En ce mois de décembre, Le Mag du Ciné vous propose un cycle sur l’art comme élément secondaire d’une œuvre, et ce que cela apporte au film, livre, série, etc. Cet article, sans se concentrer sur un seul titre, se propose d’analyser, de manière transversale, le rôle et les intentions prêtées à l’art, lorsqu’il n’est pas sujet ou acteur principal d’une œuvre.
Un ajout loufoque et intellectuel
L’art, c’est bien souvent ce qui n’a pas d’autre utilité qu’être de l’art. L’art n’a pas de fonction première, bien qu’il puisse informer, divertir ou dénoncer. Ainsi, dépourvu de la contrainte d’être utile, il peut revêtir des formes insolites et a le loisir de questionner l’intellect. L’insolite et l’intellect : saisissons ces deux notions pour noter un rôle récurrent de l’art comme élément secondaire d’une œuvre. Premièrement, l’art emmène le personnage hors des sentiers battus, lui permettant de vivre des expériences farfelues qui vont divertir le spectateur. Deuxièmement, l’art, de par sa bizarrerie résultant souvent de réflexions poussées, peut permettre d’associer le protagoniste à un univers plus intellectuel et plus éduqué, qui lui apporte immédiatement un statut singulier.
Prenons les exemples des séries Sex and the City et Younger, toutes deux associées au nom de Darren Star. Elles ont aussi pour point commun un personnage principal (de sexe féminin) à la meilleure amie frayant dans le cercle fermé de l’art contemporain. En ce qui concerne Carrie (SATC), son amie Charlotte dirige une galerie d’art, ce qui l’amène à vivre différentes expériences farfelues, par exemple lorsqu’un peintre représentant des vagins stylisés en fleurs lui demande de poser pour lui… Dans le même ordre d’idées, Maggie, dans Younger, entraîne souvent sa meilleure amie Liza (le personnage principal) dans des aventures hautes en couleurs, là où la mène son métier d’artiste, comme lorsqu’en plein vernissage elle lacère le tableau d’une jeune femme lui ayant volé son travail. Dans SATC, l’emploi de Charlotte l’amène régulièrement à des discussions et des réflexions sur l’art, sans oublier des événements mondains qui apportent aux quatre amies new-yorkaises un certain statut intellectuel.
Dans ces deux séries, l’artiste ou la professionnelle de l’art sont l’occasion d’introduire dans la série des arcs amusants qui sortent de l’ordinaire et divertissent le spectateur sans pour autant que les showrunners aient à s’embarrasser de réalisme ou de conséquences, ce qui aurait été le cas si l’art avait été le sujet principal de la série.
Marqueur social et certain statut
Dans la complémentarité du loufoque et de l’intellectuel, l’art comme élément secondaire est souvent un moyen de différencier son personnage en lui conférant un statut particulier, lui ouvrant les portes d’un cénacle que le spectateur connaît à peine. C’est par exemple le cas dans un film comme Coup de foudre à Notting Hill, de Roger Michell, qu’on adore pas uniquement pour l’alchimie de Hugh Grant et Julia Roberts, mais aussi car il nous permet d’entrevoir les coulisses de la vie d’une star de cinéma ultra-connue et multi-millionnaire.
C’est un peu la même chose mais transposée au métier d’écrivain dans Mange, prie, aime, livre d’Elizabeth Gilbert. Bien que le voyage et la découverte de soi soient les sujets principaux de cette œuvre feel good, force est d’admettre qu’en toile de fond, c’est le statut très rare d’écrivain bankable qui permet à la jeune femme de vivre toutes ces expériences, puisqu’elle reçoit de la part de son éditeur une avance de 200 000 dollars !
Enfin, dans Beauté volée de Bernardo Bertolucci, la très jeune Liv Tyler débarque en Italie dans une résidence où se côtoient des artistes de tout bord, immergeant son spectateur dans un univers créatif très agréable, mais aussi très privilégié.
L’art comme signe de détermination
Dans d’autres œuvres, l’art peut être l’occasion de montrer la détermination d’un personnage, prenant le pas sur sa vie, au point d’en devenir source d’épuisement ou de souffrance. L’art comme élément secondaire a alors un sens supplémentaire, celui de démontrer à quel point un personnage est capable de s’investir pour sa passion, sans pour autant que cela soit le sujet principal de l’œuvre.
C’est par exemple le cas dans un film comme Bright Star, de Jane Campion, qui relate l’histoire d’amour du poète britannique John Keats, avant sa maladie et son trépas. Dans cette œuvre, le travail poétique n’est pas le sujet principal, puisque c’est la romance qui est au cœur de l’image. Cependant, derrière l’amour et derrière les problèmes de santé, s’aperçoit dans les conversations et les actions la création littéraire qui préoccupe son personnage, même lorsque sa santé est en jeu.
De même, dans Les quatre filles du docteur March, roman de Louisa May Alcott, l’une des sœurs, Jo, est déterminée à devenir écrivain. Cette passion qui la mène chaque jour davantage vers l’écriture est aussi un moyen de nous montrer la force de caractère de cette jeune fille, pas franchement destinée à la vie classique d’une femme dans les années 1860 en Nouvelle-Angleterre.
Dans ces deux œuvres, autant le poète John Keats que la jeune Jo March sont préoccupés par le succès de leur œuvre et leur acceptation par le public et la société.
La part sombre de l’art : l’art délétère
Enfin, lorsque l’art devient plus qu’une préoccupation, lorsqu’il obsède le personnage, ou le fait basculer au-delà du point de non-retour, dans le crime ou la folie, il peut prendre le rôle d’un élément délétère et perturbateur qui va enclencher l’intrigue de l’oeuvre.
C’est par exemple le cas dans un film comme Shining, de Stanley Kubrick. C’est parce qu’il a besoin d’écrire que Jack Torrance décide d’emmener femme et fils dans un hôtel perdu au coeur de l’hiver et de nulle part, où ils resteront seuls avec sa frustration d’écrivain raté, les menant au drame, avec notamment le concours du fantastique.
C’est une autre écrivaine campée par Sharon Stone qui, dans Basic Instinct, de Paul Verhoeven, est la principale suspecte d’un meurtre au pic à glace qui coïncide de manière glaçante avec un assassinat décrit dans le roman qu’elle a publié… C’est d’ailleurs ce texte qui fait d’elle l’obsession d’un inspecteur de police glacé par la violence de ce meurtre, entre autres.
Dirigeons-nous à présent dans l’envers des décors, à Hollywood pour nous intéresser au monde du septième art. Dans Mulholland Drive, de David Lynch, la jeune Betty aspire tant à percer comme actrice de cinéma que suivre sa vie et ses rêveries plonge le spectateur dans une incompréhension et un mystère devenus les signatures de ce film insolite.
C’est aussi à travers le cinéma que s’incarne la folie dans Scream 3, de Wes Craven. L’art et la mise en abyme permettent cette fois à la franchise de se renouveler en s’installant dans des studios de tournage qui ne tarderont pas à se couvrir de véritable sang. Le coupable est cette fois un créateur rendu fou par la haine et la jalousie, et qui se sert des plateaux de tournage pour assouvir sa vengeance.
Ainsi, l’art, lorsqu’il est présent comme élément secondaire d’une œuvre, est l’occasion pour l’auteur, le réalisateur, etc., d’utiliser les potentialités apportées par cette composante, pour faire avancer l’œuvre ou créer une disruption. Pour autant, le film, la série ou le livre n’ont pas l’art pour sujet principal, ce qui étend le champ et permet de traiter par exemple une histoire d’amour, d’aventure, une biographie, etc., sans se cantonner à l’histoire de l’art ou l’art moderne ou contemporain.