Durant l’adolescence, l’envie générale est d’être accepté par les autres, et plus généralement, de rentrer dans certaines normes pour éviter l’exclusion. Mais comment faire lorsque notre personne ne rentre dans aucun moule ? C’est ce que Rachel Earl, héroïne de Journal d’une ado hors norme essaiera de faire malgré ses divers handicaps. Retour sur une série trop peu connue mais ayant traité avec justesse le sujet des troubles mentaux.
Journal d’une ado hors norme ou My Mad Fat Diary, est une série anglaise réalisée par Tim Kirkby qui a travaillé sur les séries Grace & Frankie et Brooklyn Nine-Nine. Le second réalisateur est Benjamin Caron qui a réalisé des épisodes de la série Skins. Nous retrouvons Tom Bidwell et George Kay au scénario, adapté du roman éponyme de Rae Earl : My Fat, Mad Teenage Diary. Celle-ci est diffusée par la chaîne britannique E4.
L’histoire commence le 10 juillet 1996, lorsque Rachel Earl dite « Rae » rentre chez elle à Stamford, dans le Lincolnshire en Angleterre. Elle vient de quitter l’hôpital psychiatrique dans lequel elle a été internée pendant quatre mois. Elle rencontre en chemin son amie d’enfance Chloe qui l’invite à socialiser avec son groupe de gens « cools ». Rae essaie alors de retourner dans un environnement autre que celui de l’institut en faisant avec les troubles qui la handicapent, tâchant de se reconstruire.
Un rapide mot sur le casting qui est excellent : Rachel est interprétée par la splendide actrice écossaise Sharon Rooney qui a gagné un BAFTA pour son interprétation en 2015, sa mère Linda, est interprétée par Claire Rushbrook, le rôle de Chloe est tenu par l’excellente Jodie Comer que nous pouvons retrouver dans la série britannique The White Princess. Les membres du groupe d’amis, sont eux interprétés par Dan Cohen, dans le rôle d’Archie, Nico Mirallegro dans le rôle de Finn Nelson, Ciara Baxendale tient le rôle d’Izzy et Chopp est interprété par Jordan Murphy.
Un ton juste et rafraichissant
Dès l’épisode-pilote, le ton utilisé apparaît comme juste. Il est rafraîchissant. De fait, ce qui rend cette série incontournable est l’exactitude des émotions des personnages principaux, c’est-à-dire Rae et les gens qui lui sont proches et ayant connaissance de ses troubles mentaux. La fraîcheur de Rae tient en sa spontanéité et sa narration si ouverte des choses qui lui arrivent: les crises d’hyperphagie, les attaques de panique, les larmes qu’elle refoule et cache sous un masque d’insolence.
Cela tient au fait qu’elle rédige un journal intime qui lui permet d’extérioriser ce qu’elle cache de plus intime. Et cela nous est offert, à nous, spectateurs dans une nudité crue. Elle y parle de ce qui lui fait du bien, comme de ce qui la blesse, ses chagrins d’amour, mais aussi amicaux, ses deuils, ses peurs de l’œil d’autrui lorsqu’il se pose sur son corps et le jugement qui l’accompagne. Plusieurs scènes de la série sont fortes en émotion, et se composent d’une image symbolique qui touchera profondément le spectateur. Cette métaphore, sera généralement accompagnée d’une bande-son adéquate, composée d’excellents groupes de Rock et de Pop mais aussi de Dance des années 90: Radiohead, Oasis, The Verve, The Chemical Brothers, No Doubt, The Cardigans, The Cure ou Depeche Mode pour ne citer que les plus connus.
Une scène mémorable présente Rae, énormément complexée par son poids, qui dézippe son corps pour qu’une doublure plus mince et séduisante d’elle en sorte. Lorsqu’elle retire cette peau, qui la gêne et parfois même l’horripile, est montrée sans visage. Cette séquence a un fort pouvoir émotionnel sur le spectateur qui s’identifie à la jeune fille, car le visage est anonyme. Le spectateur à ce moment-là partage sa pensée la plus intime : celle d’une jeune fille qui sous autant de colère et de répondant cache vulnérabilité et insécurité. Mais parfois, certaines incrustations hilarantes accompagneront les scènes, comme des ratures, des bombes, des insultes, révélant l’état d’esprit du personnage.
L’évolution de Rachel à travers les épreuves de la vie et de la maladie
Les diverses expériences par lesquelles passe Rae dans la série sont constructives : elle a des dates, s’éveille à la sexualité, connaît des déceptions comme de bonnes expériences amoureuses, teste ses limites. C’est intéressant de voir que ses troubles ne l’empêchent pas de vivre des expériences comme les autres. Elle apprend en faisant des choix, bons comme mauvais en mettant son égo de côté, en comprenant que parfois aimer une personne c’est aussi la laisser partir, en élargissant son entourage, en apprenant à respecter les choix des autres : Rachel s’éduque en faisant des erreurs.
Cette liste a été intéressante à établir car le personnage part d’une situation initiale où dans le premier épisode, après une quarantaine de minutes à attendre sa mère dans la rue, celle-ci veut déjà revenir à l’hôpital, à un personnage plus audacieux et à l’aise avec ce qui fait sa particularité en société, du moins avec ses proches. Rae, en sortant de l’hôpital, a tout eu à réapprendre, de son rapport avec les autres, à son rapport avec elle-même. De fait, l’hôpital fait office d’espace de sûreté pour la jeune fille, il n’y a que là où elle ne se sent pas hors norme. Malheureusement, guérir veut aussi dire sortir de sa zone de confort, apprivoiser l’inconnu et accepter que l’extérieur prenne conscience de notre existence.
Les thèmes de la série Journal d’une ado hors norme
Les thèmes majeurs de My Mad Fat Diary sont plutôt simples et servent de toile de fond à une multitude d’autres thèmes mineurs. Ils s’attaquent au long processus de guérison des troubles mentaux et des troubles du comportement alimentaire et l’acceptation de soi, tout autant que l’anxiété et la peur du rejet. De fait, le constat alarmant est que les personnes qui ont des troubles du comportement alimentaire sont malades à l’intérieur comme à l’extérieur à cause de la pression permanente à contrôler leur image et leur corps. Ces états peuvent amener au pire.
Inséparables de la thématique du suicide, la propre expérience de Rae amène le spectateur sensible à ce sujet à reconsidérer l’idée que cela pourrait le libérer. Le suicide apparaît comme un acte neutre, castré de toute morale, il est juste dépeint comme le résultat de souffrances multiples sur l’entourage et non comme la fin d’un calvaire pour soi, mais le début d’un calvaire pour les autres, ceux qui tiennent à nous. C’est le classique adage: « d’une solution permanente à un problème temporaire ». Ce parti pris est intelligent dans la mesure où la série est regardée par des adolescents, une population susceptible d’avoir eu ce genre d’idée pour beaucoup plus de raisons qu’on pourrait le croire. Cette façon d’aborder le thème évite de culpabiliser ces jeunes spectateurs. C’est une façon plus compréhensive que de blâmer ces pensées.
Au fil de la série, Rae devra apprendre à s’aimer comme elle est, aussi « voyant » qu’elle trouve son physique, ou aussi peu attirant. Elle devra intérioriser que ce qui fait son charme pour beaucoup est ce qu’elle est en entier, physique et personnalité compris. Et là aussi, la série est belle puisqu’elle ne prend pas le parti de la beauté intérieure comme seul exutoire des individus dont le physique ne correspond pas aux normes. On peut les trouver beaux à l’extérieur et leur personnalité ne fait que sublimer le tout, malgré tout ce que la culture et les diktats de la minceur suggèrent en permanence.
Il y a aussi des thèmes mineurs mais tout aussi intéressants lorsqu’on a cette toile de fond comme la jalousie et la toxicité en amitié, la découverte de la sexualité lorsqu’on a des complexes, les familles recomposées, l’avortement… Ces thèmes mineurs sont comme un fil conducteur. Par exemple, la jalousie de Rae est intimement liée à la façon dont elle-même se perçoit. Ainsi, c’est à cause de ses insécurités qu’elle se comportera mal avec Chloe par exemple ou avec Finn et même avec son beau-père, puisqu’elle pense qu’il monopolise l’attention entière de sa mère.
Un personnage qui n’est pas dénué de défauts
Mais Rae n’est pas non plus dénuée de défauts et peut se révéler exaspérante, voire insupportable. Elle est blessante avec sa mère, extrême dans ses propos, s’excuse moins souvent qu’elle le devrait et se montre même foncièrement égoïste voire mauvaise avec des individus dont elle jalouse le bonheur. Karim son beau-père et Chloe sa meilleure amie en font les frais. Mais celle à plaindre reste la mère de Rae que sa fille mettra devant des faits plutôt compliqués et à qui elle dira maintes fois des mots durs et très crus. De fait, Rae est si autocentrée sur sa propre douleur qu’elle n’exprime qu’à travers de la colère et de la rage, qu’elle oublie que devant elle se tiennent aussi des individus ayant des insécurités comme elle. Elle compense cela par un langage tranchant comme une lame et une pensée beaucoup trop arrêtée. Néanmoins, cela reflète juste l’adolescente qu’elle est. L’égoïsme de Rae est un égoïsme d’enfant. Elle devra d’ailleurs apprendre à penser aux autres pour mener sa propre barque et ne plus voir son entourage souffrir de ses décisions.
Une narration simple et échappant aux codes des séries actuelles
Le format de la série est aussi intéressant, puisqu’il n’y a que 16 épisodes partagés en 3 saisons. Ceux-ci sont suffisamment longs pour que la trame narrative soit équilibrée, sans fin expéditive, et ne repose pas sur le principe de la rallonge pour faire plaisir au spectateur, mais bien pour raconter correctement une histoire. Les trois saisons sont l’introduction, le développement et la conclusion d’une période de la vie de Rae : son adolescence clairement trouble au début, qui n’est pas exempte de remous au cours de l’histoire, mais qui connaît de meilleurs horizons à la fin.
Ici donc, pas de personnage mis en avant plus qu’un autre pour son physique ou son charisme ou parce qu’il plaît au public, et pas d’arc narratif créé exprès pour faire durer un suspens qui n’a pas lieu d’être. De fait, il est si agréable de voir une production échapper aux lois du marché actuel ! La série se clôt après ces trois saisons en 2015, sur une fin ouverte et optimiste pour les personnages. Ceux-ci en sortent grandis et sereins, après avoir affronté des épreuves complexes mais impossibles à contourner.
Journal d’une ado hors norme n’est pas une série parfaite, mais elle a le mérite d’avoir ouvert une brèche dans le monde du cinéma à une représentation moins superficielle et caricaturale des troubles mentaux et de ceux qui les subissent. La série est un safe space, elle aborde des sujets dérangeants pour les adolescents et les jeunes adultes sans jugement. Elle est à juste titre une excellente expérience sérielle.
Rien ne peut vraiment lui être reproché, pas même sa fin, elle est bien au contraire suffisamment réaliste et terre-à-terre, en ne promettant rien, mais en donnant un peu d’espoir pour la suite, nous expliquant que tout dépendra de la volonté de l’héroïne : Rachel Earl. Selon les mots de Rae elle-même, nous n’avons pas à chercher la validation de qui que ce soit, juste à être prêt à affronter n’importe quelle épreuve qui se présentera à nous.
Fiche technique :
Réalisateurs : Tim Kirkby, Benjamin Caron
Scénariste : Tom Bidwell, George Kay d’après l’oeuvre de Rae Earl My Mad Fat Teenage Diary
Casting : Sharon Rooney, Jodie Comer, Nico Mirallegro, Claire Rushbrook, Jordan Murphy, Sophie Wright, Ian Hart, Ciara Baxendale
Générique : One to Another, The Charlatans
Saisons : 1 x 6 épisodes ; 2 x 7 épisodes ; 3 x 3 épisodes
Diffusion: 2013 à 2015