Ça y est, clap de fin pour l’Arras Film Festival. Un quart de siècle qui se termine, un deuxième qui commence, et à en juger par les entrées records de cette année, une longévité amenée à perdurer. À quoi tient la longévité d’un festival ? Si l’on s’en tient à l’exemple de l’Arras Film Festival, nous dirions ceci : donner aux gens l’envie de se retrouver, tout simplement. Et ce, en leur donnant la conviction que le cinéma, vécu ensemble et pas chacun de son côté, constitue encore l’un des meilleurs moyens pour affronter le monde. Même (et surtout) quand celui-ci va mal.
On a appris beaucoup de choses cette année à travers la sélection de l’Arras Film Festival. Surtout qu’il ne fallait pas se leurrer : on est dans la mouise, et pas qu’un peu. Le monde saigne de tous les côtés, entre la montée de l’extrême droite, la balkanisation des territoires et des individus, le retour du darwinisme social sous la bannière du « vivre-ensemble » … Une semaine après l’élection américaine, on s’est rappelé qu’il ne fallait pas s’en remettre au karma pour prévenir le pire. Le cinéma sert aussi à ça, à générer un éclair de lucidité nullement incompatible avec sa dimension d’évasion. C’est une expérience humaine, avant et après tout : on en apprend autant sur les autres que sur soi-même.
Que faire ? Se planquer la tête dans le sable, pleurer toutes les larmes de son corps en attendant que la tempête se passe ? Non. Déjà, faire ce que la gauche s’échine à ne pas faire des deux côtés de l’Atlantique : prendre acte de l’obsolescence des anciens modèles de pensée et des vieux totems immunodéficients. À cet égard, l’Arras Film a proposé des films qui, pour le pire ou -le plus souvent- pour le meilleur, ont joint le geste à la parole, la forme avec le fond.
Le champ/contre-champ n’est plus une évidence, mais une convention en attente de transgression nécessaire comme une autre (Jouer avec le Feu, Le Choix du Pianiste, Julie se Tait) ; les grands récits des archétypes à réinventer (les westerns de résistance pacifique, The Gardener’s Year et The Trap, Toutes pour Une et son Alexandre Dumas à l’épreuve de l’empowerment post Me Too en hashtags, Un Ours dans le Jura et son Franck Dubosc en mode Fargo redistributif) ; les terres d’accueil des tribus (trop) lourdes à payer pour ses soupirants (le « film d’horreur bureaucratique » The Hunt for Meral O, le deuil comme outil de résistance dans Dwelling Among The Gods, Au Pays de Nos Frères et sa parole chorale empêchée sur trois générations…).
Il faut casser, mettre à plat et reconstruire. Laisser la jeunesse aux dents longues et ses formes parfois venues d’ailleurs planter ses crocs dans la carotide du médium (Little Jaffna, Aïcha, Brûle le Sang). Et surtout, laisser le cinéma être le cinéma : un espace de rêves et d’illusions, susceptible d’altérer la réalité de la vie de tous les jours un spectateur à la fois. Bref, il ne faut pas s’excuser de rêver à l’impossible (Le Quatrième Mur), de croire à l’incroyable (Par Amour), de partir loin sans ticket de retour (U Are the Universe), d’avoir la tête en l’air pour le plaisir de regarder les étoiles.
C’est ce que dit finalement Saint Ex, le beau rêve murmuré de Pablo Agüero, qui clôture cette édition : au cinéma, le faux vaut très bien pour lui-même, et n’a pas vocation à démêler le vrai. Car dans un monde au bord du gouffre, les rêves constituent peut-être le meilleur endroit pour s’armer contre la réalité. Et de l’affronter, ensemble.