bloody-sunday-critique-ninja-scroll

Bloody Sunday #7 – Ninja Scroll de Yoshiaki Kawajiri

Maxime Thiss Responsable Festival

Parce que la Japanimation ce n’est pas que Miyazaki, Bloody Sunday a décidé cette fois-ci de faire honneur à un grand nom du genre, Yoshiaki Kawajiri. Adepte d’histoires peuplées de démons, de sexe et de membres découpés, l’une des têtes du studio Madhouse obtient la reconnaissance grâce à son film d’époque où un rônin se voit affronter une horde de démons, Ninja Scroll.

Après avoir fait un tour dans plusieurs pellicules sordides, il était temps de faire une petite pause et de s’attarder un peu sur le cinéma d’animation. Mais attention, on reste dans Bloody Sunday donc pas question de parler des petits contes à la Ghibli. Non, il nous faut de l’animation qui tâche et qui fait jaillir des fontaines de sang. Pour ça rien de mieux que de plonger dans la filmographie d’un auteur majeur de la japanime (bien que trop méconnu en France), Yoshiaki Kawajiri. À l’image d’un Satoshi Kon qui a su offrir de l’animation adulte profonde et déstabilisante, notamment au travers de son chef d’oeuvre schizophrénique Perfect Blue, Yoshiaki Kawajiri a su créer au détour de quelques titres phares une patte bien à lui, nous plongeant dans des univers matures, sanglants et sexualisés. Ce n’est d’ailleurs pas Ninja Scroll, le film à l’honneur ici qui va nous faire dire le contraire. Tête de proue du studio Madhouse, qui donnera également naissance aux oeuvres de Satoshi Kon, Kawajiri se fait connaître dans un premier temps au Japon avec Wicked City. Un premier essai nous emmenant dans un monde tiraillé entre humains et démons ponctué d’ultra violence et de scènes de sexe. Cependant, c’est après s’être encore fait la main sur quelques OAV, qu’il accouche en 1993 de l’oeuvre qui le fera exploser à l’international, Ninja Scroll.

Réalisateur, scénariste, responsable du chara-design, Kawajiri a la complète main-mise sur son nouveau bébé. Encore une fois il dépeint un univers où les humains et les démons s’affrontent mais décide de placer son histoire sous l’ère Edo. Suivant le rônin solitaire Junbei, Ninja Scroll ne brille pas forcément par la complexité de son scénario. Il suit même un schéma tout ce qu’il y a de plus basique. Après s’être frotté à un des huit démons de Kimon, Junbei se retrouve entraîné avec une jeune ninja au corps empoisonné répondant au nom de Kagero, par un vieillard pour mettre fin aux agissements des démons. Si le cheminement est ponctué de quelques surprises, notamment par rapport au passé de Junbei, il va avant tout être composé d’affrontements sanguinaires entre Junbei/Kagero et les différents démons. Et forcément c’est à ce niveau que le dessin de Kawajiri va faire des miracles. On peut souligner dans un premier temps, le chara-design varié et très soigné des différentes protagonistes, que cela soit le charisme de Junbei ou le mélange de fragilité et de badassitude de Kagero, mais également le panel très riche qu’il nous offre au travers des huit démons. Chacun ayant une spécialité allant du gros colosse de pierre Tessaï à l’experte en explosif Zakuro en passant par le démon des ombres Shijima, Kawajiri leur insuffle un côté iconique dès leur première apparition, témoignant de la grande menace qu’ils incarnent.

Cela est d’autant plus fort que chacun des démons n’a malencontreusement que très peu de temps d’apparition à l’écran, la plupart se faisant évincer de manière assez rapide. Pour autant, cela n’empêche pas Kawajiri de marquer le coup au travers de combats très divers faisant intervenir à chaque fois des mécaniques très différentes se répercutant sur le pouvoir particulier du démon. Tout cela donne un aspect très ludique à Ninja Scroll, dont l’évolution se calque sur le jeu vidéo. Le spectateur progresse ainsi en compagnie de Junbei dans sa quête face aux démons, croisant leur chemin au fur et à mesure. Tel des boss de fin de niveau, les ennemis surgissent avec leurs capacités particulières. À la manière d’un Metal Gear Solid, où Kojima rivalise d’inventivité lorsqu’il s’agit de boss (connaissant la cinéphilie de Kojima, il ne serait d’ailleurs pas étonnant que Mushizo l’homme-essaim ait servi d’inspiration pour The Pain dans MGS3), chaque duel agit comme un obstacle sur un chemin tortueux et rend l’affrontement des plus grisants. Surtout que Kawajiri ne lésine pas sur la violence des combats, se livrant à des mises à morts particulièrement graphiques, offrant la plus anthologique au boss final.

Ninja Scroll ne se résume pourtant pas seulement à ses combats entre bretteurs. Kawajiri offre un certain background à ses personnages. Reprenant des codes du cinéma classique du Chanbara, ce genre typiquement japonais, il joue au détour de Junbei de la figure du rônin, ce samouraï errant. Reprenant les caractéristiques classiques de ce type de personnages, à savoir un charisme évident et une propension à la solitude, il s’amuse à le prendre à quelque moments à revers, notamment au travers des relations qu’entretient Junbei avec deux autres personnages du film.  Il cultive ainsi une rivalité ancienne entre Junbei et le chef des démons de Kimon, répondant au nom de Genma. À travers de cette histoire, il permet de rendre le duel final encore plus iconique, faisant intervenir des enjeux plus personnels de la part des deux protagonistes. De la même façon, bien que n’échappant pas à certains clichés, la relation entre Junbei et Kagero s’avère assez touchante. Kawajiri y questionne la place du genre féminin dans une caste essentiellement masculine. Kagero se voit, au contact de ses compagnons ninjas, complètement dépourvue de sa féminité, étant considérée comme un ninja comme un autre. Sa particularité physique l’empêchant d’avoir une relation charnelle avec quelqu’un sans l’empoisonner supprime également sa sexualité. Au contact de Junbei, toutes les cartes vont êtres redistribuées, permettant à Kagero d’embrasser pleinement cette féminité dont elle était jusqu’à présent privée. Avec Ninja Scroll, Kawajiri s’impose définitivement comme un grand nom de la japanimation adulte. Sachant conjuguer personnages charismatiques et rythme soutenu, il donne naissance à une oeuvre souvent jouissive au chara-design des plus travaillés.

Ninja Scroll – Bande-annonce

Ninja Scroll – Fiche Technique

Réalisation : Yoshiaki Kawajiri
Scénario : Yoshiaki Kawajiri
Interprétation : Koichi Yamadera, Emi Shinohara, Takeshi Aono
Chara-design : Yoshiaki Kawajiri
Musique : Kaoru Wada
Directeur des animations  : Yutaka Minowa
Société de production : Madhouse
Genre : Animation / Action
Durée : 91 minutes
Date de sortie : 5 juin 1993

Japon – 1993