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La saga Star Wars est-elle une religion ?

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Tu étais en train de créer une religion confie James Cameron à George Lucas, l’esprit créatif derrière la saga la plus populaire de la planète. A l’occasion de la sortie du dernier Star Wars IX : L’avènement de Skywalker, on se penche sur la dimension religieuse et philosophique de la franchise à l’intérieur et à l’extérieur de l’écran. Peut-on croire en la Force ? A moins que nous n’en soyons déjà les adeptes..

Dans une galaxie pas si lointaine, une saga désormais légendaire : Star Wars. Initiée au cinéma en 1977 par le génie créatif de George Lucas, la franchise stellaire est désormais tentaculaire : trois trilogies cinématographiques, des séries et films d’animation, des jouets, des romans, des bande-dessinés, des albums de musique, des figurines, des spin-offs… Quand on parle d’empire en abordant Star Wars, il est difficile de savoir si l’on évoque celui constitué par la franchise désormais aux mains de Disney ou les antagonistes de l’intrigue. En un peu plus de 40 ans, Star Wars a envahi l’imaginaire collectif et constitue un immense champ de références pour une partie de nos représentations. Difficile d’évoquer le mal sans vaguement penser à Palpatine ou Dark Vador. Depuis Un Nouvel Espoir, la saga s’est fondée sur le mono-mythe de Joseph Campbell qui pose aujourd’hui la narration éculée mais efficace de tous les récits modernes. Mais contrairement à d’autres franchises plus récentes de la pop-culture comme les multiples proposées par les mastodontes Marvel, l’oeuvre de Lucas a développé tout un univers semblable à celui d’une religion. D’abord de manière complètement diégétique, au sein même de ces films, on retrouve une entité abstraite et surpuissante : la Force. Autour de cette énergie quasi-divine s’agrègent une dichotomie d’abord claire entre le bien et le mal. S’en suit des éléments qui définissent alors clairement si l’on balance d’un côté ou d’un autre : la couleur du sabre, notre appartenance aux Siths ou aux Jedi, notre usage raisonné (ou non) de la Force. En développant cette mythologie, George Lucas établit une grille de valeurs, politiques mais aussi religieuses, auxquels les personnages doivent adhérer pour progresser dans l’histoire mais aussi que les spectateurs doivent accepter pour se connecter émotionnellement aux enjeux. Le suivi de la famille Skywalker sur 9 films nécessite donc de s’identifier à leur version de la Force.

De vrais Jedi

Ce n’est pas pure folie que le jediisme, mouvement religieux basé sur les enseignements tirés de la philosophie Jedi, s’est réellement développé dans notre monde. Aux Etats-Unis, le mouvement est reconnu comme une religion. Plusieurs centaines de milliers de personnes, entre l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni, la République tchèque et donc les U.S, déclarent identifier le jediisme comme une religion. Nous nous sommes pas à l’abri de quelques trolls dans les recensements mais ce phénomène, insolite à toutes autres franchises de pop-culture, interroge tout de même. Qu’est-ce qui est si spécifique à Star Wars pour qu’un culte se dessine en dehors de l’écran ? Le vocabulaire même des titres fait appel à la religion, et notamment des monothéismes abrahamiques : avènement, retour, réveil.. Nous l’avons vu, l’imaginaire développé au sein des films a tout pour se prêter à celui d’une religion avec ses figures prophétiques et identifiables. Dans le premier opus, dans son Faucon Millenium le bandit de l’espace Han Solo ne croit pas à la Force et toutes ses légendes. La suite de ses aventures lui prouveront qu’il a eu tort de ne pas croire. D’ailleurs dans Le Réveil de la Force, qui nous fait retrouver les personnages de la trilogie originale une trentaine d’années plus tard,  dans son même vaisseau, Han Solo est désormais celui qui prédique : il est devenu croyant et propage la vérité autour de la Force. De la même manière, chaque film Star Wars continue de propager l’empire que représente aujourd’hui la saga, la marque, le mythe. On pourrait dire que cette profusion récente de films ne répond qu’à un intérêt mercantile. Ce serait d’abord nier le fait que Lucas, lui-même, a inventé le merchandising moderne avec l’épisode 6, mais aussi que les Star Wars restent parmi les derniers blockbusters d’auteur. Rian Johnson, J.J Abrams, George Lucas… Chacun continue à poursuivre le mythe et le culte qui s’en nourrit. En soit, il est clair que la mythologie interne à Star Wars est celle d’une religion, d’une foi, d’une spiritualité. Si on se penche sur les enseignements Jedi, on retrouve des notions clés déjà présentes, le taoïsme ou le bouddhisme. Sans croire fondamentalement à l’existence de sabres laser ou d’une étoile noire, est-il complètement absurde de se revendiquer d’un mouvement religieux et philosophique seulement car il provient d’une oeuvre fictive ?

Tu étais en train de créer une religion..

D’un point de vue athéiste, toutes les religions sont des constructions purement culturelles. Simplement avec Star Wars, il n’y a aucune ambiguïté quant à la (non) vérité des ces éléments car les auteurs sont clairement identifiés. Finalement, qu’est-ce qui manque à Star Wars : le temps ? Celui de devenir des bribes, des rumeurs, des légendes. Quand George Lucas établit la prélogie, on comprend que les légendes qui débutent l’histoire d’Un Nouvel Espoir sont bien réelles. Les Jedi étaient organisés, identifiés. De même que les Sith. L’origine du mal est dévoilée. La prélogie de Star Wars en est donc La Genèse. Sans même prendre en compte l’univers étendu, on peut percevoir les trois trilogies comme trois textes, trois unités, trois testaments. Chacun à son tour enrichit et contredit les testaments suivants ou précédents. D’ailleurs Disney a désavoué l’univers étendu. Dans le podcast James Cameron’s Story of Science Fiction, George Lucas et James Cameron donc, échangent autour de ce qu’aurait promis la troisième trilogie de Star Wars si elle avait été pilotée par Lucas. L’artiste allait emmener l’histoire dans des univers microbiologiques en déconstruisant complètement la force comme entité incompréhensible. Il comptait aborder les Whills, une espèce vivante qui véhicule la force au sein de l’organisme. Tout au long du podcast, il aborde un « nous » rendant de plus en plus floue la frontière entre la réalité et l’univers de fiction qu’il a créée. Mais une phrase lors de ce podcast marque. James Cameron s’adresse à Lucas et lui dit : « Tu étais en train de créer une religion George ». Une religion qu’il regrette de ne jamais avoir fini de développer.

Luke Skywalker : le messie ?

Cette dimension religieuse prend aussi tout son sens à travers la réception des fans à chaque sortie d’opus. Des courants émergent et sont basés sur les divergences vis-à-vis des trois trilogies ou « testaments » : Non ce film n’est pas valable, non le personnage n’aurait jamais fait ça, non c’est toi qui ne comprend pas la trilogie originale, non la Force c’est plus ça que ça.. Il y a ces  fandom toxiques radicaux auxquels aucun fan ne souhaite être associé. Ils ont rien à faire avec nous, ce sont pas des vrais fans qui, eux, ne font du mal à personne… Attention aucun amalgame ! En dehors d’eux, de vraies dissonances se produisent, comme rarement au cinéma, autour des événements Star Wars. Le 8ème opus, Les Derniers Jedi, a vu surgir la controverse notamment autour du personnage emblématique de Luke Skywalker. Sans aucun doute, le messie de la religion Star Wars. Disparu à l’écran depuis une trentaine d’années pour les fans, autant que dans l’univers fictif pour les personnages, Luke était si attendu. Certains attendaient l’irruption de ce messie, comme s’il ne faisait pas partie d’un film mais bien de notre réalité. Pourtant le parti pris déconstructiviste de Rian Johnson fut radical quant à la représentation du nouveau Luke. Fantasque, bedonnant, hirsute, lâche, Luke n’est plus la figure prophétique qu’il incarnait. Alors que le monde réel l’érigeait en tant qu’icône, la personæ fictive, comme l’acteur Mark Hamill, subissait les ravages du temps. En 2017, il était déjà trop tard pour Star Wars déjà devenu religieux. Les polémiques vaines suite au film fascinent. Certains allant jusqu’à dépouiller les moindres éléments des anciens films pour démontrer que le personnage était une trahison aux textes originels et sacrés. Quand il apparaît dans le combat final face à Kylo Ren, il est bien plus velte et correspond aux attentes que le public pouvait se faire de son retour. Mais le messie idéal n’était qu’une projection. Les spectateurs ne pouvant plus croire en cette version hirsute du personnage, Luke devient fantôme. Démystifié, il ne pouvait plus exister. C’est un rapport de croyants finalement qu’entretiennent les fans vis-à-vis de lui. Quand on apprend que les parents de Rey sont insignifiants, on ne peut y croire. En quoi avons-nous cru sinon à ce mysticisme ? Qu’importe, les films posent leur vérité. Une vérité qui dépasse les auteurs, les fans, et les œuvres elles-mêmes. Il n’est pas question de savoir si les choix sont bons ou mauvais car ils participent tous à fonder Star Wars. L’empire commercial ? Oui, mais aussi le culte et sa mythologie. Poursuivi par plusieurs auteurs et amené à leur survivre, Star Wars est un mythe qui se construit continuellement sur lui-même. Écrasant ses propres références, trahissant et renouvelant ses codes, agrégeant toujours de nouveaux fidèles, Star Wars est un culte qui continue à se dessiner sous nos yeux. Mais alors s’il y a religion, qui est le Dieu ? Lucas ? Disney ? Les nouveaux auteurs ? Les fans ? Finalement, peut-être la Force elle-même.