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Champs-Elysées Film Festival 2020 : retour sur la compétition officielle

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

Le Champs-Elysées film festival est un festival du cinéma indépendant américain et français. S’il est difficile de savoir ce que l’on met derrière le mot « indépendant », le défi est de présenter des films aussi inattendus que variés. On peut ainsi suivre les tribulations de deux potes partis en vacances dans le sud, une famille noire américaine filmée pendant vingt ans ou encore la petite vie d’un kiosque du 16e arrondissement de Paris. On peut même croiser Johnny Hallyday. Cette année le festival se déroule entièrement en ligne et l’accès est gratuit. Plongée au cœur de quelques films de la compétition officielle.

Cette année, pandémie mondiale oblige, le festival innove et est accessible en ligne, gratuitement. Le visionnage des films est cependant limité à partir de la date de leur mise en ligne (entre 500 et 1 500 visionnages selon les films). Il faut donc être prêt derrière son ordinateur pour découvrir la sélection 2020 du cinéma indépendant. La question est d’ailleurs posée à tous les artistes du festival, « c’est quoi le cinéma indépendant? ». Vaste question qui réunit mille réponses différentes et à laquelle les quelques films visionnés apportent tous une réponse radicalement différente. Une chose est sûre, c’est un cinéma fait de rencontres dans lesquelles les barrières habituelles du glamour ou du gros budget semblent être un peu brisées. L’ouverture du festival promettait du social, du fantastique et de la poésie avec Jumbo de Zoé Wittock, la suite est un poil plus terre à terre mais tout aussi foisonnante. Notre plongée au cœur du festival commence donc au jour 2.

Jour 2 – Partir chercher l’amour au soleil et suivre une famille américaine pendant vingt ans

A l’abordage – Guillaume Brac. France, 2020

Après cinq longs métrages dont Tonnerre et Contes de juillet, Guillaume Brac revient poser sa caméra en été. Il suit deux personnages, deux amis partis parce que l’un veut suivre sa copine à l’autre bout de la France. C’est une surprise qui tourne un peu mal mais qui est l’occasion de belles rencontres, de retrouvailles aussi des personnages avec eux-mêmes. On rit beaucoup car le décalage est permanent. Le réalisateur sait déplacer les enjeux à chaque instant, s’attacher à ses personnages de garçons jamais figés, clichés et nous les rendre attachant par la même occasion.

Bien que filmé dans la torpeur de l’été du sud de la France, le film est toujours en mouvement grâce à des personnages qui marchent, qui nagent, qui pédalent, qui bougent, mais aussi à une parole continue. Les filles n’y sont pas des princesses qui attendent de nous le secours et les garçons des beaux mecs qui font tomber toutes les filles. A l’abordage contient en lui une forme de poésie malhabile, mais aussi des bateaux en cartons, des tentes de centres de loisirs et surtout des petits moments de tendresse, de clins d’œil (un tee-shirt du film Les Enfants loups, Ame et Yuki ) même s’il est aussi pétri de l’angoisse du monde, de l’avenir.

17 Blocks –  David Rothbart. États-Unis, 2019

Ce documentaire américain suit la vie d’une famille noire américaine pendant vingt ans. Elle commence l’année 1999 quand Emmanuel, neuf ans, se voit offrir une caméra. Ce petit garçon va sans le savoir devenir le héros de cette histoire réelle qui ressemble franchement à une fiction par moments mais qui est une tranche de vie inédite, passionnante. Elle explore quelque chose de cette Amérique dont nous ne savons finalement pas grand chose. On sent une révolte et une violence monter tout doucement. Les protagonistes produisent leurs propres images, leur propre regard sur eux-mêmes. Ils ne sont pas simplement filmés, regardés, ils se regardent, nous regardent.

Ils n’hésitent pas à se livrer et à nous questionner, comment soutenir ce plan du sang d’un des membres de la famille qui vient de mourir assassiné et qui est filmé sans filtre « in medias res » ? Peu à peu, on se détache du côté documentaire pour entrer littéralement dans cette famille comme un membre de plus, quelqu’un qui voudrait interagir, prendre sa caméra et regarder à son tour, donner à voir. La famille vit à Washington DC à seulement 17 pâtés de maison du Capitole, mais dans un quartier qu’on nous vend comme « le plus dangereux des États-Unis ». Le documentaire se transforme donc en une exploration de la résilience et en un cri du cœur contre cette violence. La fin du film égrène ainsi tous les homicides survenus depuis 2009 et la liste est longue, vertigineuse. Aussi vertigineuse que la perte soudaine d’un enfant sur lequel tant d’espoir avait été fondé.

Jour 3 – Une jeune femme en plein abysse et un kiosque parisien en pleine déroute

Slow Machine – Joe DeNardo, Paul Felten. États-Unis, 2020

Slow Machine est un long métrage très court. Moins d’une heure quinze en effet pour raconter le passage à vide d’une actrice américaine. Le film mélange les temporalités pour nous montrer sa rencontre presque irréelle avec Gerard, un genre de flic étrange qui la pioche un jour au hasard alors qu’elle titube dans la rue. Plus tard, mais dans le même temps du film,  Stéphanie s’est réfugiée chez des amis qui font de la musique.

Le film est assez déstabilisant mais suit de manière non linéaire et inattendue une part du quotidien d’une femme d’aujourd’hui. Il n’y a pas de chemin tout tracé, de rédemption bienvenue, mais quelque chose d’une brutalité complète. Stéphanie n’est pas un personnage particulièrement aimable ou attachant, c’est un personnage qui est, qui vit, indépendamment du regard que l’on porte sur elle, un sujet de fiction, que la caméra observe, décortique, d’où le gros plan sur son visage qui constitue l’affiche du film.

Le Kiosque – Alexandra Pianelli. France, 2020

Dans la vidéo d’interview qui accompagne tous les films du festival, Alexandra Pianelli s’interviewe elle-même (elle joue deux personnages) pendant six minutes. Cette fantaisie, ce dédoublement, elle le vit au quotidien en aidant sa mère à tenir le petit kiosque de la place Victor Hugo dans le XVIe arrondissement de Paris. Elle est double car son cœur de métier, c’est d’être plasticienne, réalisatrice. Elle endosse les deux casquettes : la vendeuse de journaux déstabilisée par la crise qui survient et qui regardera avec sa mère le kiosque disparaître, et la réalisatrice qui produit des images, des regards sur ceux qui fréquentent le kiosque.

Volontiers pédagogue, Alexandra Pianelli utilise tous ses talents artistiques pour nous parler un peu des kiosques, de la crise de la presse papier, de l’étranglement… Elle dessine aussi les portraits des visages que nous croisons, des tranches de vie. Et elle parvient à travers un dispositif tout simple à capter des visages, à les faire vivre à l’écran avec leurs fantaisies, leurs manies, leur générosité, leurs voix. Ce sont les habitués du kiosque qui l’habitent totalement. La réalisatrice distille de la tendresse, de la douceur dans ce documentaire qui se révèle passionnant tant il s’attache au regard, de l’autre côté de la rue, celle où nous ne faisons bien souvent que passer.

Jour 4 – Fuir la violence, être rattrapé par elle

Los Conductos – Camilo Restrepo. France, Colombie, Brésil, 2020

Los Conductos est un film étrange, presque chamanique. C’est un film tourné essentiellement de nuit, dans l’ombre, avec quelques éclats de lumière qui donnent autant de signaux sur l’histoire qui est en train de se dérouler. Nous sommes face à un homme qui fuit son passé, la violence et donc face à une histoire qui peine à se révéler à nous pleinement, qui est dans l’ombre, elle aussi. Los Conductos demande ainsi au spectateur une pleine concentration, une pleine ouverture. On y suit surtout le corps d’un homme dont l’esprit peine à se réhabiliter à la vie, tout simplement. C’est un film crépusculaire, exigeant, souvent assez déroutant.

Jour 5 – Combattre pour vivre

Grève ou crève, Jonathan Rescigno. France, 2020

Grève ou crève revient sur le combat des mineurs en 1995 à Forbach. C’est un documentaire de souvenirs d’abord, de ces corps qui se souviennent, qui classent, qui racontent, qui revivent inlassablement. Mais la force du travail mené par le réalisateur est qu’il s’intéresse aussi et surtout au présent. Il cherche à savoir qui sont ceux qui habitent Forbach aujourd’hui et quels sont leurs combats. En apparence, quand il filme des jeunes dans une fête foraine, on se dit que le combat est bien loin, mais Jonathan Rescigno va chercher sous la surface.

Il prend le temps d’écouter les paroles, les rêves, d’entrer dans les conversations. Il prend le temps d’aller à leur rencontre et de filmer la sueur, la lutte, comment elle s’est déplacée. Comment elle se construit aussi, à travers l’histoire d’un ouvrier abusé par son supérieur et qui peine à se soulever contre le système. Et le combat s’écrit aussi à travers un entraîneur de boxe aussi rude que passionné. Le combat est donc toujours là car vivre c’est se lever et oser dire « non », s’engager par le corps.

Jour 6 – Un thriller en Uber ou des adieux alcoolisés

La Nuit venue – Frédéric Farrucci. France, 2020.

La Nuit Venue est un thriller moderne dans lequel un jeune homme venu tout droit de Chine conduit un Uber pour rembourser une dette. Bien sûr rien n’est officiel et les deux-trois semaines qu’il lui reste pour rembourser vont vite se transformer en cauchemar. Si le scénario reste classique et donc loin d’être incroyable, le duo d’acteurs Guang Huo/Camélia Jordana fonctionne bien. Car La Nuit venue est avant tout une histoire d’amour naissante et filmée comme impossible entre deux amants qui ne veulent plus subir leur vie. Le titre évoque ainsi les retrouvailles enfin possibles entre Jin et Naomi, le chauffeur et la strip-teaseuse une fois la nuit tombée, dans l’ombre. Parviendront-ils à survivre au petit matin ? C’est toute la question posée par cette fresque moderne à la musicalité passionnante.

Bloody Nose, Empty Pockets – Bill Ross IV, Turner Ross. États-Unis, 2020.

Le documentaire Bloody Nose, Empty Pockets filme la fin d’un monde. Aucune voix off, aucun sous-texte si ce n’est ces préceptes auxquels s’accrochent le film et qui sont égrenés tout du long. On y voit des tranches de vie, des tronches aussi, se dire adieu car le bar de Las Vegas dans lequel elles avaient l’habitude de se retrouver, de survivre en se noyant dans l’alcool va fermer. Les deux réalisateurs filment la soirée de fermeture et s’attardent sur quelques confidences, quelques moments de tensions ou non. On se saura rien de plus, rien de moins que ce moment dans la vie de tous ceux qui le traversent ensemble. C’est un morceau d’Amérique qui s’écrit et qui s’éteint en même temps sous nos yeux. Même Einstein (ou presque!) s’invite entre deux verres et deux confidences… Il faut cependant s’accrocher pour trouver ça et là quelques moments de vie dans cette approche brumeuse, décousue qui finit par créer un tout pour peu qu’on prenne la peine d’accepter que c’est « juste ça », tout et pas grand chose à la fois, comme une vieille ritournelle.

Deux longs métrages en compétition ne seront pas évoqués ici. Le premier, Crestone de Marnie Ellen Hertzler (Etats-Unis 2020) diffusé le vendredi 12 juin 2020 (possibilité de rattrapage si le nombre de visionnages n’est pas atteint) et Retiens Johnny de Arthur Verret, Baptiste Drouillac et Simon Depardon (France, 2020) qui sera diffusé le 15 juin 2020 à partir de 18h. Une sélection de courts métrage indépendants français et américains est également diffusée et ce jusqu’au 16 juin sans limite de visionnage. Chaque film fait l’objet d’un vote du public.

Reporter LeMagduCiné