« Brooklyn Nine-Nine », une sitcom cool, cool, cool, cool

Brillamment écrite, drôle et sérieuse à la fois, Brooklyn Nine-Nine a tiré sa révérence en septembre dernier, après huit saisons remplies d’émotions. Retour sur une sitcom pas comme les autres.

Friends, How I Met Your Mother, The Office… Depuis de nombreuses années déjà, ces titres aliment discussions et échanges enflammés. Leurs fans, de tous âges, connaissent souvent les épisodes par cœur (et possèdent un nombre incalculable de produits dérivés). Si cette solide fanbase prouve que les sitcoms savent se réinventer à chaque nouvelle génération, le genre reste toutefois plutôt associé à un humour puéril et non à une étude sociale pertinente. Créée par Michael Schur et Dan Goor, Brooklyn Nine-Nine (2013-2021) est surtout célèbre pour raconter les aventures de Jake Peralta (Andy Samberg) un détective assez immature du commissariat du 99ème district de Brooklyn, à New York. Sous des dehors insouciants, la série offre en réalité un panorama intelligent et efficace de notre société actuelle.

Une écriture novatrice

Le défi de tout scénariste est de présenter une évolution convaincante des personnages, à travers des arcs narratifs marquants. Entre la première et la dernière saison, les personnages de Brooklyn Nine-Nine ont considérablement évolué dans leurs rapports à autrui et à eux-mêmes. Ainsi, la sitcom reste consistante, du début à la fin. Les scénaristes, maîtrisant les rouages de l’écriture télévisuelle, font donc attention aux moindres détails, créant de fait des personnages crédibles. Au fil des saisons, ces derniers sont devenus de véritables archétypes dans lesquels tout un chacun peut se retrouver. De fait, la sitcom parvient à parler à un grand nombre de personnes. Certes, les personnages sont parfois caricaturaux mais grossir leurs traits est l’une des caractéristiques propres aux sitcoms.

Contrairement à d’autres sitcoms, Brooklyn Nine-Nine ne cherche pas uniquement à raconter une histoire, un fond dénué de créativité formelle. Certains épisodes innovent véritablement d’un point de vue scénaristique, comme l’épisode 14 de la saison 5, The Box. Un épisode en huis clos structuré avec précision et joué avec brio. La série n’hésite pas à sortir des sentiers battus en innovant sur un plan formel. De même, Pimemento (S7, E3) est un épisode intelligemment conçu qui rend hommage à Memento (2001) de Christopher Nolan.

Une écriture humoristique 

Cependant, si Brooklyn Nine-Nine possède une telle fanbase, c’est notamment grâce à son humour particulier. Certains personnages n’hésitent pas à aller dans les extrêmes comme Gina Linetti (Chelsea Peretti), sans doute l’un des personnages les plus particuliers de la série. Un humour allant plus loin que les stéréotypes. Un humour qui sait se réinventer. L’humour de Brooklyn Nine-Nine rappelle ainsi, à bien des égards, celui du Saturday Night Live (dont Andy Samberg a été l’un des acteurs principaux de 2005 à 2012), notamment à travers l’utilisation fréquente des cold opens. Ces scènes d’ouverture in medias res sont devenues emblématiques de la série, à la manière de la séquence atour de I Want it That Way. Une séquence désormais culte qui a joué un rôle indéniable dans le succès de la série.

DFW (S5, E17)

Bien entendu, comme dans toute bonne sitcom, Brooklyn Nine-Nine présente des running gags (comique de répétition), instaurant une intimité entre les personnages et les spectateurs. Des Halloween Heists aux Jimmy Jabs, des yaourts de Terry Jeffords (Terry Crews) aux sous-entendus sexuels mais surtout naïfs de Charles Boyle (Joe Lo Truglio), en passant par la question cruciale : qui est Kelly, le chien ou la femme de Scully ?, la série crée un univers que les spectateurs, impliqués, ont hâte de retrouver d’un épisode à l’autre.

Une même cause, deux personnages différents

Mais Brooklyn Nine-Nine, c’est également une sitcom qui ouvre la voie à de nombreux questionnements sociétaux. Bien ancrée dans son temps, la série s’approprie des sujets sensibles et actuels avec force et trouve toujours le juste ton, oscillant entre humour et sérieux.

L’un des personnages principaux de Brooklyn Nine-Nine, le capitaine Raymond Holt (Andre Braugher) est homosexuel. Contrairement à de nombreuses séries, son homosexualité n’est pas une intrigue secondaire afin de faire une sitcom pseudo-inclusive. Le couple formé par Raymond et Kevin Cozner (Mark Evan Jackson) est considéré de la même manière que les couples hétérosexuels. Un couple stable, qui se questionne parfois. Mais un couple avant tout, fait de deux personnes distinctes l’une de l’autre. Ainsi, Raymond est défini par beaucoup plus que son statut marital. La série ne cherche pas à l’enfermer dans une représentation stéréotypée de son homosexualité. Elle montre la complexité du personnage, sa personnalité, au-delà de son orientation sexuelle, laquelle ne forme pas la totalité de lui-même.

Un moment majeur de Brooklyn Nine-Nine est le coming out du personnage de Rosa Diaz (Stephanie Beatriz), bisexuelle. La série montre justement comment ce moment est en réalité multiple. C’est un processus qui prend du temps et qui enclenche diverses réactions. Tel est ce qu’illustre l’épisode 10 de la saison 5, intitulé Game Night. Un épisode qui prouve que faire partie de la communauté LGBT ne signifie pas avoir le même parcours. Encore une fois, la série est vraisemblable puisqu’elle n’enferme pas les personnages dans des clichés.

Game Night (S5, E10)

Une multitude de personnages divers et variés

Les autres personnages de Brooklyn Nine-Nine, principaux ou secondaires, défient souvent les normes en bravant certains tabous. Terry, décrit comme physiquement très fort, est aussi présenté comme quelqu’un qui ne craint pas de montrer ses émotions. Charles n’hésite pas non plus à dévoiler une partie plus « sensible » de lui-même. Quant à lui, Raymond démontre que l’homosexualité est faite de plusieurs facettes. Malheureusement, nombreuses séries représentent encore les personnages homosexuels de façon similaire, comme s’ils étaient nécessairement identiques. Dans Brooklyn Nine-Nine, les personnages représentent la différence. Et surtout, la diversité.

Personnage récurrent, Adrian Pimento (Jason Mantzoukas) souffre de trouble de stress post-traumatique en raison de sa profession. Certes, ses réactions semblent parfois exagérées (pour des raisons humoristiques). Néanmoins, la santé mentale reste évoquée. Cela est non sans rappeler les traumas d’un Terry angoissé et anxieux, au début de la première saison. Terry ne sait comment reprendre sereinement le terrain après la naissance de ses jumelles. L’anxiété liée aux professions policières est un thème abordé tout au long de la série. L’humour devient ainsi une arme pour aborder des sujets importants, liés aux personnages particulièrement ou plus universels.

Et puis, Brooklyn Nine-Nine présente des relations amoureuses saines. La toxicité des relations amoureuses n’est plus à démontrer dans le domaine des séries avec des couples souvent compliqués et/ou malsains. Ici, il n’est pas besoin de créer des couples toxiques pour créer des personnages attachants sur le long terme. L’exemple clé reste évidemment celui du couple d’Amy Santiago (Melissa Fumero) et de Jake.

Une série ouvrant des débats actuels : l’exemple de deux épisodes

Aux États-Unis, la police est négativement perçue dans le contexte politique actuel. Brooklyn Nine-Nine se positionne et traite directement du profilage racial. Dans Moo Moo (S4, E16), Terry est arrêté dans son quartier alors qu’il cherche la peluche de sa fille. Le policier est violent, sous prétexte que Terry est suspect. La vraie raison : Terry est un homme noir dans un quartier résidentiel. De ce fait, l’épisode aborde le ressenti de Terry. Il ouvre par là un débat primordial, notamment à travers les interrogations que posent ses jumelles. Une remise en question de la police également présente dans le premier épisode de la dernière saison, mentionnant notamment la mort de George Floyd. Ainsi, la série n’hésite pas à s’ancrer dans un présent direct et prend véritablement parti dans des débats sociaux fondamentaux.

Dans He Said, She Said (S6, E8), Brooklyn Nine-Nine aborde ouvertement le mouvement #MeToo en parlant du harcèlement sexuel sur le lieu de travail. L’épisode, réalisé par l’actrice Stephanie Beatriz, ouvre un dialogue interne, entre les personnages, mais aussi externe en illustrant avec justesse la difficulté pour une femme de travailler dans un milieu masculin. He Said, She Said traite aussi des difficultés de dénoncer une agression sexuelle, la parole de la victime étant mise en doute. Il met également en avant comment l’acte de dénonciation entraîne des conséquences néfastes pour la victime même, parfois plus que pour l’agresseur. Enfin, la série illustre ici la façon dont un personnage masculin (en l’occurrence Jake) tente de remettre en question les privilèges associés, malgré lui, à son genre.

He Said, She Said (S6, E8)

Il est difficile de résumer toute une sitcom en quelques paragraphes. Cet article ne se veut pas exhaustif. Il s’agit simplement d’une traversée de certains moments forts de la série. Car Brooklyn Nine-Nine, c’est d’abord 153 épisodes. 153 histoires différentes. Drôles surtout. Parfois émouvantes. Et souvent engagées. Malgré l’humour, Brooklyn Nine-Nine reste donc une série en accord avec son temps. Une série engagée qui n’hésite pas à aborder frontalement des thématiques universelles, souvent par le prisme du rire. 

En attendant l’arrivée de la dernière saison sur Netflix, voici quelques-uns des meilleurs cold opens. À voir, sans modération !

Bande-annonce – Brooklyn Nine-Nine (S8)