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Perfect Blue de Satoshi Kon, premier coup d’éclat d’un maître de la japanimation

Parmi les ressorties immanquables du mois de mai se trouve Perfect Blue. Une œuvre d’une maîtrise folle qui plonge le spectateur dans un cauchemar inattendu et qui fait entrer son auteur, Satoshi Kon, dans le panthéon de l’animation japonaise.

perfect-blue-satoshi-kon-mimaPerfect Blue commence comme un film de Sentai avec ces guerriers colorés affrontant un monstre extraterrestre. Dès le début Satoshi Kon nous met sur une fausse piste. Il n’est évidemment pas question de combattants dotés de super pouvoirs dans Perfect Blue mais d’une idol qui se reconvertie en actrice.  Le cinéaste japonais nous plonge dans le monde kawaii de la J-Pop et de ses chanteuses attirant les foules à l’aide de tenues légères et de chansons entraînantes.  Un univers coloré où retentit le morceau des Cham « Angel of Love » mais dans lequel une part d’ombres s’immisce également. Un côté sombre qui va s’agrandir alors que Mima, la leader charismatique du groupe, décide d’arrêter la chanson pour se consacrer à une série télévision. Forcément cette décision ne va pas plaire à tous les fans, et notamment un mystérieux vigile à l’allure plus que creepy qui semble prendre très à cœur le rôle de garde du corps de Mima. Alors que Mima commence à prendre du galons dans la série télé, des événements étranges et funestes vont avoir lieu.

S’il y a quelque chose que Satoshi Kon adore, c’est bien triturer les méninges de ses spectateurs. On se rappelle de sa série Paranoia Agent ou encore de Paprika qui aura servi d’inspiration majeure à Christopher Nolan pour son Inception, mais dès son premier film, le japonais montre une maîtrise inégalée dans le domaine de la manipulation. Si on est familier de la japanimation des studios de Ghibli, on risque de se trouver très déstabilisé par Perfect Blue. Derrière ses premières apparences plutôt mignonnes, le long-métrage de Kon va très vite se muter en un cauchemar paranoïaque. Puisant dans le cinéma de Brian De Palma et d’Alfred Hitchcock, Perfect Blue va s’amuser à tisser lentement une toile schizophrénique prenant la pauvre Mima au piège. L’intelligence de Satoshi Kon se manifeste dans la façon dont le cinéaste va distiller son climat anxiogène. En incorporant des éléments au compte-gouttes, en commençant par un site très renseigné sur la vie privée de la jeune femme, Satoshi Kon fait entrer le spectateur dans cette ambiance terrifiante au même rythme que le personnage de Mima.

Le fait que Mima soit devenu une actrice dans une série télé policière va permettre au réalisateur de complètement redistribuer les cartes entre réalité et fiction. Perfect Blue va gommer les barrières entre les deux. Il devient difficile de discerner la réalité du film et « le film dans le film ». La mise en scène manipulatrice de Satoshi Kon nous fait croire à ce que l’on voit avant de nous l’arracher sous le pied avec un grand « COUPEZ ». Le réalisateur nippon va pousser le vice de plus en plus loin, réutilisant le nom de Mima pour désigner l’alter ego de son personnage dans la série Double Bind. Le cauchemar schizophrénique se fait de plus en plus épais et se manifeste à Mima par son image de l’ancienne « elle », celle restée idol de la pop. Au travers des vitres et miroirs, le reflet de l’ex-popstar se fait menaçante, rappelant la gloire passée et dénigrant sa nouvelle vie, l’accusant de trahir ses fans et son image. Satoshi Kon questionne ici la reconversion de ces idols japonaises, starlettes érigées en véritables héroïnes par leurs admirateurs. Des reconversions qui peuvent engendrer des dérives quand on observe la dédication des fans pour eux. On se souvient de la mort de hide, la star du groupe de Visual Kei X Japan qui a poussé au suicide un certain nombre d’aficionados du groupe. En réutilisant ces impacts réels, le mangaka crée un thriller machiavélique où l’angoisse s’intensifie au fur et à mesure que la carrière de Mima prend un tournant de plus en plus large. Scène de viol à la télé, photoshoot dénudé, l’innocente et jeune Mima laisse place à une femme essayant de s’imposer dans un nouveau monde. Le merchandising pervers autour de Mima entraîne un sentiment d’appropriation de la part de ses fans et de l’industrie. Alors que Mima essaye d’échapper à cette emprise de produit marketé, cette dernière la rattrape de manière effrayante.

Le jeu de miroirs qui agit comme le fil conducteur du long métrage va surtout imprégner la mise en scène de Satoshi Kon. Alors que le film prend au départ des apparences familiales jouant avec des personnages de la culture populaire, adorés des enfants, et le mouvement de la J-Pop, véritable phénomène au pays du soleil levant, Perfect Blue démarre sous de belles hospices. L’animation va elle-aussi dans ce sens, un univers coloré, certes un peu saccadé, mais témoin d’une aura plutôt festive. Un petit bonbon à l’image de la musique catchy des Cham.  Mais ce bonbon va très vite se transformer en champignon hallucinogène. Les mélodies accrocheuses laissent place à une partition sinistre accompagnée d’une mise en scène qui se fait beaucoup plus labyrinthique, nous transportant dans les méandres de l’esprit torturé de Mima. L’horreur prend définitivement le pas, une horreur intangible qui, malgré quelques sursauts sanguinaires, se fait surtout psychologique. En seulement 1h21, Satoshi Kon s’est imposé comme un grand nom de la japanimation. En faisant ses armes en compagnie de l’auteur d’Akira, Katsuhiro Otomo, on peut dire que l’élève a rattrapé le maître. Perfect Blue s’élève sur les sommets de l’animation avec cette œuvre complexe au déroulé indéniable, aux couches multiples. Du travail d’orfèvre qui va tracer le chemin d’une trop courte filmographie absolument passionnante.

Perfect Blue – Bande-annonce :

Perfect Blue – Fiche Technique :

Titre original : Pafekuto Buru
Réalisateur : Satoshi Kon
Scénario : Sadayuki Murai, d’après l’oeuvre de Yoshikazu Takeuchi
Doublage : Junko Iwao (Mima), Rica Matsumoto (Rumi), Shinpachi Tsuji (Tadokoro), Masaaki Ôkura (Me-mania)…
Photographie : Hisao Shirai
Animation et effets visuels : Hiroyuki Morita
Musique : Masahiro Ikumi
Société de production : Mad House Ltd, Rex Entertainment
Société de distribution de la reprise : Splendor Films
Genre : thriller
Date de première sortie en France :  8 septembre 1999
Date de reprise : 9 mai 2018
Durée : 81 minutes

Japon – 1997