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Controverses artistiques : Affaire CopyComic, « Piss Christ », incendie de l’« Espace Saint-Michel », La Grande Bouffe et la statue russe de Vladimir

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Attention, sujet inépuisable. C’est parce qu’elles peuvent se prévaloir d’une pluralité qui n’a d’égale que leur abondance que les controverses artistiques font l’objet d’un dossier permanent, régulièrement alimenté par nos rédacteurs. Cinéma, peinture, littérature, art contemporain, théâtre, musique… Partout et en tout temps, les artistes n’ont cessé de heurter les sensibilités, de bousculer l’ordre établi, d’interroger les sociétés, leurs valeurs et travers. Et quelquefois, ce sont eux qui se sont pris les pieds dans le plat. Épisode un.

Affaire CopyComic, par Jonathan Fanara
« Mauvaise blague chez les comiques ». C’est ainsi que l’émission Envoyé Spécial de France 2 a décidé d’intituler un reportage consacré à l’affaire CopyComic, du nom de la chaîne YouTube ayant éventé le plagiat dont se rendraient coupables bon nombre d’humoristes français. Malik Bentalha, Michaël Youn, Tomer Sisley, Gad Elmaleh ou encore Jamel Debbouze : les plus grandes stars du stand-up ont fait les frais des accusations de « Ben », le vidéaste anonyme qui a mis le feu aux poudres. Tous auraient puisé dans le répertoire de comiques étrangers, essentiellement anglo-saxons, de quoi alimenter leurs sketchs. Et la mise en miroir des spectacles des uns et des autres, dans des vidéos largement partagées, laisse peu de place au doute.
Gad Elmaleh aura beau partir en croisade contre ses détracteurs, l’affaire est entendue et certains passent même aux aveux, à l’image de Tomer Sisley. D’autres, comme Élie Semoun ou Kheiron, ne cachent pas l’existence de plagiaires parmi leurs homologues. La situation est si préoccupante que Jamie Masada, le propriétaire des salles Laugh Factory, qui ont vu émerger à Los Angeles Jim Carrey, Robin Williams, Chris Rock ou encore Eddie Murphy, déclarera aux journalistes de France 2 ne plus faire confiance aux humoristes français. On comprend qu’une blague testée et avalisée par le public puisse faire l’objet de convoitises. On se désole en revanche de constater que des grands noms du stand-up ont bâti leur carrière, ou du moins une partie d’entre elle, sur des récupérations discrètes et le non-respect du droit d’auteur.

Immersion, le « Piss Christ » d’Andres Serrano, par Jonathan Fanara
Le photographe américain Andres Serrano réalise en 1987 une photographie grand format polémique, représentant un crucifix immergé dans un bain d’urine, et éclairé par la droite. Cette œuvre a fait l’objet de nombreuses controverses, s’attirant notamment le courroux des groupes religieux radicaux, qui n’y voient souvent rien de moins qu’un impardonnable blasphème. Des manifestants se sont insurgés contre elle, des pétitions réunissant des dizaines de milliers de signatures ont cherché à en empêcher la publicité.
Présentée à Avignon en 2011, Immersion, rebaptisée « Piss Christ », fut vandalisée par des individus armés de marteaux, après que Civitas et trois parlementaires UMP ont exigé en vain son retrait de l’exposition « Je crois aux miracles ». Lui-même chrétien, Andres Serrano appréhende son travail comme une critique adressée à tous ceux qui exploitent les enseignements du Christ à des fins personnelles et pécuniaires. Il a d’ailleurs pris l’habitude d’user des « humeurs du corps » (sang, urine, larmes, sueur) et de la nudité ou des matières fécales pour choquer son public et susciter de vifs débats.

L’incendie du cinéma parisien « Le Saint-Michel », par Jonathan Fanara
« Lorsqu’on agresse ce qui est sacré aux yeux des hommes, il faut s’attendre au déclenchement de mécanismes aveugles. » C’est ainsi que le cardinal Jean-Marie Lustiger commenta l’incendie criminel du cinéma parisien « Espace Saint-Michel » au lendemain d’un drame ayant fait quatorze blessés, dont quatre sévères. Nous sommes en 1988 et Martin Scorsese dépeint dans son long métrage La Dernière Tentation du Christ un Jésus sombre, assailli par le doute. Cela engendre des réactions outrées de la part des intégristes religieux, qui s’opposent obstinément à la diffusion du film. Le lendemain de cet attentat, perpétré par des fondamentalistes rattachés à l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, seize des dix-sept salles parisiennes qui projetaient La Dernière Tentation du Christ décident de le déprogrammer, pour des raisons de sécurité. Interrogée par les journalistes, une spectatrice, scrupuleusement fouillée à l’entrée du dernier cinéma permettant de le visionner, déclare alors vouloir assister à la projection du film pour poser un « acte contre l’intolérance ». Des autodafés de Jérôme Savonarole dans la Florence du XVe siècle à l’incendie de l’« Espace Saint-Michel » à Paris cinq siècles plus tard, la frontière est plus ténue qu’on ne le croit.

La Grande Bouffe, le scandale cannois de 1973, par Jonathan Fanara
Les critiques de cinéma n’en croient pas leurs yeux. Certains journalistes qualifient le film de « honte ». Les spectateurs grincent des dents. France Culture évoquera des années plus tard une « convulsion généralisée » sur la Croisette et des « réactions ulcérées ». Cinéaste particulièrement caustique, l’Italien Marco Ferreri prend le parti de satiriser la société de consommation et une bourgeoisie en pleine décadence dans La Grande Bouffe, long métrage pour le moins irrévérencieux, intégré dans la sélection française du Festival de Cannes 1973. Il y met en scène quatre amis économiquement privilégiés se retranchant dans une villa parisienne afin de se goinfrer jusqu’à en mourir. Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Michel Piccoli et Philippe Noiret se donnent la réplique, mordante, et présentent un microcosme désespérément dépourvu de valeurs. Rabelaisien, pessimiste, obscène, La Grande Bouffe, c’est du cinéma subversif à larges flots, un suicide gastronomique collectif, volontiers scatologique et d’une seconde lecture souvent sexuelle – cette Andréa Ferréol mi-madone mi-perverse. « Le scandale de la décennie », tout simplement, si l’on en croit certains. Et de ce massacre organisé sur pellicule, on retiendra notamment ce plan dérangeant, immortalisant un homme affaibli, alité et gavé sous les encouragements de ses complices : « Pense que tu es un Indien, à Bombay… » Aujourd’hui, signe des temps, la Croisette n’atteint de tels sommets d’indignation que lorsqu’un réalisateur danois confesse sa sympathie pour Adolf Hitler…

Russie : une statue politiquement significative, par Hervé Aubert
Début novembre 2016, le président russe Vladimir Poutine a inauguré une grande statue de 17 mètres de haut, installée juste devant le Kremlin. Cette dernière représente Vladimir, prince de Kiev. Outre l’évidente homonymie entre le souverain médiéval et le président actuel, le monument est vite interprété comme une véritable proposition politique. Pour le comprendre, un petit retour en arrière s’impose. À la fin du Xe et au début du XIe siècles, Vladimir Ier dirige un pays appelé la Rus’ kiévienne, grand État qui recouvrait une grande partie des territoires des actuelles Ukraine et Biélorussie, ainsi que le Nord-Ouest de la Russie contemporaine, et dont la capitale était Kiev. À son apogée, la Rus’ fut le plus grand pays d’Europe, ayant tissé des relations étroites avec l’Empire Byzantin, mais aussi des alliances avec de nombreux autres pays d’Europe. Cette époque est largement employée par la propagande russe pour convaincre de l’existence d’un destin commun aux trois nations slaves, l’Ukraine et la Biélorussie devant, selon les tenants de cette idéologie, nécessairement s’unir à la Russie, ayant avec elle, outre une proximité culturelle et linguistique, une histoire commune. Cette idée existe depuis longtemps : l’image d’une grande Russie, englobant l’Ukraine et la Biélorussie, a été revendiquée par de nombreux souverains russes, et l’ancienne couronne des tsars s’appelait « couronne du Monomaque », faisant ainsi référence à un autre des grands princes de la Rus’. De plus, Vladimir Ier a une importance capitale dans l’histoire de la Rus’ kiévienne, puisque c’est lui qui a converti le pays au christianisme orthodoxe. Personne, en Russie, n’a été surpris d’apprendre que le projet de statue était soutenu par l’Église orthodoxe ; le monument a d’ailleurs été inauguré conjointement par le président Poutine et le patriarche Kirill. Rappelons que cette statue a été inaugurée deux ans et demi après l’annexion de la Crimée à la Russie, alors que les tensions entre Moscou et Kiev sont au plus haut. La statue est avant tout l’occasion de jouer à nouveau sur l’histoire, le président se présentant comme le successeur de Vladimir Ier, l’unificateur des nations slaves et le dirigeant d’une lutte spirituelle.