dans toute la France et fiction qui s’inspire de suppositions et bourrée de trouvailles et de surprises, Le Garçon est un moment de cinéma difficile à décrire avec des mots. Une expérience douce et amère que l’on aurait presque envie de garder uniquement pour soi plutôt que de la partager au monde entier. Elle révèle aussi le pouvoir oublié de la photographie développée. Et même si on est loin du chef-d’œuvre ou de l’immanquable, on encouragera le plus de monde possible à découvrir le film et tenter cette expérience belle, à la fois si simple (à regarder) et si complexe (dans sa conception).
Bande-annonce – Le Garçon
Fiche technique – Le Garçon
Réalisateurs : Zabou Breitman et Florent Vassault.
Scénaristes : Zabou Breitman et Florent Vassault.
Production : Nolita Productions.
Distribution: Nolita Distribution.
Interprétation : Damien Sobieraff, Isabelle Nanty, Francois Berléand, …
Genres : Documentaire – Drame.
Date de sortie : 12 février 2025.
Durée : 1h37.
Pays : France.