Durant ce festival de Cannes 2018, La section Un Certain Regard nous a offert avec Meurs, Monstre, Meurs d’Alejandro Fadel, une œuvre hybride, qui prend la tangente de la critique sociale faite par le biais du fantastique, et le polar tendu. Souvent passionnante, l’œuvre n’est pas sans rappeler La Région Sauvage d’Amat Escalante.
C’est dans une région un peu reculée de la Cordillère des Andes qu’Alejandro Fadel situe son récit. Alors que plusieurs femmes se font couper la tête dans des conditions bien particulières, le mari de l’une d’elles est le principal accusé, sachant que l’amant de cette dernière est le policier qui s’occupera de cette affaire. Un peu comme La région sauvage, comme nous l’avons indiqué au-dessus, Meurs Monstre Meurs est un film qui prend la direction de l’enquête policière ponctué d’un graphisme très sanguinolent. Comme nous le rappelle cette première séquence avec cette paysanne qui essaie de remettre sa tête sur son cou alors qu’elle a la gorge tranchée.
Cependant, dans ce cortège de grandes vallées sinueuses où des cris gutturaux sortent des forêts environnantes, le cinéaste se détache du film de genre pour se consacrer sur les fêlures même de ces personnages et pour alimenter une critique sociale dont proviendrait le mal qui agit dans la contrée. D’ailleurs, très rapidement, lors du meurtre de la deuxième femme, le réalisateur brouille les pistes et inaugure son visage fantastique avec ce monstre doté d’une grande tentacule qui sert de pénis géant, à la fois pour violer et décapiter les victimes. Ce monstre, que nous verrons entièrement, seulement dans les 5 dernières minutes, est presque un dieu divin, seul maître de la pénitence et seule figure personnifiée des désirs d’une humanité en mal être.
Monstre existant, ou monstre intérieur et métaphorique, Meurs Monstre Meurs fait partie, à l’image du cinéma mexicain de Carlos Reygadas et d’Amat Escalante, de ces œuvres non linéaires qui viennent catapulter une violence graphique et gore dans un paysage social réaliste. Mais là où les deux réalisateurs en question surprennent leur monde en ayant une approche documentariste, Alejandro Fadel continue à œuvrer avec son rythme de polar psychédélique, son visuel pluvieux et sa photographie sombre comme pouvait le faire Na Hong-jin dans The Strangers.
Alors que des petites voix trottent dans la tête de nos deux hommes, que des motards surgissent de nulle part, que le sang coule à flot et que les grondements du monstre se font toujours aussi tétanisants dans les fins fonds des montagnes, la confusion se fera entêtante et brumeuse. La critique sociale et la prise de position sur le bien-vivre dans ce genre de zones isolées va devenir le point d’orgue de cette œuvre hybride où le fantastique se fera l’allégorie de la routine sociale, de la crasse dans laquelle vivent ses habitants et du manque de libido des personnages et de leurs physiques disgracieux. Un peu plus labyrinthique que La région sauvage, Meurs Monstre Meurs est un audacieux film sur le désir et la violence de la condition humaine, un film de monstre triste qui erre seul dans les montagnes mais passe de corps en corps.
Synopsis : Fin de l’hiver, une tempête de neige s’abat sur la Cordillère des Andes. Les corps de plusieurs femmes décapitées sont retrouvés près d’un poste frontière isolé, au pied de la montagne. Un homme, David, porté disparu depuis des jours, est recherché par la police rurale.
[Section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2018]
Meurs, monstre, meurs, un film de Alejandro Fadel
Avec Victor Lopez, Esteban Bigliardi, Stéphane Rideau, Sofia Palomino
Genre : Thriller
Distributeur : UFO Distribution
Durée : 1h38
Date de sortie : Prochainement
Nationalité : Argentin, Français