La Review de Cannes : The Strangers (Goksung) de Na Hong-jin
Synopsis : La vie d’un village coréen est bouleversée par une série de meurtres, aussi sauvages qu’inexpliqués, qui frappe au hasard la petite communauté rurale. La présence, récente, d’un vieil étranger qui vit en ermite dans les bois attise rumeurs et superstitions. Face à l’incompétence de la police pour trouver l’assassin ou une explication sensée, certains villageois demandent l’aide d’un chaman. Pour Jong-gu aussi , un policier dont la famille est directement menacée, il est de plus en plus évident que ces crimes ont un fondement surnaturel…
Après avoir prodigieusement livré deux thrillers coréens diablement efficace (The Chaser, The Murderer), le cinéaste Na Hong-jin revient avec son troisième long métrage, véritable fresque dans la région coréenne du Goksung en proie à l’emprise du Mal. Le réalisateur coréen foule pour la troisième fois les marches cannoises, après avoir respectivement présenté ses deux précédents films Hors-Compétion et à Un Certain Regard. Si sa non-présence au sein de la compétition officielle pourrait sembler surprenante tant le film mériterait d’y trouver sa place, il faut évidemment tenir compte du fait Cannes n’a eu « que » l’exclusivité européenne de la projection du film, The Strangers étant déjà sorti en Corée du Sud (ndlr: où il fait un énorme carton au box-office).
La noirceur suggérée par les premiers extraits du film est vite contrebalancée par l’introduction en forme de présentation de l’anti-héros, policier pataud (auquel on s’identifie assez vite) qui prend goulument le temps de dévorer un repas alors qu’il vient d’être appelé pour un meurtre dans le voisinage. C’est là toute la première étape d’un film qui se pose comme un thriller farce. Mais le cinéaste Na Hong-jin n’est pas de ceux qui se reposent sur un genre. Du comique presque burlesque des premières scènes (deux policiers aux allures de Laurel et Hardy qui hurlent à la vue d’une silhouette dans la nuit), le récit s’embourbe progressivement dans une intrigue complexe d’une horreur et d’une violence inouie. Les scènes de crime macabres n’ont rien à envier aux chefs d’oeuvre du genre qu’ont pu être Seven ou Memories of Murder. Cette même ambiance pluvieuse, poisseuse et morbide qui magnifiait ces films noirs est bien retranscrite et montre, dès les premiers plans du film, à quel point l’enquête va être difficile et que les personnages seront amenés à aller aux plus profonds de leurs croyances pour trouver un dénouement à tous ces évenements hors du commun. Car la noirceur du récit prend la voie d’un thriller aux allures surnaturelles, faisant passer le film au registre fantastique. L’humour des débuts n’en est que plus déconcertant dès lors que l’horreur est en marche. A ce jeu, Na Hong-hin ne lésine pas sur les tabous et les excès, et donnent à voir des altercations brutales, des meurtres par des enfants, des scènes d’exorcisme et la descente aux enfers d’un homme pour qui le sort s’acharne après avoir provoqué le destin.
Le cinéaste brasse les genres et s’attaquent à plusieurs croyances pour tenter de combattre l’étrangeté des événéments. Le christianisme, le chamanisme et l’athéisme sont représentés et permettent de voir plusieurs angles de traitement, tout en restant parfaitement cohérent jusqu’à ce final d’une noirceur sans nom. Les rebondissements de l’intrigue et le chevauchement des genres font de The Strangers (ndlr: très mauvais titre français, soit dit en passant), un film macabre qui emmène son spectateur dans les limites de la raison. L’hystérie s’empare peu à peu des habitants de la région du Goksung qui ne savent comment réagir face à tous ces événements sans explication. On retiendra notamment une impressionnante séquence d’exorcisme chaman, exercée dans une fureur et un vacarme tonitruant. On en ressort épuisé et malmené par une intrigue qui ne fait pas de tendresse à l’égard de son spectateur. Après avoir prouvé à deux reprises son sens du cadre et du rythme, le cinéaste coréen confirme définitivement tout le bien qu’on pensait de lui et délivre ici une partition maîtrisée avec brio, où la mise en scène, le cadre, les effets et le montage ne font que sublimer un récit qui concentre toute notre attention. Il est peut-être là notre chef d’oeuvre du festival, et c’est hors compétition qu’il a fallu aller le chercher. Pour ceux qui en doutaient encore, Na Hong-jin est définitivement l’un des cinéastes coréens les plus intéressants qu’il soit.
The Strangers est incontestablement le film choc du Festival de Cannes 2016.
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The Strangers (Goksung)
Un film de Na Hong-jin
Avec Kwak Do-Won, Hwang Jeong-min, Chun Woo-hee
Distribution : Metropolitan FilmExport
Durée : 156 minutes
Genre : Thriller, polar, fantastique
Date de sortie : 06 juillet 2016
Corée du Sud – 2016