Arras film Festival, Jour 4. C’est connu, la vie est un combat pour (presque) tout le monde. Mais pour certains, il s’agit d’une réalité quotidienne qui pousse les plus résilients à l’abandon. C’est facile de chanter le poing levé, c’est plus difficile de rester debout quand un adversaire plus grand et plus fort vous coince dans les cordes pour faire chanter les douilles sur vos côtes. La raison du plus fort entraîne la résignation du plus faible. C’est quasiment mathématique.
16 ans de Philippe Lioret
Mais le menu à l’ordre du jour postule exactement l’inverse : les combats perdus d’avance sont ceux qui méritent le plus d’être menés. S’il y a une chose qui devrait échapper à la gravité, c’est bien la liberté des coups de foudre adolescents. Dans 16 ans, l’amour au premier regard qui aligne Nora et Leo sur le même astre est un tableau que Philippe Lioret peint avec la délicatesse des détails qui ne trompent pas. Un regard qui fuie et revient, des corps qui ont du mal à s’éloigner, deux mains qui s’enlacent : la grande toile devient le grand spectacle des sentiments qui s’expriment sur des petits rien. Le réalisateur du Fils de Jean connait son affaire. C’est beau comme une évidence de chaque plan, et dans un monde parfait ça devrait rester comme ça. Mais le théâtre de leur marivaudage devient la scène d’une tragédie shakespearienne lorsque le spectre de Roméo et Juliette s’invite dans l’angle mort du quotidien. Son père à lui a viré son frère à elle sans autre formes de procès, la trêve sociale perd du terrain face à la guerre de classe, et nos deux jeunes amants doivent choisir le bon camp. Mais comme chacun sait, l’amour est têtu, surtout à cet âge, et n’aime pas qu’on lui dise non.
Les jeunes paient les conflits de leurs parents de la nuit des temps, mais comme disait Jean Renoir « Tout le monde a ses raisons ». Ni bon ni méchants, que des personnages qui n’ont plus que le couteau sous la gorge. On pense beaucoup au formidable Noces de Stephan Streker. Si ce n’est que la fatalité inhérente à la tragédie finit par constituer ici une mécanique forçant quelque peu la main du malheur dans le dernier virage.
Brillantes de Sylvie Gautier
Dommage, mais au moins le film ose faire le grand saut dans le ravin que Sylvie Gautier se contente de regarder en contrebas. Dans Brillantes, la réalisatrice suit le quotidien d’une équipe de femmes de ménage de nuit qui vont s’employer à tenir tête à la brutalité de leur nouvelle direction. La réalisatrice n’épargne pas le spectateur de la réalité de ces travailleuses de l’ombre, mais refuse néanmoins de victimiser ses personnages dans le pathos. Comme son titre l’indique, Brillantes est un film qui se veut lumineux sur les habituelles variables d’ajustement qui vont récupérer leur droit à dire non et dans l’arrière-plan, les gilets jaunes grondent en arrière-plan en attendant de s’inviter au premier. Mais en resserrant progressivement le récit sur Céline Salette, le film ferme progressivement la porte au nez de son sujet.
Son personnage commence comme le catalyseur d’un propos qu’elle finit par inhiber à force de vouloir faire entrer au forceps ce que le spectateur avait déjà intégré au bout de 20 minutes. Brillantes devient ainsi le film français qu’il n’aurait pas dû être. À savoir l’étalage forcé et bruyant du mal-être d’un personnage qui étouffe les sons du monde autour d’elle, jusque dans un happy-end ressemblant à un memo de développement personnel. La comparaison inévitable avec Les Invisibles, de Louis-Julien Petit ne joue clairement pas en la faveur.
Les Survivants de Guillaume Renusson
Un écueil dans lequel ne tombe pas Les Survivants, survival montagnard de Guillaume Renusson où un homme veuf et inconsolable aide une réfugiée afghane à passer la chaine des Alpes dans un contexte de chasse aux migrants. Le cinéma de genre peut vite devenir un simple prétexte quand il a des choses à dire, mais Renusson est suffisamment maitre de son médium pour les mettre en scène. Le cinéaste filme la montagne comme l’hôtel Overlook de Shining, se montre délicat dans la symbolique et frontal dans ses accès de violence, voir même carrément tendu dans certains passages. Les Survivants trouve le bon équilibre entre le minimalisme d’un Gravity et le western qui raconte son époque au travers de cette nouvelle Frontière enneigée. La preuve une nouvelle fois, que le cinéma français n’a désormais plus besoin de l’ombre U.S pour (bien) raconter ses propres histoires.