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Arras Film Festival : J’ai même rencontré des Tziganes heureux

A l’occasion de l’Arras Film Festival, découverte du classique yougoslave J’ai même rencontré des Tziganes heureux. Sorti en 1967, le film met en lumière une communauté souvent réduite aux pires caricatures malgré l’absence de représentation, les Tziganes.

Synopsis : De nombreux Tziganes vivent dans la vaste plaine de la Voïvodine, en Serbie, où ils exercent de petits métiers. Vivant de son commerce de plumes d’oie, Bora, jeune et insouciant, se veut libre mais il est marié à une femme plus âgée. Il rencontre Tissa une jeune sauvageonne, et s’éprend d’elle. Mais Mirta, beau-père de Tissa, déjà son rival en affaires, devient aussi son rival en amour.

Une histoire du cinéma

Présenté au festival de Cannes en 1967, le film d’Aleksandar Petrovic est le favori du président de son jury, Claude Lelouch. Ce dernier veut lui décerner la palme d’or. Mais des hommes importants de l’événement lui demandent de ne pas le faire : Antonioni et son Blow Up doivent avoir l’ultime prix, lui dit-on. Furieux, Lelouch démissionne. Il ne peut cautionner une telle demande. Mais il ne part pas sans aider le réalisateur : il prend en charge la distribution de son film. Aussi, pour éviter le scandale, l’œuvre de Petrovic gagna le Grand Prix.

Cette année, J’ai même rencontré des Tziganes heureux a été mis à l’honneur lors du festival de Cannes. Projeté lors de l’événement dans les Cannes Classics, le long métrage est aujourd’hui célébré à l’Arras Film Festival.

« Manicheism out ! »

J’ai même rencontre des Tziganes heureux est violent, émouvant, amoral, beau, joyeux… Un film humain donc. Le docu-fiction d’Aleksandar Petrovic dresse un portrait sans concession de la communauté Tzigane. Le protagoniste principal, Bora, a déjà une femme mais qu’importe, il en veut une autre plus jeune, l’ancienne saura se taire. Le père de la jeune femme convoitée par le premier veut garder sa fille pour lui. Comprenez « pour lui » ainsi : il veut coucher avec elle. Leurs lieux de vie sont misérables : de la boue, partout ; des logements qui connaissent à peine le mot « isolation »… Malgré tout, Petrovic n’oublie pas le reste, soit leur quotidien qui se trouve aussi être drôlement absurde et joyeux.

Les Tziganes sont aussi exposés dans leur rapport à l’autre. Ils marchandent avec les yougoslaves qui les traitent avec respect malgré nombre de remarques associées aux préjugés de leur communauté.

Le commerce des plumes donne naissance à de beaux moments absurdes et drôles.

Un autre monde

Le film de Petrovic donne aussi une étrange sensation au spectateur, celle d’assister au récit d’un autre monde. Le spectateur pourra ainsi avoir le sentiment d’observer la fiction et les rites et coutumes d’un alter univers. Lelouch l’expliquait dans la vidéo d’introduction à la projection : tout semble insensé dans le film. Le personnage principal largue sur la route son achat de plumes et assiste ému à son spectacle blanc. Un prêtre devenu fou vend les matelas emplis de plumes d’oie de ses anciens confrères. Vulgaire, étrange, il ira jusqu’à prêter sa propre literie au couple qu’il vient à peine de marier dans des conditions tout aussi bizarres, cela afin que les mariés puissent accomplir l’acte sexuel. Le monde de J’ai même rencontré des Tziganes heureux permet à tous les extrêmes – et toutes les nuances – de co-exister. Bora a un autre rival dans le domaine de la vente de plume d’oie. Chacun, tel un mafieux, possède dix territoires. Les deux patrons boivent ensemble, et se lancent même dans une affaire. Leur accord est conclu au bar, autour de litres de mauvais vins. La dame du lieu se met alors à chanter, payée par le deuxième « parrain » qui demande au premier de ne pas la draguer. L’endroit devient alors festif, enivré par les plus simples plaisirs humains : notamment celui de chanter ensemble dans une ambiance évidente de joie et paix. Le protagoniste principal s’ouvre les mains, et verse son sang, comme s’il se donnait entièrement à la passion positive qui s’exerce ici. Ainsi Aleksandar Petrovic révèle ici que la communauté Tzigane – tant stigmatisée, moquée et exclue – est le cosmos de tous les possibles, de la joie extrême au plus maigre espoir présent dans la pire des misères.

Bande-Annonce – J’ai même rencontré des Tziganes heureux