Avec Les Sauvages, co-écrit avec le romancier Sabri Louatach, Rebecca Zlotowski, signe une fresque parfois malhabile, mais amère et pleine d’emphase. Son aspect ultracomptemporain se mêle à une dystopie plutôt réussie. Mais la série assume aussi pleinement son côté fictionnel, car comme l’a déclaré la réalisatrice sur France Culture « le nerf de la guerre dans une série, c’est le scénario ». Quitte à se perdre parfois dans une écriture trop littéraire. Heureusement le rythme s’emballe souvent.
Regarde les Hommes tomber
Il a été élu, il est heureux, galvanisé, mais n’en fait pas trop. Car il est d’emblée présenté comme celui qui réfléchit, qui se pose, qui sort les bonnes phrases au bon moment, pour s’assurer une stature. En coulisse, sa fille l’observe avec admiration, exultation aussi d’avoir fait aboutir une campagne rondement menée, bien que marquée par la haine, les choix radicaux. Pourtant, sans en faire trop, il est emporté par le tumulte de cette fille qui ne veut pas qu’on lui vole sa victoire. Il y aura un bain de foule. Nous sommes en France, nous sommes maintenant, et pourtant nous sommes déjà dans le futur ou dans une France parallèle peut-être. En tout cas, un candidat issu de la diversité comme diraient les médias, Idder Chaouch, d’origine Kabyle, vient d’être élu Président de la République. Et boum, patatras, le voilà au sol, victime d’un attentat. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Une fois passé un premier épisode haletant, tendu, présentant deux familles qui vont peupler la mini-série (6 épisodes), c’est à toutes ces questions (et plus encore!) qu’il s’agira de répondre. La série y assume déjà un rythme endiablé, très fiévreux, et une propension à l’intime, au soap familial.
Douce (non, amère!) France
Rebecca Zlotowski parle donc de la France, sans regarder de côté, sans avoir peur d’aller droit dans les communautés, de dire que le vivre-ensemble n’est peut être pas si bien acquis. La France vacille et Zlotowski, en grand metteur en scène du collectif, valse avec elle. On se souvient en effet des plans de groupes très réussis dans Grand Central, bien mieux que de la piètre amourette qu’elle racontait en filigrane. Et il est en va ainsi des Sauvages : très habile et tendue quand il s’agit de croquer le mouvement des personnages, leurs « luttes » collectives, la série pêche sur son versant plus intimiste. On comprend ainsi aisément les aspirations du frère (maudit ?) de la famille Nerrouche, Nazir, mais moins sa relation complexe à son petit frère. On la devine complexe, mais à l’écran leurs échanges manquent de souffle.
Pourtant, Zlotowski et son co-scénariste (auteurs des livres éponymes à l’origine de la série) n’ont pas peur de regarder la France droit dans les yeux et de la traquer dans les moindres recoins. Quitte à parler essentiellement de minorités et à monter la force qu’elles peuvent prendre en s’éveillant, à l’image du célèbre « quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Ici, on pourrait entendre, quand les minorités parfois humiliées (et c’est tout le sens du dernier épisode inégal mais puissant dans son discours final) se réveilleront (et elles l’ont déjà fait puisque la série évoque en filigrane quelques émeutes comme celles de 2005), la France éclatera. Oui, mille éclats des différentes communautés qu’elle a tenté de souder ensemble, mais sans véritablement les mélanger, et qui ne sont que des agglomérats cherchant un ennemi à abattre pour expliquer leurs souffrances. Quand la série va du côté de l’ultra-droite également, elle observe des êtres soudés entre eux, mais remplis de haine envers ceux qu’ils définissent hors de leur territoire. Et Nazir utilise leur haine pour construire la sienne, mais surtout déployer sa révolte. Pour s’imposer au monde.
« Les plus civilisés des hommes, les plus parfaits sauvages »
Chacun donc se construit isolé, pourtant persuadé d’être au cœur du monde. La France paraît ici bien petite, recluse, prête à mordre pourtant à l’image de ces araignées cachées, tapies, qui n’attendent que le bon moment pour sortir un venin trop longtemps contenu. Parce qu’à force d’attendre des séries comme Les Sauvages pour donner la parole (et encore, étouffée, car beaucoup la trouvent trop « clichée ») à ceux qui crient depuis bien trop longtemps ou baissent la tête par crainte d’être ciblés, le risque est grand. Nous nous trouvons face à des objets certes imparfaits, mais qui nous renvoient un miroir bien trop proche de notre société, que nous préférons croire déformant, dystopique. Encore une fois, en hommes qui se croient civilisés, nous refoulons un pan entier de nous-mêmes, notre part « sauvage » et n’exultons devant la série qu’aux premières notes d’un générique tiré des Indes Galantes. Une musique à la fois classique, précieuse, mais qui réveille des envies de danse effrénée, de corps qui se lèvent et qui se frottent enfin au monde, en l’acceptant bien loin de nos rêves.
Bande annonce : Les Sauvages
Les Sauvages : Fiche technique
Réalisateur : Rebecca Zlotowski
Scénario : Rebecca Zlotowski, Sabri Louatah, Benjamin Charbit, David Elkaim
Interprètes : Roschdy Zem, Dali Benssalah, Sofiane Zermani, Marina Fois, Amira Casar, Souheila Yacoub, Shaïn Boumedine, Carima Amarcouhe
Compositeur : Rob
Sociétés de production: La Compagnie des phares et balises, Scarlett Production
Distribution : Canal Plus, 6 épisodes de 50 minutes diffusés depuis le 23 septembre 2019