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© Dublin Films

Anhell69 : película trans !

Lili Mac Redactrice LeMagducine

Aux frontières du réel, Anhell69 flirte autant avec la fiction qu’avec le documentaire. Ce film inclassable rend hommage aux chers disparus du réalisateur colombien Theo Montoya. Une jeunesse homo éprise d’idéal et de liberté, dévorée par la monstrueuse Medellín !

Le festival de Cinéma Latino-Américain de Paris (Clap), a une nouvelle fois frappé fort et juste en présentant Anhell69 en première parisienne et en présence du réalisateur. Attention les yeux et les oreilles : c’est fort et ça fait mal !
Theo Montoya signe un ovni cinématographique de 75 minutes dont on ne ressort pas indemne. Film court mais qui a tout d’un grand, sans écriture, sans scénario, dont la forme hybride et « transidentitaire », a trouvé son sens au montage.

Sans père et sans repère

D’abord allongé dans un corbillard, Montoya se place en narrateur – mort, donc – dont la voix off, lente et douce, contraste avec la dureté du propos. Car de mort il est beaucoup question dans ce film à la narration surprenante. Elle attend inexorablement ses protagonistes au coin des rues. Mais elle est aussi envisagée sans douleur et sans drama, comme le « gros lot de la vie »… Ambiance !
Intervieweur, Montoya donne la parole à ceux qui ne l’ont jamais. Il s’agit de ses amis, pour la plupart décédés, qu’il a commencé à filmer dès 2017, dans une sorte de cérémonial très soft : assis sur une chaise, décor dépouillé, caméra fixe. Raconte-moi ta vie. Comment tu vois ton avenir ? Quelle est ta sexualité ?…
Parmi eux, « Anhell » dont le surnom titre le film. Il mourra quelques semaines après son entretien. Son surnom s’apprécie plutôt en espagnol et en anglais qu’en français : l’ange (angel) avec sa part démoniaque (hell). Pour 69, pas besoin de faire un dessin.
Tour à tour, ces hommes masculins féminins, ayant pour la plupart vécu sans père et dans un climat familial violent, s’interrogent sur leur sexualité et leur identité. Ils se livrent avec candeur, pudeur, douceur, mais aussi avec terreur, surtout lorsqu’ils racontent la répression. Chassés par le gouvernement, rejetés par la religion, victimes des narcos, relégués au bas de l’échelle sociale, ils cherchent par tous les moyens à donner un sens à leur vie.

La caméra comme arme

En plus des entretiens confessions, l’aspect documentaire provient des images d’archives intégrées à cette étrange narration.
Les scènes de la ciudad à feu et à sang sont assez impressionnantes. Elles s’insèrent dans un ingénieux processus de montage tout en oppositions. Le calme et lenteur de la parole face caméra contre le tourbillon visuel des violences de la rue ou des boites de nuit.
La répression cherche à se débarrasser de ceux qui l’embarrassent dans une sorte de nettoyage social multidimensionnel : homos, narcos, guerilleros… tout le monde y passe ! Illusoire de « faire de sa vie une œuvre d’art » dans un pays violent où seul le présent compte.
La traduction en image est implacable. Pour preuve, ce plan sauvage venant clore une séquence urbaine sur un coup de feu et un écran noir comme la mort.
C’est ça aussi, le cinoche à la Montoya : une caresse suivie d’une baffe qui fait claquer le no futur à la gueule du spectateur.

Mulholland Medellín…

Certains plans nocturnes de Medellín, d’une beauté sépulcrale et vénéneuse, ne sont pas sans rappeler le Lynch de Mulholland Drive. Rien d’étonnant à cela puisque la fiction se place aux frontières du réel. Un flirt entre les genres, dans tous les sens du terme, qui fait glisser le film vers le fantastique.
En mettant en scène les « chasseurs de spectrophiles » (no spoiler, please), Montoya fait le deuil de sa génération et se confronte au trauma de sa jeunesse encore toute proche par une performance esthétique qui est aussi un acte militant.
Au passage, il rend également hommage au réalisateur et auteur colombien Victor Gaviria, dont le film Rodrigo D : No futuro fut sélectionné à Cannes en 1990. C’est en visionnant ses œuvres (et en fumant beaucoup de Marijuana, ajoute-t-il) que Montoya a voulu faire du cinéma. Étrangement, c’est ce même Gaviria qui conduit le corbillard et qui échange avec le mort-narrateur…
Un « tranfert de connaissances » d’une génération à l’autre, expliquera le réalisateur. Manière de trouver un fondement à sa culture en se retournant vers ses pairs ? Une façon en tout cas de boucler la boucle.
On croise les doigts pour qu’Anhell69 (projeté deux fois seulement au Grand Action en avril 2023), tape dans l’œil d’un esthète fortuné en bons termes avec les professionnels de la profession pour être rapidement visible en France.

Bande annonce : Anhell69

Fiche technique : Anhell69

Réalisation et scénario  : Theo Montoya
Image : Theo Montoya
Musique : Vlad Fenesan, Marius Leftarache
Mixage :
Marius Leftarache
Montage : Theo Montoya, Matthieu Taponier, Delia Oniga
Production : Desvio Visual
Diffuseur coprod :
TVR, Televiziunea Romana (Roumanie), Kanaldude, TV7 Bordeaux
Durée : 75 min
Année : 2022
En salle : Au Grand action uniquement les 13 et 16 avril 2023