Le wu xia pian, qui signifie littéralement « film de chevalier errant » est un genre extrêmement populaire en Chine. Moins connu en Occident, il fascine pourtant, tant il est polymorphe. Décryptage.
Considéré comme étant le western chinois, le film de sabre se concentre sur la figure des chevaliers combattants, souvent seuls, presque toujours emportés dans une histoire de vengeance. Ils sont les descendants des wuxia, des combattants de la noblesse guerrière, qui refusent de quitter leur art de vivre au profit de la classe des lettrés, et vivent par conséquent en dehors de la société. C’est pour cela qu’on les appelle des « chevaliers errants ». Ce mythe se perpétue avec l’arrivée des romans wuxia, racontant leurs histoires, sous la dynastie Tang (618-907).
Les débuts:
Ce genre cinématographique apparaît dans les années 1920, alors que le pays est en proie à la Guerre Civile entre le parti nationaliste, le Kuomintang et le Parti Communiste Chinois (PCC). Deux films sortent alors, Li Feifei: une chevalière errante, en 1925, puis L’incendie du monastère du Lotus Rouge, en 1928, réalisé par Zhang Shichuan, qui connaîtra 17 suites. La série n’est plus trouvable aujourd’hui, car elle a été perdue. Elle devait durer 27 heures au total. Elle était assez incroyable pour l’époque car comportait beaucoup d’effets spéciaux, comme des fondus enchaînés ou du montage et la présence de femmes guerrières.
Malheureusement ce seront les seuls films de ce genre à connaître le succès jusqu’en 1950, car le wu xia pian sera interdit par le Kuomintang. Le reste se fera à Hong Kong. Après la Guerre, une vingtaine de films se basant sur la figure de Wong Fei-Hung, un héros cantonais d’arts martiaux, seront réalisés jusqu’en 1956. Au total c’est l’acteur Kwan Tak-Hing qui l’interprétera dans plus de 100 films. Ces productions vont marquer d’une empreinte nouvelle les oeuvres à venir, car rejettent les effets de style et le fantastique, pour laisser place à des scènes de combats plus réalistes.
L’âge d’or, les années 60:
Les années 60 marquent le renouveau de ce genre, en s’inspirant des chanbaras (films de sabre) japonais. Ce sont les studios Shaw Brothers qui permettent de le faire revenir à la mode car ils choisissent de produire des films en mandarin. L’objectif étant de devenir l’équivalent des studios hollywoodiens, et pour ce faire quoi de mieux que faire des westerns à la sauce chinoise?
Deux réalisateurs se démarquent alors: tout d’abord King Hu (1931-1997), avec son Hirondelle d’or (大醉俠), sorti en 1966, qui introduit l’actrice culte de ce style cinématographique, Cheng Pei-Pei. Elle incarne une guerrière à la recherche de son frère enlevé par des brigands.
Le film est le premier d’une trilogie où l’action se passe entièrement dans une auberge, avec en 1967 et 1974 respectivement L’auberge du dragon et L’auberge du printemps qu’il réalise à Taiwan. Ils révolutionnent le genre car concentrés en un seul lieu, et l’action est lente. Ce sont de gros succès. Quant aux intrigues, il s’agit bien souvent d’histoires de vengeance, avec un personnage féminin qui se travestit. Mais là où L’Hirondelle d’or réussit à accrocher le spectateur par son action et son rythme, L’auberge du dragon endort, sans doute à cause de son format de huis-clos à la cadence mal gérée. Les métrages de King Hu sont très inspirés par l’Opéra de Pékin, dont il puise ses sources pour les chorégraphies des combats, qui sont légères et fluides.
Puis vient le réalisateur Chang Cheh, au style beaucoup plus cru et violent. Il reprend le film de King Hu en faisant sa suite, Le Retour de l’Hirondelle d’or (Jin yan zi), mais au lieu de concentrer l’intrigue sur le personnage interprété par Chang Pei-Pei, il la centre sur la relation entre deux hommes. Ses films sont plus masculins. En 1971 il sort une relecture d’un de ses films antérieurs, La Rage du tigre (Xin du bi dao), connu pour son final d’anthologie avec le héros face à 100 adversaires. Il est d’une violence extrême pour l’époque et tranche totalement avec le style de son acolyte, plus raffiné. On y suit les aventures de Lei Li (David Chiang), combattant devenu manchot suite à une humiliation.
Déclin puis Renaissance:
Le wu xia pian tombe en désuétude au début des années 70. La vague du kung-fu déferle sur le paysage cinématographique chinois, avec Bruce Lee en tête. Il met en avant le combat à mains nues (exit le sabre) .
Néanmoins à la fin des années 70 une « Nouvelle Vague » se dessine, portée par Tsui Hark, réalisateur culte du film de sabre. Il réalise, en 1979, The Butterfly Murders, sa toute première – et déjà réussie – oeuvre. Le synopsis est mystérieux puisqu’il traite d’une attaque de papillon dans un château, sur fond de guerre inter clans. Les années 80 voient également apparaître des histoires basées sur des Triades, ou mafias chinoises, comme les œuvres de John Woo avec Le Syndicat du crime, en 1986, sur la pègre avec trois personnages principaux.
Un film fait cependant le lien entre l’ancienne et la nouvelle époque du genre wu xia: Duel to the death (Xian si jue), réalisé en 1983 par Ching Siu-tung. Il narre la compétition entre une école Shaolin chinoise contre une école japonaise au travers d’un combat afin de déterminer laquelle est la meilleure. Il a un rythme régulier, des combats spectaculaires avec une certaine réflexion apportée sur la condition des guerriers, mais signe la fin d’une époque. Il enchaîne avec une série de trois films: Histoire de fantômes chinois (Sinnui yauwan), sortis respectivement en 1987, 1990 et 1991, avec le célèbre Leslie Cheung, malheureusement disparu trop tôt. Ils sont l’adaptation d’une nouvelle écrite par Pu Songling, du recueil Liaozhai zhiyi. Ils introduisent des éléments surnaturels comme des fantômes.
Ils sont produits par Tsui Hark (encore lui), qui révolutionne ce courant cinématographique en y apportant une touche fantastique (même si ce n’est pas le premier à le faire), avec beaucoup d’effets spéciaux et un montage très rapide. C’est le cas avec Zu, les guerriers de la montagne magique, en 1983 qui deviendra culte par la suite malgré son échec commercial. Avec ce métrage il s’impose comme le maître du néo-wu xia pian.
Quelques années plus tard, en 1995 il réalise The Blade, considéré comme un classique du genre mais qui déroute le public de par son mélange d’intrigue amoureuse, d’extrême-violence et son rythme infernal. C’est un échec commercial mais un succès critique. C’est un remake du film de Chang Cheh, Un seul bras les tua tous (Dubei dao) où l’on retrouve l’image du sabreur manchot.
Wong Kar-wai va se mettre à son tour à réaliser son propre long-métrage de sabre avec, en 1994 Les cendres du temps (Dung che sai duk). Leslie Cheung y campe un mercenaire vivant seul dans le désert après que sa femme l’a quitté, exécutant des contrats. Il impose sa propre vision des choses avec une photographie très marquée par le « style kar-wai »: une colorimétrie saturée, une pellicule travaillée, des ralentis et des effets de montage, des plans poétiques et un rythme lent. Le film est visuellement marquant et véritablement beau, avec une lumière magnifique et lui vaudra plusieurs prix.
Retour aux sources:
Malgré ces réussites critiques, le marché est saturé si bien qu’à la fin des années 90 le cinéma de Hong Kong est en crise. Cela est dû à plusieurs choses: tout d’abord les exportations ne sont pas à leur meilleur niveau, puis le piratage arrive en masse, ce qui provoque l’effondrement du marché. De plus les principaux acteurs à succès partent à l’étranger et seules les productions réussissent à s’imposer. La rétrocession de Hong Kong en 1997 n’arrange pas les choses puisque les réalisateurs se tournent vers Taiwan pour produire leurs projets ou bien demandent des aides financières à des pays étrangers.
Néanmoins au début du 21ème siècle des films signent le retour aux sources du wu xia pian. Tigre et dragon (Wò Hǔ Cáng Lóng) d’Ang Lee, par exemple, est un incroyable triomphe car produit par les Etats-Unis et trouve son public à l’étranger et remporte de nombreux prix dont quatre oscars. Le synopsis raconte l’histoire d’un guerrier virtuose qui doit remettre une épée très précieuse à un seigneur, mais celle-ci sera volée…
Cette superproduction n’est pas aimée par les fans du cinéma hongkongais, trop habitués au style de Tsui Hark. Ici le film n’est pas fantastique, mais contient des combats très chorégraphiés, aériens (avec beaucoup de sauts). Le réalisateur confie aussi ses rôles à des acteurs talentueux et en pleine gloire, comme Michelle Yeoh, habituée des combats et arts martiaux, Chow Yun-Fat, Zhang Ziyi de la nouvelle génération et l’on retrouve même Cheng Pei-pei.
Un autre réalisateur va s’imposer à l’international: Zhang Yimou avec en 2002, Hero (Ying xiong). Histoire fabuleuse d’un guerrier qui assassine les ennemis du roi. Jamais auparavant une oeuvre sur le courant du wu xia n’avait été si travaillée esthétiquement, avec des combats extrêmement stylisés, une attention toute particulière portée aux couleurs et à leur signification. Même s’il fait des films « pour occidentaux », celui-ci rencontre un énorme succès au box-office, essentiellement en Amérique du Nord. Son long-métrage rapportant plus de 177 millions de dollars pour un budget de 31 millions.
Il récidive en 2004 avec Le secret des poignards volants (shí miàn mái fú), avec Zhang Ziyi qui joue la fille d’un chef de clan recherché par les autorités à l’identité trouble, accompagnée par un guerrier joué par Takeshi Kaneshiro. Il déconcerte car se positionne plus comme un mélodrame qu’un film de de sabre chinois et est toujours aussi somptueux au niveau de sa réalisation et de ses combats. En témoigne la scène ci-dessous.
Récemment, il y a eu quelques œuvres traitant de ce genre cinématographique, de réalisateurs le modifiant à leur gré. Citons par exemple The Grandmaster (yīdài zōngshī) de Wong Kar-wai, en 2013 et The Assassin de Hou Hsiao-Hsien, avec Shu Qi, très beau mais trop lent, donc il ennuie vite.
Ce genre a connu une évolution ininterrompue: au départ seules quelques productions existaient, mais le filon s’étant révélé de bonne qualité, il s’est propagé. Il a connu des déclins et des moments d’intense productions, avec de nombreux réalisateurs qui se le sont appropriés. Tsui Hark l’a révolutionné et l’Occident a jeté son dévolu sur ce nouveau cinéma inconnu jusqu’alors. Il continue de connaître un beau succès encore aujourd’hui, et certainement plus tard. Et comme le dit le réalisateur Daniel Lee:
Le wu xia pian est un genre qui transporte tout un pan de la culture et de la philosophie chinoise.
De ce fait, il est normal qu’il réapparaisse régulièrement au devant de la scène.