Adapté de La Ferme africaine, roman autobiographique publié en 1937 et écrit par Karen Blixen (sous le nom de plume Isak Dinesen), Ouf of Africa (1985) nous conte dix-sept ans de vie en Afrique. Plus que d’être le simple récit de la vie de Karen Blixen, Danoise riche et issue de la bonne société débarquant au Kenya en 1913 pour y épouser un compatriote désargenté, et surtout baron, Out of Africa est l’histoire d’une vie qui s’inscrit dans la nature, au point d’en dépendre. Et pas n’importe quelle nature : la savane et la forêt africaines, aussi belles qu’indomptables.
Le long-métrage de Sydney Pollack porté par Robert Redford et Meryl Streep est une fresque visuelle et une ode musicale à la sauvagerie de la nature, qui fait sa beauté.
Le printemps d’une vie
Out of Africa commence par nous montrer très simplement le printemps d’une vie, au sens de la renaissance que ressent Karen (Meryl Streep) lorsqu’elle vient s’installer dans cette nature hostile. C’est pour obtenir le titre de baronne et se consoler du désintérêt de son amant qu’elle débarque au Kenya pour épouser le frère jumeau de ce dernier (Klaus Maria Brandauer) en quête d’un commerce. La famille de Karen va, en effet – en échange du mariage – financer une plantation de café. Karen se retrouve finalement à devoir gérer l’affaire seule, tant son mari oisif n’en a que faire. L’histoire d’amour à laquelle elle s’était attendue se révèle rapidement imaginaire, laissant Karen dans le désœuvrement. Ce qui l’en sortira, c’est sa remarquable adaptation dans cette vie rustique, constituée de travail et de lutte avec la nature. Car quand bien même tout est beau autour d’eux, la nature africaine demeure capricieuse et hostile, notamment peuplée de lions. Effort après effort, Karen se découvrira un sens à sa vie et s’acclimatera parfaitement en Afrique, nouant des liens forts avec les autochtones, que sont notamment les Kikuyus et les Somalis – elle croisera aussi des Massaïs partant en guerre. Elle tombera amoureuse de Denys Finch Hatton (Robert Redford), Britannique expatrié et tout aussi amoureux des paysages kenyans. Les plus beaux plans du film – des plans de la nature – nous sont d’ailleurs dévoilés depuis l’avion de ce dernier, survolant le Masaï Mara sur une musique exceptionnelle de John Barry.
La nature comme maître
La beauté d’Out of Africa est de nous montrer une vie qui ne peut s’épanouir que dans la nature, insensible aux lois de la propriété. Si Karen vient d’un Danemark apprivoisé dans lequel on chasse à courre et où l’on vaque à ses occupations en tenue du dimanche, elle se retrouve rapidement en bottes, pantalon, et surtout en sueur. Car au Kenya, l’Homme n’est pas propriétaire de la terre – ou alors seulement sur le papier – et ne peut en disposer à ses desseins. C’est plutôt la terre qui est propriétaire du destin de l’Homme, libre de faire sa fortune comme sa ruine, d’un seul caprice.
Karen s’en rendra compte, elle qui, en dix-sept ans, fera tout sauf prospérer, maigre récolte après maigre récolte, dans cette terre qui affiche pourtant une luxuriance insolente. Karen qui finira par devoir quitter le Kenya, sa ferme africaine ayant englouti l’argent que sa famille consentait à lui donner. Un incendie aura en effet achevé la plantation de café, contraignant la Danoise à quitter l’Afrique, devenu son chez-soi, le cœur brisé. Elle s’en ira toutefois seulement après avoir trouvé un nouveau territoire pour loger la tribu de Kikuyus qui vivait sur ses terres, et qui se retrouve expropriée une fois celles-ci prises par la banque.
L’ombre d’une contrée
Et finalement, à la fin de sa vie, comme nous le montre Sydney Pollack qui commence son film comme il le termine, en filmant une Karen près de mourir se souvenant de l’Afrique, c’est à cette nature kenyanne qu’elle adresse ses derniers moments. Les dix-sept ans qu’elle y a passés l’ont davantage marquée que le reste de sa longue vie de près de quatre-vingt ans. Et comment s’en étonner ? On en sort marqué, nous aussi, spectateur, de cette existence dont le sens ne peut échapper à celui qui est sans cesse ramené au prosaïsme de la vie inscrite dans la nature, dépendante d’elle. En partant, Karen se demande si la nature se souviendra d’elle, si son ombre apparaîtra toujours sur les graviers devant sa maison, éclairés par le clair de lune. Et sachant que ce ne sera pas le cas, elle demeure dans une incompréhension synonyme d’un profond attachement : comment est-ce possible que cet endroit où elle a vécu et qu’elle a tant aimé ne sera plus jamais habité par sa présence ?
Et de même qu’elle s’imagine que la contrée d’Afrique conserve son souvenir, elle conserve le sien, comme une ombre la suivant tout au long de sa vie.
Out of Africa est un film doté d’une ambiance naturelle intense qui parvient sans difficulté à emporter son spectateur en son sein, et ce notamment grâce à la photographie poétique de David Watkin. La musique de John Barry répond parfaitement aux paysages et parvient à retranscrire la beauté de la nature grâce à des compositions musicales riches en émotions. Variées, elles traduisent parfaitement les sentiments de Karen, qui tombe amoureuse, à la fois de Denys et de l’Afrique, leur souvenir ne la quittant jamais. Plus qu’un long-métrage, Out of Africa – qui cumule la bagatelle de sept Oscars, trois Golden Globes et trois BAFTA – est un voyage au sein d’une nature sauvage et libre qui parle au cœur ancestral et primitif de chacun d’entre nous, en ne laissant pas de place à l’ennui, car indomptable et sans cesse en agitation.