En 2009, la réalisatrice australienne Jane Campion porte à l’écran la dernière histoire d’amour du poète britannique John Keats avec Fanny Brawne, avant la mort tragique du premier. Bright Star nous donne à voir un couple très amoureux, de cet amour mi-adolescent mi-mature, qui vit une relation platonique soumise à la désapprobation sociale.
Portrait d’un couple condamné à plusieurs niveaux.
L’amour sans crier gare
Bright Star débute en suivant la vie de jeune femme de Fanny Brawne (Abbie Cornish), couturière émérite (sous forme de loisir), qui vit dans la campagne londonienne avec sa mère, son jeune frère et sa petite sœur, dans l’attente de la demande en mariage d’un bon parti (très probablement un officier). C’est dans ce contexte qu’elle rencontre le jeune poète John Keats (Ben Wishaw). Sans le sou, il est épaulé par son ami Charles Brown, chez qui il réside, étant voisin des Brawne.
Rapidement, les deux jeunes gens s’apprécient et, à force de discussions légères, un attachement naît, malgré une franche antipathie entre miss Brawne et monsieur Brown, qui ne comprend pas ce que monsieur Keats trouve à cette voisine passionnée par la couture.
La beauté de Bright Star est de nous montrer cet amour qui naît par petites touches, bravant une forme de retenue ou de timidité qui semble exister entre les inconnus. Pourquoi s’aiment-ils ? On le comprend sans y trouver de raison particulièrement pragmatique. Toujours est-il qu’il s’est passé quelque chose entre eux et qu’ils tombent rapidement éperdument amoureux.
L’amour platonique
Entre Fanny Brawne et John Keats, qui se rencontrent en 1818, si passion amoureuse il y a, il est inconcevable qu’elle se concrétise dans la chair. Aussi, nous spectateurs, assistons à un amour adolescent et en même temps mature, car ressenti par deux personnes adultes (ils ont un peu moins de vingt-cinq ans), qui le sont d’autant plus qu’on est au XIXème siècle. Quelques baisers et quelques mains tenues, voilà tout ce que nous montre Jane Campion, pour la partie physique.
Et pourtant, comme cet amour nous paraît réel, comme on le ressent – d’autant plus si l’on est amoureux soi-même ! Bright Star nous fait vivre ce que ressentaient John Keats et Fanny Brawne l’un pour l’autre, nous transportant presque à leurs côtés. Les billets doux, les promenades et les jeux dans la nature, les cœurs brisés à la moindre contrariété, qui renaissent quand les amants se réconcilient… L’amour, ici platonique, ne s’embarrasse pas de sexe pour éclore et s’épanouir dans la durabilité et la sincérité entre ces deux êtres amoureux.
La campagne anglaise superbe, les papillons Monarque dont Fanny fait un temps l’élevage, toute à sa rêverie amoureuse, la photographie délicate de Greig Fraser, et surtout la musique intense de Mark Bradshaw (devenu, à la suite de ce tournage centré sur l’amour, le compagnon de Ben Wishaw), portée par une reprise chantée de la Sérénade KV 361 de Mozart… Tout concourt à installer cet amour dans cette ambiance romantique des sentiments amoureux les plus sincères.
Les moyens de s’aimer
Bercé par ce tableau idyllique, le spectateur est toutefois régulièrement ramené sur terre par les considérations toutes matérielles qui accompagnent alors les unions. Monsieur Keats est, en effet, très embêté par sa situation financière désespérée, et censée s’améliorer après la publication d’un nouveau recueil de poèmes. En vain, la faute à des critiques imperméables au style sensuel de John Keats. Comme le fait très prosaïquement remarquer la mère de Fanny Brawne, monsieur Keats « n’a pas les moyens de se marier ». Fanny et lui ne peuvent donc que se fiancer en cachette. Car si Fanny n’a que faire des finances peu développées de son amant, John Keats, très digne, ne peut se résoudre à embourber sa belle dans ce genre de vie. Il va jusqu’à culpabiliser de la faire perdre des occasions avec un bon parti, et s’inquiète de diminuer la valeur de la jeune femme par sa fréquentation peu respectable – il est, après tout, un poète sans le sou.
La condamnation de la bonne société pré-victorienne plane sur le couple comme une menace qui pourtant les laisse quasi indifférents. Fanny et John s’aiment et ne peuvent se résoudre à passer outre ce sentiment qui intensifie l’existence. Et en tant que spectateur, on ressent cela, l’insouciance, l’inconséquence et la certitude de son droit à aimer, privilèges de tous les amoureux.
La mort comme ombre au tableau
Une sentence plus dramatique les ramènera tout de même coûte que coûte dans une réalité déjà estampillée d’une date de fin. John Keats souffre de la tuberculose. Il s’affaiblit de jour en jour jusqu’à ce qu’il devienne plus que probable que la rémission ne vienne jamais, pire, que ce soit la mort qui vienne à la place, et rapidement… Ce couple condamné continue de s’aimer et s’aime d’autant plus que la mort s’est glissée sans invitation au cœur de leurs étreintes amoureuses. De quel courage ont fait preuve ces jeunes gens sachant que leur couple serait bientôt achevé contre leur volonté par une limite infranchissable ? Qu’a dû penser John Keats, se sachant mourant et Fanny Brawne, ne pouvant retenir la vie dans le corps de son jeune amant ?
Dans l’espoir (maigre) de survivre, John Keats embarque sur un bateau en septembre 1820, direction Rome et un climat plus clément. En effet, il ne survivra pas à un autre hiver anglais. Les amoureux se quittent sans certitude de se revoir.
Ils ne se reverront d’ailleurs jamais. John Keats décède à Rome, le 23 février 1821, à l’âge de 25 ans, après deux ans de fiançailles avec Fanny Brawne.
John Keats et Fanny Brawne nous laissent l’image d’un couple condamné de toutes parts et pourtant incapable de se quitter, signe d’un amour sincère. Fanny Brawne gardera d’ailleurs le deuil trois ans, et ne se mariera que douze ans plus tard, en 1833. Et deux cents ans plus tard, l’on peut se pencher sur l’œuvre de Keats pour y déceler les mots d’amour adressés à Fanny Brawne, à l’image du poème Bright Star qui évoque le désir de constance du poète blotti contre son aimée, en quête de la stabilité d’une étoile.
Bright Star : bande-annonce