Une association assez improbable de différents talents du cinéma donne naissance à La Grande Menace, un film catastrophe atypique. Plus sobre et humain que les œuvres du genre, il dresse un portrait saisissant de son époque.
Les années 1970 ont vu passer beaucoup de modes, en particulier celle des films catastrophes. Tremblements de terre, échouements de navires, catastrophes nucléaires ou attaques animalières, les itérations de ce genre fécond furent diverses. Un sous-genre en fut le récit de catastrophes provoquées par des personnes possédant des pouvoirs surnaturels, alors peu répandu au cinéma. C’est ainsi que l’on vit défiler La Malédiction de Richard Donner et son enfant instrument du démon provoquant diverses morts violentes, Holocaust 2000 d’Alberto de Martino, où Kirk Douglas y affrontait une nouvelle version de l’Apocalypse selon Saint-Jean, ou encore l’australien Patrick de Richard Franklin, qui voyait un jeune comateux provoquant accidents et meurtres. C’est de ce dernier que se rapproche La Grande Menace, adapté d’un roman de Peter Van Greenaway, spécialisé dans le thriller horrifique. Cette adaptation verra une association improbable d’acteurs et se forgera une réputation culte particulière.
Un projet atypique par sa conception et son équipe
Si le film n’est pas unique en son genre, il demeure atypique de par son origine. En effet, coproduction franco-britannique, il voit notre cinéma national s’emparer d’un thème fantastique assez rare mais aussi l’association atypique de deux monstres sacrés : l’italien Lino Ventura, star chez nous des Tontons Flingueurs ou Les Barbouzes, plutôt éclectique mais peu habitué au fantastique, pour le rôle de l’inspecteur Brunel, et le britannique Richard Burton, héros de Cléopâtre ou Quand les aigles attaquent, plutôt connu pour ses films de guerre et fresques historiques, comme interprète de John Morlar, l’antihéro du film doté de pouvoirs télékinésiques. Le choix de Lee Remick dans le rôle du docteur Zonfeld paraît plus cohérent, l’actrice ayant déjà participé à La Malédiction en tant que femme de Gregory Peck. Le métrage est réalisé par Jack Gold (Le Tigre du Ciel, Le Petit Lord Fauntleroy) et scénarisé par John Briley (Gandhi, Crying Freedom). Ainsi, on peut dire que les participants sortent de leur zone de confort pour se frotter à un genre inhabituel pour eux. Le film est tourné à Londres ainsi qu’à Bristol, Berkshire et Kent, en avril et mai 1977. Richard Burton ne tourne que trois semaines pour enchaîner aussitôt après avec le tournage des Oies Sauvages d’Andrew V. McLaglen. Le film sort en France le 22 novembre 1978. Il est à noter que la version anglaise est plus longue de quelques minutes par rapport à la française, du fait de coupes dans quelques séquences sanglantes lors de la scène de catastrophe finale. Il s’agit d’une situation exceptionnelle, puisque la censure française est normalement moins stricte que son homologue anglaise.
Relativement méconnue du grand public, l’œuvre a cependant un certain statut culte parmi les cinéphiles, ce qui est largement justifié par son sujet et son approche.
Un film catastrophe sans catastrophe
Le film est à la limite de plusieurs genres : thriller, fantastique, horreur, catastrophe. Ce dernier apparaît d’ailleurs assez peu, essentiellement dans les dernières minutes qui se terminent sur une scène de destruction d’une cathédrale. Une des rares scènes de destruction qui arrive en apothéose d’une histoire tendue par un suspens angoissant. Il faut aussi ajouter la scène d’un avion de ligne s’écrasant contre un immeuble, qui semble préfigurer, plus de vingt ans à l’avance, les attentats du 11 septembre 2001.
La narration du film est assez particulière puisqu’elle entremêle les scènes d’enquête de l’inspecteur Brunel à des flashbacks relatant la vie passée et les méfaits de John Morlar, ces derniers montant en crescendo dans la gravité et la violence (même si celle-ci est largement suggérée). Se basant sur un rythme posé, le film mélange ainsi habilement l’enquête policière et la thématique surnaturelle tout en instaurant une gradation dans le danger et la violence. Il utilise aussi beaucoup la symbolique, et ce dès les premières minutes par le biais d’un tableau représentant Le Cri d’Edvard Munch. Peu après, un autre tableau représente la fameuse Méduse, terrifiant monstre de la mythologie grecque qui donne son titre original au roman et au film.
Le scénario s’inscrit bien dans le ton pessimiste, désabusé et passablement misanthrope de son époque. En plein contexte de contestation pacifiste, de prise de conscience écologiste et de manque de confiance dans les gouvernements, on voit illustrées toutes ces thématiques au travers du personnage de Morlar qui veut y apporter une réponse radicale. Ce dernier est une personnalité à part. Très éloigné du caractère démonique de Damien, il est en fait un être humain ordinaire qui cumule les mauvaises expériences avec ses contemporains, ne trouve pas sa place dans une société qu’il ne comprend pas, et en arrive ainsi à une détestation de l’humanité qu’il condamne aux gémonies. Rappelant fortement le protagoniste de Patrick de Richard Franklin, il est cependant plus radical et politisé, collant une fois de plus au contexte de l’époque. Le grand Richard Burton rend très bien ce portrait d’un homme d’abord pathétique et émouvant, qui ne parvient pas à trouver sa place en société, avant de se transformer en véritable meurtrier de masse par la pensée, virant dans la folie misanthrope. Face à lui, Lino Ventura excelle également en inspecteur de police calme et posé, d’abord très cartésien, avant de se laisser convaincre par l’existence des pouvoirs extraordinaires de Morlar. Sombre et pessimiste dans son ensemble, le film se termine même de manière tragique si l’on en croit les dernières images annonçant une nouvelle catastrophe future.
Ainsi, nous n’avons pas ici affaire à un simple phénomène naturel meurtrier mais bien à l’action d’un homme désespéré qui se retourne contre ses semblables, ce qui confère au long-métrage un aspect tragique. Il s’agit de la tragédie d’un homme qui engendre une catastrophe humaine collective, par un acte vengeur explicable mais indéfendable. Le film a d’ailleurs l’habileté de ne pas formuler de condamnation explicite ni de faire de Morlar un agent du mal, simplement un être humain pathétique et aigri, prisonnier de ses frustrations. Un traitement assez subtil apportant une touche supplémentaire d’originalité à une œuvre sobre qui mérite largement d’être redécouverte.
Bande-annonce : La Grande Menace
Fiche Technique : La Grande Menace
Titre original : The Medusa Touch
Réalisation : Jack Gold
Avec Richard Burton, Lino Ventura, Lee Remick…
Assistants-réalisateurs : 1) Derek Cracknell / 2) Richard Jenkins
Scénario : John Briley d’après le roman The Medusa Touch (non traduit en français) de Peter Van Greenaway (en), Éditions Gollancz, Londres, 1973, 255 pages, (ISBN 9780575017023)
Musique composée et dirigée par : Michael J. Lewis
Directeur de la photographie : Arthur Ibbetson
Cadreur : Freddy Cooper
Décors : Peter Mullins, assisté de John Siddall
Ensemblier : Jack Stephens
Costumes : Elsa Fennell
Montage : Anne V. Coates & Ian Crafford, assistés de John Nuth et Jeremy Hume
Effets spéciaux : Brian Johnson
Son : Ivan Sharrock
Perchman : Ken Weston
Scripte : Penny Daniels
Casting : Irene Lamb
Chef cascadeur : Eddie Stacey
Producteurs : Sir Lew Grade, Elliott Kastner & Arnon Milchan
Société de production : Coatesgold, ITC Entertainment, Bulldog Productions, Citeca Films
Sociétés de distribution : Carlton International (Grande-Bretagne), Warner Bros. (USA)
Durée : 105 minutes
Sortie en France : 22 novembre 1978
Genre : thriller, fantastique, drame