Real, un film de Kiyoshi Kurosawa : Critique

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Il est heureux de constater que les auteurs japonais contemporains, qu’ils soient issus de la littérature ou du cinéma, aient su renouveler avec brio l’extraordinaire et foisonnant héritage de leurs prestigieux aînés. Cette tradition nous a apportée des artistes inoubliables tels que Ozu, Mizoguchi, Wakamatsu ou Kurusawa, cinéastes parmi les plus importants et faisant parti des mêmes légendes que Welles, Fellini, Godard, Kazan et tant d’autres.

Les écrivains ne sont pas en reste et demeurent essentiels dans la créativité et le rayonnement international de l’archipel nippon. La fureur et les brillants esprits de ces artistes ont su dénoncer et revendiquer avec une ferveur passionnante l’histoire de leur pays. De L’Empire militariste au système féodal jusqu’au mythe de L’Empereur comme figure mystique et intouchable, des Yakuzas comme solution sociale en réponse à la corruption et l’inertie de la politique jusqu’à l’occidentalisation de l’archipel prônant l’économie de marché pour retrouver son statut de super puissance mondiale. Ces prises de positions leurs ont valus moult réprimandes ,parfois violentes, mais ne les a jamais empêches de poursuivre le combat.

Kyoshi Kurosawa, descendant directe de cette prestigieuse lignée, perpétue cet état d’esprit avec son propre univers si singulier. S’inscrivant dans une lutte contre les institutions, il fait de sa filmographie un tract militantisme mais n’en fait pas pour autant preuve de prosélytisme. Son but va au delà du simple constat d’une déchéance morale de la société. Son précédent diptyque nous entraînait dans une superbe élaboration fantastique et psychologique d’un japon replié sur ses peurs. Celui-ci, moins recherché sur la forme car plus fouillis, reste très intéressant dans sa description d’une jeunesse perdue dans ses illusions.

Son remarquable travail sur l’utilisation des contrastes entre le réel et l’imaginaire reste perceptible et on retrouve avec bonheur sa marque de fabrique. Ces personnages sont englués dans une vie parallèle qui leur sert de refuge face à une réalité dérangeante. Le jeune homme, perdu dans son morne quotidien de mangaka ayant abandonné toute inspiration, réinvente sa propre histoire en sauveur de l’âme de sa petite amie disparue dans un suicide incompréhensible. La première heure est vraiment passionnante de mystères et de traumas enfouis au plus profond de cet être errant. Comment survivre dans un monde déshumanisé ou l’effort devient mortel ? Quelle protection ériger contre une sordide réalité ? Le pouvoir de l’imagination, aussi fantastique soit il est-il à même de nous préserver ? Le blanc, couleur de l’éternel, revient sans cesse comme motif visuel scénaristique. Il tapisse les murs des habitations, longues et hautes demeures perdues au sein d’une ville fantôme. Il habille les blouses des infirmiers, troublantes métaphores d’humains dévitalisés guidant ces amoureux vers une renaissance plus qu’incertaine, spécialement cette infirmière au regard empathique mais terrifiant. Les morts, s’échappant de cet univers parallèle comme pour prévenir de son danger, sont un premier indice d’un retournement de situation inattendue. Nous bifurquons alors dans une deuxième partie plus confuse ou de nouvelles découvertes sont en partie responsables d’une attention décroissante.

En effet, ce mélange d’allers retours permanents entre leurs deux esprits s’avère quelque peu source d’incompréhension. Ce flou nous oblige à renouer le fil de l’histoire entière et peut laisser perplexe quand à la pertinence de ces sous intrigues. Ce qui était au début une belle réflexion sur la perte d’identité et sur le rôle essentiel du psychisme dans notre construction mentale se transforme alors en un vain jeu de piste aux ramifications pour le moins perturbantes. Ce n’est qu’au fur et à mesure de la progression de cette narration alambiquée que nous comprenons la nécessité de cette digression. La mémoire est sélective mais la mauvaise conscience nous rattrape toujours, nous ne pouvons l’éradiquer. La plongée dans le subconscient, le souvenir de cette rivalité entre deux gamins aux conséquences tragiques, le refoulement des sentiments éprouvants ne peuvent pas s’effacer de notre cerveau, ce puissant organisme cérébral constitutif de notre humanité. Quand ils auront enfin compris la signification de ce dessin enfantin, l’épreuve traversée n’en sera que plus forte. L’amour les sauvera d’un funeste destin mais la mort ne sera jamais loin, signe que les actes malsains doivent absolument se payer.

Si Real, ce conte fantasmagorique n’est pas aussi abouti qu’espéré, on en retient surtout une incroyable démonstration de force du talent de ce metteur en scène décidément habile à nous faire voyager dans des contrées souvent explorées mais sans cette subtilité qui lui est propre. L’habillage onirique du gothique se marie parfaitement à un ancrage de vérité, lui conférant cette touche si spéciale. Et les acteurs servent au mieux cet aspect, en faisant une vraie réussite.

Synopsis: Atsumi, talentueuse dessinatrice de mangas, se retrouve plongée dans le coma après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Son petit-ami Koichi ne comprend pas cet acte insensé, d’autant qu’ils s’aimaient passionnément. Afin de la ramener dans le réel, il rejoint un programme novateur permettant de pénétrer dans l’inconscient de sa compagne. Mais le système l’envoie-t-il vraiment là où il croit ?

Fiche Technique : Real (Riaru : Kanzen naru kubinagaryû no hi)

Japon – 2013
Réalisation: Kiyoshi Kurosawa
Scénario: Kiyoshi Kurosawa, Sachiko Tanaka d’après le roman, «Un Jour Parfait pour le Plésiosaure» de Rokuro Inui
Interprétation: Takeru Satô (Kôichi Fujita), Haruka Ayase (Atsumi), Jô Odagiri (l’éditeur), Shôta Sometani (l’assistant), Yutaka Matsushige (le père d’Atsumi), Kyôko Koizumi (la mère de Kôichi)…
Distributeur: Version Originale/Condor
Date de sortie: 26 mars 2014
Durée: 2h07
Genre: Romance, Fantastique
Image: Hidenori Nagata
Décor: Mami Ishida
Son: Shinji Watanabe
Montage: Takashi Sato
Musique: Akiko Ashizawa
Producteur: Takashi Hirano, Atsuyuki Shimoda
Production: Tokyo Broadcasting System Television, Inc.