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Expo : « Lumière ! Le Cinéma inventé » au Grand Palais

Exposition : Coup de projecteur sur les Frères Lumière

L’Institut Lumière de Lyon et le Centre National de la Cinématographie (CNC) organisent une exposition, « Lumière! Le Cinéma inventé », consacrée aux frères Lumière et à la naissance magique et technique du cinéma, jusqu’au 14 juin 2015 dans le salon d’honneur du Grand Palais à Paris. CineSeries-Mag s’y est rendu, récit. 

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Comme le musée Lumière le fait toute l’année, le Grand Palais a réuni de nombreuses images en mouvement et autres prototypes du Cinématographe pour présenter l’invention du cinéma par Louis Lumière en 1895. À l’occasion des 120 ans de cette innovation majeure, la collection inestimable s’exporte à Paris et célèbre les premières images vivantes, témoins d’une époque, mais aussi de la naissance d’un art qui ne cesse de célébrer la vie et l’émotion, captant le temps dans son commencement et sa fin et ce, à l’infini. Mis en parallèle avec trois contemporains, Charles Pathé, Léon Gaumont et George Méliès, d’autres inventeurs aussi, les frères Lumière sont montrés comme des industriels passionnés, portés par un fort goût pour l’image, la couleur et bientôt, grâce à leur père, le mouvement. Mais la force de l’exposition est aussi de s’éloigner des portraits officiels et parfois arides des premiers frères du cinéma pour les montrer en famille, à travers des photographies ou films. Insuffler du mouvement aux images fixes, capter le réel et le voir bouger, voilà de quelle volonté est né le cinéma.

Des images, du mouvement, de la vie et un peu de couleur

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« Sortie d’usine » – premier film du cinéma

Dans l’exposition, une large place est consacrée à la diffusion, sous différentes formes souvent ludiques, parfois étonnantes, des 1 422 films Lumière. On entre ainsi dans l’exposition par la diffusion sur un écran géant du tout premier film : Sortie d’usine. Décanté, le film passe en boucle et on se prend à rester quelques instants devant ces images à l’apparence réaliste, mais déjà fabriquées car mises en scène et répétées. C’est tout naturellement que nous pénétrons ensuite dans la « rue du premier-film » où l’industrie des frères Lumière est détaillée. Comme leur invention ne vient pas de nulle part, c’est d’abord la photographie, son développement, les plaques que fabriquaient les usines Lumière qui nous sont présentées. L’image animée évolue très vite, comme ses supports. On peut ainsi découvrir les films à travers les premières « boîtes de films Lumière », animer l’image à l’aide de dispositifs artisanaux ou la faire défiler sur un écran tactile, sur un mur, choisir, la voir multipliée. Pour faire renaître cet héritage dans nos vies saturées d’images, l’exposition propose même de revivre la première séance de cinéma, dans le Salon Indien où 33 personnes, dont George Méliès, se sont assises pour la première fois pour observer un film au cinéma. Le salon a été recréé en partie pour cette occasion, le dispositif aussi. L’émotion est là, l’impression de redonner de la valeur aux images est passionnante. On redécouvre cette magie intacte de l’image qui s’anime pour la toute première fois, que de nombreuses citations de grands noms viennent étayer et faire ressentir. Ces belles images du passé ont encore une influence majeure dans notre cinéma d’aujourd’hui, dont quelques cinéastes actuels se font les héritiers. Louis Lumière avait un autre but cependant : la photographie couleur qu’il expérimentera dans un Autochrome. La beauté des couleurs, ce sont les plaques originelles qui sont présentées, fait ressentir quelque chose d’inouïe à l’oeil qui voit le passé et le ressent avec une émotion bien présente. Autre « nouveauté » expérimentée dès 1895 et que l’on découvre ici sans lunettes : la 3D !

« Offrir le monde au monde » [Bertrand Tavernier]

Né d’une toute petite volonté de mise en mouvement, le cinéma des frères Lumière devient très vite une industrie et s’invite dans le monde entier. C’est au début du XXe siècle que de nombreux opérateurs parcourent le monde et ramènent des images qui sont diffusées dans les ancêtres de nos salles de cinéma actuelles. Des images qui témoignent de leur époque, mais pas seulement. Il y a aussi cette volonté de voir le monde, de filmer le réel, de le comprendre. Un pan de l’exposition est consacré à cette gigantesque entreprise de découverte, celle aussi d’analyser le mouvement, le cinéma s’écrit donc dès le début hors frontière, même s’il est né en France. L’exposition parisienne offre également le cinéma au monde, dans une salle immense, sans véritable murs, le visiteur circule, voit, ressent, expérimente et découvre. Termes techniques toujours illustrés par la pratique, réévaluation du statut de l’image qui devient magique, l’espace du salon d’honneur du Grand Palais a été revisité pour devenir un spectacle permanent. Plongés dans une lumière bleutée, les explorateurs de la naissance du cinéma ressemblent à de grands enfants devant les premiers jouets optiques. Un espace jeunesse est d’ailleurs installé au cœur de l’exposition pour rendre accessible le cinéma et ses débuts à tous.

Persistance rétinienne

Le cinéma des frères Lumière rééxiste et persiste grâce à cette exposition qui présente sur un même panneau, intitulé 1895-1905, les 1 422 films Lumière en petit format, seul le premier s’agrandit, toujours cette fameuse Sortie d’usine. Sur le côté du panneau, deux salles consacrées à des documentaires sur les Lumière d’un côté et sur l’évolution de l’image de l’argentique au numérique de l’autre, permettent d’explorer plus avant le cinéma et ses techniques. C’est déjà presque la fin de l’exposition, après un bref passage par les photographies couleur de Louis Lumière. On redécouvre la pellicule papier avant de filer vers ces « traces et héritage » des Lumière au 20e siècle, mais aussi encore aujourd’hui. Le cinéma s’interroge en permanence sur sa propre existence, son évolution. Le cinéma qui « ouvrai(t) une fenêtre sur l’infini » selon les mots d’Henri Langlois, cet infini qu’on découvre immobiles dans une salle obscure. Le cinéma, dès ses débuts, a capté la vie dans ce qu’elle a d’immuable, d’éternel, mais toujours aussi de terriblement évident et contemporain. Il y avait déjà quelque chose de l’ordre du fantastique chez ces frères Lumière qui ont capté les premières images en mouvement et ont donc saisi une émotion nouvelle, éternelle et impossible à saisir de nouveau. Pourtant, de nombreux cinéastes continueront l’oeuvre des Lumière : Renoir, Bresson, Pialat, Rosselini, Tavernier avec Un dimanche à la campagne et ses couleurs proches des autochromes de Louis et Abbas Kiarostami. Mais ce cinéma des débuts, de pionniers, inspirera plus d’un cinéma, celui qui saisit un premier geste, une fulgurance, une permanence, qui rit de lui, qui se met en scène, qui s’engage dans un processus animé et donne à voir au-délà du réel, un regard devenu essentiel.

Les techniques ont pourtant évolué, c’est vers la fin que l’exposition le dit avec force, et ont donné lieu à « l’élaboration de nouvelles théories esthétiques », même si des cinéaste comme Philippe Garrel, dont le dernier film ouvrira la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, se battent pour faire vivre encore la pellicule 35 mm. Si aujourd’hui l’image projetée semble moins extraordinaire qu’auparavant, qu’il y a moins à découvrir du réel capté qui soudain s’anime comme si un geste aussi innocent qu’un repas d’enfant pouvait ne jamais vieillir, le cinéma demeure tout de même un émerveillement permanent, une découverte grâce à des cinéastes inventifs. C’est comme ça que s’achève l’exposition, sur ce message de transmission et de persistance du geste originel. On y voit Jerry Schtatzberg, Xavier Dolan, Michael Crimino, Pedro Almodovar, Paolo Sorrentino et Quentin Tarantino revisitter le premier film, Sortie d’usine, en tournant à nouveau sur le site originel du Hangar du Premier-Film à Lyon. Dans ces nouvelles images chacun a mis sa touche personnelle, cet élan qui les fait créer, certains ont interrogé nos nouveaux modes de consommation de l’image, sur portable, quand d’autres ont célébré le burlesque, la fantaisie des premiers essais Lumière. Une voltige vieille de 120 ans et pourtant permanente, si bien résumée dans ces mots qui seront donc ceux de la fin : « Je ne demande rien d’autre pour le cinéma, serait-il appelé un jour à disparaître sous la forme que nous avons connue : seulement la reconnaissance que cette forme aura été et demeure unique, à travers l’expérience vécue dans la communauté d’une séance, de la perception du temps, de la mémoire et de l’oubli mêlés que seul son dispositif induit, grâce à l’immobilité forcée du corps dans le silence et l’obscurité. Rien de plus, rien de moins » [Raymond Bellour].

Reporter LeMagduCiné