C’est par sa fascination d’un film télé, sorti en 1975, La Poupée de la terreur, que Tom Holland avoue n’avoir jamais été aussi effrayé. C’est à partir de ce moment qu’on lui a proposé Jeu d’enfant, un projet qu’il a pris à bras-le-corps en y ajoutant l’histoire d’un tueur introduit dans l’âme d’une poupée. Par cette imprégnation, il a réalisé un long métrage sur la relation intime d’une poupée tueur avec un enfant. Le premier épisode d’une saga à succès, souvent considéré comme le meilleur, le plus suggestif, le plus proche de l’épouvante, pour un résultat technique et filmique qui, avec du recul, devant la difficulté logistique, impose le respect. Une réussite aussi innovante que véritablement terrifiante grâce à l’importance toute particulière accordée aux différents développements psychologiques des personnages.
Incantation vaudou, transfert d’âme, fascination et répulsion irrésistibles, rejet mental d’un objet du quotidien qui s’anime, poupée de chair et de sang avec humanisation progressive, psychologie enfantine, croyance naïve, Jeu d’enfant a tout d’un film de série B qui sait s’affranchir du format d’un genre pour trouver sa place parmi les plus grands. Récit d’épouvante, de suspens, au pouvoir d’évocation immense : voici une œuvre qui ne tombe jamais dans le grotesque, la bouffonnerie, en multipliant des séquences assez graphiques, impressionnantes, marquantes, subjuguantes, potentiellement traumatisantes, particulièrement cinégéniques et qui sont toutes encore inégalées à ce jour dans la saga.
Malgré quelques facilités évidentes, le scénario favorise une succession de scènes qui évitent quasi systématiquement les écueils du film gore, anatomique, artériel et viandard. Le cadre s’impose dès les premières images avec un Brad Dourif épatant, jouant Charles Lee Ray, l’étrangleur. Le personnage est instantanément terrifiant quand, en train de mourir, il s’en prend verbalement en hurlant au policier qui le traque (Chris Sarandon, très bien désigné pour le rôle)… avant d’user de ses connaissances en sciences occultes pour transposer son âme à l’intérieur d’une poupée du magasin de jouets, dans lequel il se trouve.
Le mythe prend alors naissance. Andy, 6 ans – joué par l’étonnant Alex Vincent, authentiquement touchant et crédible – sera le petit garçon qui recevra la poupée en cadeau. Ce contact enclenchera une intimité, un rapprochement malsain, un lien dérangeant, qui consiste à faire de cet enfant celui qui recueille les confidences secrètes dans son lit de la part du jouet tueur. Cette naïveté, cette crédulité typique de cet âge, cette incapacité à se rendre compte de ce qui est réel et naturellement irréel, possible et normalement impossible, est le réceptacle d’une innocence qui est en danger, d’une enfance qui sera corrompue, avec un cocon familial qui finira temporairement éclaté.
Sur la forme, Jeu d’enfant use d’abord habilement de la steadicam, pour adopter le point de vue subjectif de Chucky quand il se déplace, avant d’exploiter plusieurs astuces en étant chaque fois adapté et saisissant : personne de petite taille afin que les mouvements soient réalistes (Ed Gale, courageux puisqu’il s’est immolé pour une scène sans être cascadeur de métier), poupée classique et surtout animatroniques pour mettre en avant un visage en plastique articulé au design particulièrement horrifique (un choix judicieux qui fait vivre de véritables objets de cinéma).
La bande son de Joe Renzetti, quasi exclusivement atmosphérique, joue de l’étrange avec des cordes parfois stridentes, toujours à propos et circonstanciées.
La topographie est aussi idéale grâce à son urbanisme infect (celui de Chicago), avec ses ruelles sombres, funèbres, caractéristiques, malfamées et typiques des années 80.
Citons deux scènes particulièrement mémorables, garanties sans une goutte d’hémoglobine. D’abord Andy, enfermé dans sa chambre en hôpital psychiatrique, voyant Chucky par la fenêtre monter les escaliers au loin, et qui s’écroule en pleurant, disant qu’il est venu pour le tuer. Ensuite, plus original, quand sa mère, commençant à croire à l’histoire de son fils, ne sachant plus si elle est seule chez elle, somme la poupée de parler, la menaçant de la brûler dans la cheminée après s’être rendu compte que cette dernière fonctionnait sans pile.
Un des autres atouts du film, lui conférant une identité assez unique, est le traitement attribué à la mythologie vaudou, exposée de manière remarquable et pertinente. La résidence de Charles Lee Ray, montrée comme l’antre du tueur, nous dévoile des fresques murales iconiques très réussies, entièrement dévouées au culte du Dieu Damballa.
La dernière partie du film est un véritable bouquet final, qui met à l’honneur des effets spéciaux recherchés, au sommet de ce qui se faisait à l’époque.
Ne reste alors que le visage du petit garçon derrière une porte entrouverte, ne pouvant s’empêcher de regarder une dernière fois la tête calcinée et décapitée de la poupée, marqué pour la vie par cette expérience traumatisante, victime d’un viol psychologique, d’une atteinte à son intégrité psychique.
Psychiatrie, enfance, parentalité, maternité, poupée, deuil, vaudou, enquête, indécision, suggestion, surnaturel : le champ lexical du film évoque une réussite qui est de l’ordre du premier degré, de la psychose, générant une phobie jamais écœurante, surtout glaçante, presque stupéfiante, paralysante, qui fonctionne à travers des aspects horrifiques épurés, privilégiant avant tout l’effroi et l’épouvante. Une œuvre majeure, un bijou noir et macabre, qui accessoirement met en avant une certaine idée du cinéma artisanal, et dont l’antagoniste est devenu unique en son genre.
Le réalisateur refusera de tourner la suite, à cause d’un scénario, qui n’a, selon lui, « aucunes ramifications psychologiques ».
Bande-annonce : Jeu d’enfant
Fiche Technique : Jeu d’enfant
Synopsis : Pour ses six ans, Andy Barclay est comblé, sa mère lui fait cadeau d’une poupée parlante, joufflue à souhait nommée Chucky. Andy est fou de sa poupée et lui seul connait son secret. Chucky sait faire bien des choses, elle est même capable de tuer...
- Titre original : Child’s Play
- Titre français et québécois : Jeu d’enfant
- Réalisation : Tom Holland
- Scénario : Don Mancini, John Lafia et Tom Holland
- Musique : Joe Renzetti
- Photographie : Bill Butler
- Montage : Roy E. Peterson et Edward Warschilka
- Décors : Daniel A. Lomino (en)
- Costumes : April Ferry
- Production : David Kirschner, Laura Moskowitz, Barrie M. Osborne et Elliot Geisinger
- Société de production : United Artists
- Distribution : United Artists
- Pays d’origine : États-Unis
- Format : Couleurs – 1,85:1 – Dolby – 35 mm
- Genre : horreur, slasher, fantastique
- Langue originale : anglais
- Budget de production (estimation) : 9 000 000 $1
- Durée : 87 minutes
- Dates de sortie : États-Unis : 9 novembre 1988 ; France : 5 avril 1989 ; Royaume-Uni : 2 juin 1989
- Interdit aux moins de 12 ans lors de sa sortie en France
- Catherine Hicks (VF : Anne Rondeleux) : Karen Barclay
- Chris Sarandon (VF : Bernard Lanneau) : Détective Mike Norris
- Alex Vincent : (VF: Axel Schacher) : Andy Barclay
- Brad Dourif (VF : Éric Etcheverry) : Charles Lee Ray / Chucky (voix)
- Dinah Manoff : Maggie Peterson
- Tommy Swerdlow (VF : Luc Florian) : Jack Santos (Mario)
- Jack Colvin (VF :Jean-Pierre Delage) : Dr. Ardmore
- Neil Giuntoli : Eddie Caputo
- Juan Ramírez (VF : Marc Alfos) : Le SDF colporteur
- Alan Wilder (VF : Patrice Dozier) : Mr. Criswell
- Richard Baird : Le journaliste
- Raymond Oliver (VF : Pascal N’Zonzi) : John Simonsen (Dr. Death)
- Aaron Osborne : L’aide soignant
- Edan Gross (VF : Odile Schmitt) : voix « gentille » de Chucky, poupée Brave Gars dans les publicités
- Tyler Hard : Mona
- Ted Liss : George